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Partie empirique

6. Un message ou commentaire personnalisé de la part du professeur (6 feed- feed-back)

7.3.4 Les « ingrédients » du changement

Après avoir détaillé les caractéristiques des différents feed-back et la manière dont les étudiants les perçoivent, nous élaborons ici une analyse transversale, qui amène des éléments de réponse à notre deuxième question de recherche : Quelles sont les dimensions des feed-back les plus susceptibles de stimuler la régulation chez les étudiants ? Quelles sont les dimensions de l’évaluation émotionnelle les plus susceptibles de stimuler la régulation chez les étudiants ?

Les caractéristiques du feed-back

Les résultats confirment que la valeur informative du feed-back est une dimension importante à prendre en compte : sans surprise, lorsqu’un étudiant perçoit un feed-back comme peu informatif, il est moins probable qu’il mette en œuvre des stratégies de réajustement à la suite de celui-ci. Ce qui a parfois été plus surprenant c’est la différence entre la valeur informative « théorique » de certains feed-back et leur valeur informative perçue par les étudiants. Nous avons ainsi pu mettre en évidence que la note (seule ou accompagnée de l’identification des erreurs sur la copie) peut avoir une valeur informative élevée aux yeux des étudiants alors que théoriquement, elle ne contient pas en elle-même les informations nécessaires permettant à l’étudiant de savoir comment progresser et améliorer ses performances (Nicol et Macfarlane-Dick, 2006 ; Hattie et Timperley, 2007 ; William, 2010).

Sur les 66 feed-back rapportés par les étudiants lors des entretiens, 27 consistent en des notes (seules ou accompagnées de l’identification des erreurs). On voit dans le tableau ci-dessous que la grande majorité des feed-back qui ne provoquent aucun changement consistent en d’autres types de feed-back qu’une note alors qu’inversement, près de deux-tiers des feed-back qui provoquent un changement dans la manière de voir ou de faire de l’étudiant consistent en des notes.

Tableau 16 Nombre de feed-back sous forme de note vs sous une autre forme qui donnent lieu à la mise en œuvre (ou non) de stratégies de réajustement

Feed-back sous forme de note (seule

ou non)

Autre type de feed-back Feed-back qui provoquent un

changement

20 13 33

Feed-back qui ne provoquent aucun changement

7 26 33

27 39 66

Plus généralement, avec les données dont nous disposons, il nous semble difficile d’identifier si l’objet du feed-back ou le niveau sur lequel il porte constitue une dimension pertinente en regard de sa capacité à provoquer le changement puisque la toute grande majorité des feed-back rapportés porte sur le seul niveau du produit/de la tâche.

De la même manière, au vu de nos résultats, la dimension formative vs certificative du feed-back ne semble pas constituer un « ingrédient » de poids parmi ceux qui provoquent le changement : tant les feed-back formatifs que certificatifs peuvent provoquer la mise en œuvre de stratégies de réajustement.

Au niveau du mode de transmission des feed-back, il semble que leur caractère public soit un « ingrédient » à prendre en compte, notamment parce qu’il peut, dans un premier temps contribuer à augmenter le stress perçu par l’étudiant. Dans un second temps, par contre, par le biais du partage social et de la comparaison sociale que ce caractère public du feed-back suscite, il peut à l’inverse contribuer à diminuer le stress perçu (nous y reviendrons ci-dessous). Cela dit, les feed-back reçus en privé peuvent également, mais alors dans un second temps, être sujets de comparaison ou de partage social. Dans ce cas, les mêmes effets rassurants (ou plus rarement, à l’inverse augmentant le stress perçus) peuvent être observés.

Comme l’indique le tableau ci-dessous, on voit effectivement peu de différence, au niveau du changement que le feed-back peut provoquer ou non, entre les feed-back reçus en public et les feed-back reçus en privé. Ceci peut sans doute en grande partie s’expliquer par les mécanismes de partage social et de comparaison sociale que l’on peut considérer ici comme des stratégies de régulation émotionnelles.

Tableau 17 Nombre de feed-back qui donnent lieu à la mise en œuvre (ou non) de stratégies de réajustement en fonction du caractère public vs privé

Feed-back reçus en public

Feed-back reçus en privé Feed-back qui provoquent un

changement

18 15 33

Feed-back qui ne provoquent aucun changement

19 13 33

36 30 66

Les autres aspects du mode de transmission (format oral ou écrit, caractère anonyme ou personnalisé) ne semblent pas, au vu de nos données, constituer des « ingrédients » de poids.

L’agent semble également un « ingrédient » à prendre en compte (cf. tableau 18). En effet, les feed-back les plus susceptibles de provoquer les changements sont ceux fournis par un agent institutionnel bien identifié (un professeur ou un assistant) ou par un agent non humain (page web à consulter), mais « derrière » lequel on peut identifier les professeurs ou assistants. Les feed-back construits par l’étudiant lui-même sont moins clairement

susceptibles de provoquer le changement de manière systématique, comme si certains étudiants n’accordaient pas la même crédibilité à leur propre back, comparé à un feed-back fourni par un agent institutionnel. Ceci va dans le sens de ce que Steelman, Levy et Snell (2004) ont mis en évidence concernant la crédibilité de la source qui peut être perçue comme plus ou moins experte et compétente pour fournir une information précise sur la performance. Un feed-back fournit par un agent non humain et non identifié, quant à lui, semble moins susceptible de provoquer le changement.

On voit ci-dessous que près de deux tiers des feed-back fournis par un agent clairement identifié provoquent un changement alors qu’inversement, deux tiers des feed-back fournis par un agent « non humain » (à consulter sur internet, le plus souvent), ne conduisent à aucun changement.

Ce résultat doit être fortement nuancé. En effet, la majorité des feed-back transmis par un agent « non humain » sont également ceux qui ont une faible valeur informative aux yeux des étudiants et qui donc sont moins susceptibles de provoquer le changement.

Tableau 18 Nombre de feed-back qui donnent lieu à la mise en œuvre (ou non) de stratégies de réajustement en fonction du type d’agent

Agent identifié : professeur ou assistant Agent « non humain » Agent : l’étudiant lui-même Feed-back qui provoquent un

changement

17 12 4 33

Feed-back qui ne provoquent aucun changement

11 19 3 33

28 31 7 66

Notons que nous n’avons pas ici rencontré tous les cas de figure théoriques : par exemple, les étudiants n’ont pas rapporté de feed-back reçus par les pairs ou les aînés en tant que tels. Ces derniers sont davantage impliqués dans les mécanismes de comparaison et de partage social (nous y revenons dans la suite).

En conclusion, les éléments saillants dans cette analyse concernent la valeur informative du feed-back et son agent. Le caractère public du feed-back, en ce qu’il suscite davantage la comparaison sociale et le partage social, joue également un rôle important.

Les dimensions de l’évaluation émotionnelle

L’effet de surprise provoqué par un feed-back semble clairement constituer un déclencheur de changement : plus un feed-back est inattendu plus il est susceptible de mener à la mise en œuvre de stratégies de réajustement, à condition évidemment que l’étudiant évalue ce feed-back comme pertinent en regard des buts qu’il poursuit, d’une part, et, d’autre part, qu’il évalue comme suffisantes ses ressources pour y faire face.

On voit, dans le tableau ci-dessous, que deux tiers des feed-back qui provoquent un changement sont évalués comme inattendus alors que deux tiers des feed-back qui ne provoquent aucun changement sont évalués comme attendus, sans surprise.

Tableau 19 Nombre de feed-back qui donnent lieu à la mise en œuvre (ou non) de stratégies de réajustement en fonction du caractère inattendu vs attendu

Inattendu Attendu Feed-back qui provoquent un

changement

22 8 33

Feed-back qui ne provoquent aucun changement

5 21 33

27 29 66

Nos résultats confirment que l’évaluation de la pertinence du feed-back en regard des

buts poursuivis constitue une dimension déterminante pour la mise en œuvre de stratégies

de réajustement. Au niveau du registre émotionnel, la déception ressort clairement comme une émotion susceptible de provoquer le changement, alors que le découragement ou la colère semblent les moins susceptibles de mener à un changement. Outre le registre

émotionnel, l’intensité et la durée des émotions, du stress perçu est de toute évidence

également à prendre en compte (Tableau 20). Ainsi, une déception de forte intensité mais de courte durée, comparée à un découragement de forte intensité (tout à fait abattue) et de longue durée n’auront pas du tous les mêmes effets au niveau de la mise en œuvre des stratégies d’ajustement.

On voit ici que trois quart des feed-back qui sont perçus comme un obstacle (stress perçu, quelle que soit son intensité) mènent à un changement alors que trois quart des feed-back qui sont évalués comme non pertinents ou comme un bénéfice (pas de stress perçu) ne mènent à aucun changement.

Tableau 20 Nombre de feed-back qui donnent lieu à la mise en œuvre (ou non) de stratégies de réajustement en fonction du stress perçu

Stress perçu Aucun stress perçu Feed-back qui provoquent un

changement

25 8 33

Feed-back qui ne provoquent aucun changement

8 25 33

33 33 66

Etroitement lié à l’évaluation que l’étudiant réalise de la valeur informative d’un feed-back, le potentiel de maîtrise nous semble également une dimension cruciale à prendre en compte lorsqu’on s’intéresse aux feed-back les plus susceptibles de provoquer la mise en œuvre de stratégies de réajustement : pour qu’un étudiant puisse mettre en œuvre les stratégies d’ajustement nécessaires à la suite d’un feed-back, il faut qu’il estime avoir le contrôle, les ressources internes ou externes nécessaires pour y faire face, qu’il sache comment faire et s’estime capable de mettre en œuvre les comportements nécessaires pour atteindre le résultat attendu (sentiment d’efficacité personnelle, Bandura, 2003).

On voit, dans le tableau ci-dessous, que pour la toute grande majorité des feed-back qui provoquent un changement, l’étudiant évalue comme élevées ses ressources pour y faire face. Notons que pour de nombreux feed-back, nous n’avons pas d’information quant à la manière dont l’étudiant évalue ses ressources pour y faire face. Ceci s’explique en grande partie par le fait que pour beaucoup de feed-back qui ne provoquent aucun changement, l’évaluation émotionnelle qu’a pu faire l’étudiant de cet événement s’arrête à son évaluation comme un événement non pertinent. Le lien entre un faible potentiel de maîtrise et le changement est moins évident.

Tableau 21 Nombre de feed-back qui donnent lieu à la mise en œuvre (ou non) de stratégies de réajustement en fonction d’évaluation du potentiel de maîtrise

Faible potentiel de maîtrise Pas d’information Potentiel de maîtrise élevé Feed-back qui provoquent un

changement

4 1 29 33

Feed-back qui ne provoquent aucun changement

4 20 9 33

8 21 37 66

Enfin, il nous est apparu, au niveau de l’évaluation de l’accord avec les normes, que la comparaison sociale, le regard de personnes significatives aux yeux des étudiants (nous les appelons « autrui significatifs » : souvent les parents, également les professeurs) et l’estime de soi constituaient également des « ingrédients » importants parmi ceux qui expliquent comment l’évaluation d’un feed-back peut mener à la mise en œuvre de stratégies de réajustement. Nous l’avons évoqué plus haut, la comparaison sociale, si elle permet à l’étudiant de se situer, a également souvent un effet rassurant (recherché par l’étudiant ou non) qui peut, dans certains cas, faire dire à l’étudiant qu’il n’y a finalement rien à changer alors qu’au départ, il avait bien perçu le feed-back comme un message d’alerte. Parfois, la comparaison sociale peut à l’inverse avoir pour effet d’augmenter le stress perçu ; le feed-back est alors plus susceptible de mener au changement, à condition d’estimer avoir les ressources suffisantes pour y faire face.

Pour quelques étudiants, le regard d’autrui significatifs sur eux, sur leurs performances peut avoir pour effet d’accentuer le stress perçu et du coup la nécessité de s’ajuster. Plus rarement, il peut y avoir, comme dans le partage social, un effet rassurant qui peut aller jusqu’à faire évaluer le changement comme inutile.

Enfin, l’évaluation de l’accord avec ses propres normes ou normes internes, dont l’estime de soi et l’image de soi constituent sans aucun doute des éléments à prendre en compte pour expliquer le comportement des étudiants à la suite d’un feed-back. Ces éléments nous semblent étroitement liés à l’évaluation de la pertinence du feed-back en regard des buts poursuivis et plus particulièrement des buts identitaires (on y revient plus longuement dans la suite). En ce sens, cette évaluation de l’accord avec les normes internes aurait surtout un impact sur le stress perçu à la suite du feed-back.

En conclusion, les dimensions les plus marquantes dans l’évaluation émotionnelle sont l’effet de surprise, la pertinence en regard des buts poursuivis, le stress perçu (sa durée, son intensité) et le potentiel de maîtrise.