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8.4 Caractérisation des signaux vibratoires de corde

8.4.2 Inharmonicité

Une particularité des instruments à cordes à son non entretenu, tels le piano, le clavecin ou la guitare, est de présenter des modes de vibration de corde légèrement inharmoniques : la fréquence des modes n'est pas exactement un multiple de la fréquence fondamentale f0. Cette inharmonicité inue par exemple sur la technique d'accord des pianos (Fletcher et Rossing, 1998; Kent, 1982) et peut être mise en évidence expérimentalement (Morse et Ingard, 1968; Boutillon et al., 1984). L'étude théorique de cette inharmonicité pour une corde isolée couplée à un chevalet met en évidence deux contributions : une contribution proportionnelle à n2, où n est le rang de l'harmonique, due à la raideur de la corde et une contribution liée à la mobilité du chevalet (Morse et Ingard, 1968).

La mesure de l'inharmonicité de la corde de Mi grave est donnée gure 8.14, où est représentée, en fonction de n2, la fréquence de la composante la plus importante de chaque partiel, estimée par matrix pencil et normalisée à nf0. La représentation en fonction de n2

a été adoptée ici en référence à l'expression de la contribution liée à la raideur dans le cas d'une corde monolament alors que la corde de Mi1 est une corde lée, ce qui signie qu'elle comporte une âme en nylon spiralée de métal.

0 100 200 300 400 500 600 700 800 1 1.005 1.01 Courbe d’inharmonicité n2 f n /(n f 0 )

Fig. 8.14: Inharmonicité de la note Mi1 de la première corde de guitare (pincée à vide). La proportionnalité par rapport à n2 traduit un eet dû à la raideur de la corde.

D'après cette gure, l'inharmonicité mesurée n'excède pas 1% et nous pourrons la consi-dérer comme une perturbation à l'ordre 1. L'équation de propagation d'une corde souple (non munie de raideur) est une équation de d'Alembert classique :

ρL 2w ∂t2 = T0 2w ∂x2 (8.1) w déplacement transverse ρLmasse linéique T0 tension au repos

La valeur des fréquences modales pour une corde xée au deux extrémités, x = 0 et x = L, s'obtient en cherchant des solutions comme superposition d'ondes progressive et rétrograde de la forme w0ej (ωt−kx). La condition w = 0 en x = 0 conduit à la forme

w(x, t) = w0sin(kx)ejωt

et la condition en x = L conduit à une quantication du nombre d'onde sous la forme kn=

où L désigne la longueur de corde. L'équation de dispersion tirée de 8.1 s'écrit

H(ω) = ρLω2− T0k2 = 0 (8.3)

et fournit les pulsations modales

ωn= kn s T0 ρL = L s T0 ρL (8.4)

La prise en compte de la raideur dans l'équation du mouvement conduit à introduire un terme supplémentaire dans le terme de gauche de l'équation 8.1 :

−EI

4w ∂x4

E module d'Young

I = πd4/64inertie de exion de la section droite, avec d diamètre de la corde cylindrique Cette force de rappel supplémentaire, dont l'expression est établie pour une corde monola-ment, traduit l'existence d'un eort tranchant s'exerçant sur un petit élément de corde et qui compense le moment de exion. Nous obtenons la perturbation au premier ordre des pulsa-tions modales en cherchant la solution ω = ωn+ δω de la nouvelle équation de dispersion soit :

H(ω) = ρLω2− T0k2= EIk4 (8.5)

Au premier ordre en δω il vient :

Lωnδω = EIk4n soit nalement

δω = ωn× Bn2 avec B = EIπ2 2T0L2

(8.6) Les ordres de grandeur des diérents paramètres pour la corde étudiée sont :

T0 = 73N

ρL= 6.3 10−3 kg m−3

E = 4 GPa : cette valeur est un module d'Young équivalent déduit de mesures d'élasticité (produit ES où S est l'aire d'une section droite) eectuées par A. Chaigne (Chaigne, 1991) et de la valeur du diamètre de la corde ≈ 1 mm.

I = 1.2 10−14 m4 (avec 0.7 mm pour valeur de d le diamètre du coeur en nylon, mesuré au pied à coulisse)

Nous trouvons alors un coecient théorique B d'inharmonicité qui vaut B = 7.5 10−6

Cette valeur doit être considérée comme un ordre de grandeur car l'élasticité des cordes peut varier de ±20% et la mesure du diamètre du coeur en nylon est sujette à des écarts de ±10% environ.

Nous observons sur la gure 8.14 que la partie des points pour n2 > 200, c'est à dire au delà du 12ème partiel, un comportement de l'inharmonicité proportionnel à n2. Il est surprenant de constater que le formalisme développé ici et qui s'applique à des cordes monolament donne des ordres de grandeurs cohérents avec la mesure de B par régression linéaire pour la corde lée de Mi1. La valeur du coecient de régression linéaire fn/(nf0) en fonction de n2, eectuée sur ces partiels au delà du rang 12, vaut en eet : :

Bmesuré= 9.6 10−6 Ce résultat est du bon ordre de grandeur :

pour les fréquences au delà du 12ème partiel (≈ 1000 Hz), l'inharmonicité est gouvernée par la raideur.

En deçà de ce partiel, l'inharmonicité n'est plus dominée par les eets de raideur. Une autre perturbation connue provient de la mobilité du chevalet (Morse et Ingard, 1968). Son expression peut être trouvée en considérant la force transversale exercée sur le chevalet :

FL= −T0

∂w ∂x ce qui permet d'écrire l'admittance au chevalet :

YL= jωw(L, t)

FL(t) = −jωtan(kL) kT0

En supposant que ce calcul est une perturbation à l'ordre 1, c'est à dire que |YLkT0/ω| = |YLZc| ≪ 1

(Zc = √

ρLT0 est l'impédance mécanique caractéristique de la corde), le nombre d'onde du mode n devient k = kn+ δkavec

tan kL = jZcYL qui, développé au premier ordre en δk fournit :

(1 + tan2(knL))Lδk = Lδk = jZcYLn)

Le lien au premier ordre entre les variations du nombre d'onde et de la pulsation est obtenu à partir de l'équation du mouvement 8.1 :

où c =p

T0L est la célérité des ondes de exion dans la corde souple. Il vient nalement, en fonction de la pulsation propre fondamentale ω0 = πc/2L:

δω = jYLT0/L = jω0

π ZcYL (8.7)

Ce résultat explique pourquoi la courbe d'inharmonicité est dominée par la raideur pour les fréquences hautes. En eet, si nous considérons l'eet sur les fréquences, il vient d'après 8.7

fn/(nf0) = 1 +Re(δω)/ωn= 1 − ZcImYL/(nπ)

L'inharmonicité liée à la mobilité est inversement proportionnelle au rang de l'harmonique. Un ordre de grandeur de YL est 5 10−2 ms−1/N (Radier, 1985). Ce qui donne une inharmonicité de 0.1 % pour l'harmonique de rang 10. Quoiqu'un peu élevée cette valeur est du bon ordre de grandeur.

La relation 8.7 traduit également la manière dont le couplage de la corde avec la table d'harmonie modie ses fréquences propres : si la mobilité de la table est massique (comme par exemple après une résonance) la fréquence propre est plus haute que dans le cas non perturbé. Dans le cas où le comportement de la table d'harmonie et du chevalet est du type raideur (ressort), c'est l'inverse qui se produit et la fréquence propre est plus basse. La partie réelle de YL amène un δω complexe, qui traduit la dissipation d'énergie.