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L'injonction à la peopolisation

Dans le document La peopolisation de la vie politique (Page 55-57)

Les politiques utilisent la peopolisation à diverses raisons, entre ceux qui veulent apparaître entourés de célébrités et ceux qui veulent montrer ''leur vraie vie'', proche des gens. Pour une partie d'entre eux pourtant, le dévoilement de leur vie privée semble apparaître comme une contrainte.

En 2011, Martine Aubry est candidate à la primaire socialiste pour l'élection présidentielle. En juillet, elle apparaît en couverture de Paris Match (illustration 29). Elle y pose, aux côtés de son époux Jean- Louis : c'est la première (et unique) fois que le couple apparaît ainsi médiatiquement, et ils ne sont visiblement pas très à l'aise devant les caméras. Il semble que la publicisation de leur image soit principalement due au fait que tous les autres candidats s'y étaient pliés avant eux. La transparence comme une garantie d'exemplarité deviendrait une injonction difficile à ignorer...

En 2016, plusieurs hommes et femmes politiques font le choix de se rendre à l'émission Une Ambition Intime. Pourtant, tous ne sont pas en accord avec la démarche : pour Arnaud Montebourg, « La peopolisation, c'est une manière de faire diversion. C'est-à-dire parler de moi comme ça on parle pas de ce que je fais ou que je ne fais pas ». Cet avis est d'ailleurs partagé par François Fillon: « Je pense que la politique ne doit pas être mélangée avec la vie privée, voilà. C'est peut-être une des explications du désamour des Français pour la politique. Il y a à la fois le sentiment donné que les hommes politiques sont pas suffisamment efficaces, évidemment le premier reproche qu'on lui fait, et en plus, non seulement, ils ne sont pas efficaces, mais ils font les kékés en se montrant sous des tas d'aspects, un peu starisés, voilà, donc moi j'ai toujours essayé de tenir ma vie privée à l'écart de ma vie publique. »

Il lie directement la crise démocratique et le désamour des citoyens envers les politiques avec la peopolisation. Son épouse, Pénélope Fillon, a d'ailleurs soutenu la position de son mari dans un article de Paris Match de 2015 : « On n’attend pas d’un homme politique qu’il fasse le clown à la télé et même ailleurs »72. Si ces deux hommes, opposés au plan politique, sont d'accord sur le fait que la peopolisation n'est qu'une « manière de faire diversion », on peut se poser la question de savoir pourquoi, dans ce cas, ils s'y prêtent. François Fillon répond partiellement à cette question :

« Quand on est engagés dans une compétition, la primaire et l'élection présidentielle, il faut accepter les règles de cette compétition. Je les aurais peut-être écrites différemment si c'était moi qui les avais écrites »

L'idée qu'il serait nécessaire de se plier aux règles communes de la vie politique est extrêmement intéressante. François Fillon met ici en avant l'idée que la peopolisation a réussi à s'imposer, jusqu'à 72 « Pénélope, notre interview exclusive », Paris Match, [En ligne] publié le 23/09/2015 et mis à jour le 21/11/2016,

[consulté le 12/04/2017]

Illustration 29: Paris Match n°3244, 21 juillet 2011

devenir étape non négociable d'une candidature - certains responsables politiques verraient donc cette exposition de la vie privée comme une contrainte quasiment obligatoire.

Pour autant, il est possible de questionner l'opposition entre les dires et les faits : en réalité, les différents candidats ont choisi de montrer ce qu'ils voulaient dans cette émission. Marine Le Pen, par exemple, n'y parle pas de sa vie de couple, et assez peu de ses enfants (seul un prénom sur trois est prononcé, et aucun visage n'est dévoilé). François Fillon fait lui partie de ceux qui ont dit ou montré le plus de leur vie intime, allant jusqu'à inviter son épouse et sa fille à témoigner dans l'émission, ou encore dévoiler des archives de photos de famille. Son discours à l'encontre de la peopolisation est-il alors honnête - se sent-il obligé de dévoiler des informations sur sa vie privée, ou lui sert-il de protection contre les critiques que l'on pourrait lui faire, à une époque où la peopolisation n'a pas toujours bonne presse ?

Lors de cette campagne présidentielle, un candidat, Benoît Hamon, a publiquement refusé de participer à l'émission Une Ambition Intime. Il s'en est expliqué à travers une publication sur sa page Facebook, où il a dit, entre autres, qu'il serait incohérent « de reprocher à l’élection présidentielle d’ignorer les enjeux fondamentaux de notre pays, tout en participant à ce qui s’apparente à un casting de l'homme providentiel. Verser une larme ou révéler une part choisie de mon intimité ne dirait rien de ma capacité à entendre les préoccupations des Français [...] »73. Une polémique est alors née, Karine Le Marchand arguant que le candidat à la primaire s'était rétracté pour bien d'autres raisons : « Il ne veut pas montrer sa femme. Ses raisons intrinsèques je ne les connaîtrais jamais. Je ne savais pas qu’elle était responsable de la communication de LVMH et je comprends ses réticences. »74. Benoît Hamon a résumé ainsi cette polémique :

« Je trouve que dans ce genre de jeu on y perd à tous les coups finalement. Quand on veut y aller on déballe beaucoup de sa vie, je crois que ça ne dit pas quoi que ce soit du fait que vous serez un bon président ou un mauvais président, capable d'être à la hauteur de la lutte contre le terrorisme, de résister aux lobbies privés.. Votre vie privée en quoi ça dit de vous quoi que ce soit ? Et si vous décidez de ne pas y aller, on dit que vous n'y avez pas été parce que vous avez une épouse qui a un beau travail, plus beau que le vôtre, qui a sans doute été bien plus méritante que vous. Voilà moi je suis très fier de ma femme, mais c'est pas pour ça qu'on a envie ni l'un ni l'autre de se retrouver mis en scène par d'autres que nous. »

De cet échange, une idée importante ressort : la peopolisation est aujourd'hui tellement ancrée dans notre paysage politique, que les responsables politiques qui chercheraient à y échapper se voient tout de suite accusés. Accusés de cacher un secret, de manipuler l'opinion, de ne pas être celui que l'on dit être ; bref, celui qui refuse de se dévoiler intégralement devant les électeurs serait déshonnête, et ne se montrerait pas digne de la confiance des électeurs.

73 Page Facebook de Benoît Hamon

C

HAPITRE

3.

D

E NOUVELLES NORMES

Si une grande partie des responsables politiques se plient à ces nouvelles règles, et que les seuls qui s’y refusent sont marginalisés à cet égard, on peut envisager effectivement que la peopolisation, tant décriée, serait devenue la norme. Pour Jean-François Dortier, « Loin de désacraliser la vedette, la montrer sous le jour inhabituel de monsieur Tout-le-Monde renforce au contraire son aura »75. Ouvrir sa porte et montrer aux citoyens un quotidien banal, ''normal'', permettrait donc aux responsables politiques de regagner une confiance perdue.

« En faisant coïncider ses intérêts, ses croyances et ses conduites ''avec ce qui est réputé normal et légitime'', en les unifiant ''avec des valeurs reconnues pour les faire valoir auprès de l’autre'', il dote ses arguments des traits généralisables et reproductibles qui sont (...) l’indice manifeste de sa victoire ».76

Plusieurs thématiques deviennent alors importantes dans cette recherche de la normalité : une transparence exemplaire allant jusqu’à une recherche permanente de détails sur la vie privée, une omniprésence de la figure du couple, ainsi que la starisation des responsables politiques, qui deviennent des vedettes au même titre que des chanteurs ou acteurs.

Dans le document La peopolisation de la vie politique (Page 55-57)