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B. Les pratiques relevées

6. Les informations détenues par les principaux négociants de ciment dans la zone

85. Entendu le 9 septembre 1999, M. P..., directeur d’agence de Lafarge, agence commerciale de Marseille a déclaré (annexe 11 cotes 976-977) : "Concernant le prix facturé à M. R..., à savoir 480 F la tonne de CPJ 42,5 départ Contes, je vous précise qu’il s’agit d’un cas isolé qui n’a pas donné lieu à d’autre livraison de ce type. Ce prix de 480 F départ usine est un prix sur “ devis ” qui n’a pas donné lieu à d’autres facturations. M. R... nous avait indiqué qu’il avait acheté une remorque dans la région de Nice et qu’il souhaitait charger du ciment pour ne pas faire transiter cette remorque (banane) à vide à destination d’Ajaccio".

Toutefois, selon les factures du transport terrestre et maritime, la rotation a été effectuée par la société Padrona avec une remorque immatriculée en Corse du sud, partie d’Ajaccio (annexe 1 cotes 68-70).

6. LES INFORMATIONS DÉTENUES PAR LES PRINCIPAUX NÉGOCIANTS DE CIMENT DANS LA ZONE D’AJACCIO

a) Les informations sur les quantités de ciments commandées auprès des cimentiers français et transportées sur les bateaux de la Someca

86. Il ressort de l’audition des Ets Padrona que la desserte maritime en ciment en vrac à Ajaccio via les navires de la Someca est devenue très difficile pour les négociants non stockistes étant donné la saturation des capacités des navires par les principaux négociants stockistes présents sur le marché du ciment à Ajaccio à partir de 1997.

Audition de M. François R... du 28 juillet 1998 (annexe 1 cotes 1-5)

"Après avoir repris l’exploitation familiale de négoce en matériaux en 1990, je suis passé d’une vente annuelle de 600 tonnes de ciment à environ 7000 tonnes en 1995-96. Cette progression s’est écroulée depuis décembre 1996 car je tourne désormais sur une base de 2500 à 3000 T/an dans des conditions tarifaires que j’estime anormales, en tous cas discriminatoires et pénalisantes par rapport à celles rencontrées par mes principaux concurrents insulaires. Je ne peux plus accéder à la matière première ciment – produite et distribuée par Ciment Lafarge – dans les volumes correspondant à la demande de ma clientèle et avec une périodicité adéquate à mon organisation, sauf à accepter de travailler à perte, compte tenu des prix de vente désormais pratiqués par Ciments Lafarge dans le cadre de la solution de remplacement que j’ai tenté de mettre en place pour pallier les difficultés auxquelles je me heurte depuis 1997.

L’évolution a été la suivante :

Avant décembre 1996 : Deux navires spécialisés dans le transport du ciment en vrac appartenant à Someca et affrétés par Pittaluga touchent les ports sur une base hebdomadaire et livrent sans problèmes à tous les négociants (en quantité et fréquence)……. Les ciments Lafarge assumant le rôle de chargeur, payant le transport et facturant aux clients insulaires un prix de ciment à la tonne transport compris rendu Ajaccio ou tout autre port corse.

A compter de décembre 1996, transport et facturation continuent de s’effectuer sur les mêmes bases (Someca Pittaluga Ciments Lafarge) mais les principaux négociants de la place - ceux d’entre eux disposant de capacité de stockage – commandent en même temps des quantités correspondant à l’utilisation quasi maximale de leurs silos. Or le total d’une telle commande correspond à deux cargos pleins et fait tomber la cadence de desserte à une ou deux rotations mensuelles. En d’autres termes, le remplissage concomitant des capacités de stockage des entreprises dotées de silos épuise les capacités de transport des navires avec des conséquences très gênantes pour les autres négociants. Lors de la rotation d’emplissage des silos, seul un reliquat (en général fortement inférieur à la commande type de ces négociants) est disponible, "sous livraison" de règle. L’addition des commandes des petits négociants ne justifie pas économiquement l’ancienne desserte de type hebdomadaire sur tous les ports (pas assez de volume, trop de kilomètres) . Donc, il devient impossible de recourir à Someca Pittaluga pour les négociants sans stockage significatif, en dehors des reliquats incertains et trop faibles disponibles après chaque rotation (1 à 2 par mois) lors de l’approvisionnement des silos (totalisant sur Ajaccio 1930 tonnes = 780 + 350 + 800) (…)".

87. Cette situation s’est poursuivie avec la chute du nombre de rotations des navires par port.

Selon les données de l’observatoire régional des transports en Corse, le taux moyen transporté en vrac à destination d’Ajaccio est passé de 1996 à 1997 de 629 tonnes en moyenne par bateau à 849 tonnes et le nombre de "touchées" (déchargement sur le port) a baissé de 43 à 38.

88. Or, les pièces saisies dans les entreprises Anchetti, Simat et Castellani démontrent des échanges d’informations fréquents sur les quantités transportées via les navires de la Someca.

Télécopie adressée par Simat aux ETS Castellani le 26 septembre 1998

"A l’attention de M. Félix T...

Ajaccio le 26/09/98

Comme suite à notre entretien veuillez trouver ci-joint "l’éclaté" des tonnages en provenance de NICE 31/08/98 et 30/9/97. En ce qui nous concerne la modification de volume, correspond à une Ê de notre tonnage sac :

disparition du ciment Sarde sur Corte tonnage sac de Ceccaldi

les 5,05 % Ceccaldi sont exclusivement du vrac, il triple son tonnage dans ce domaine (Ajaccio béton, Seca)" (annexe 6 cote 449).

89. A ce courrier étaient joints deux tableaux adressés par Anchetti à Simat montrant que Simat, Anchetti et Castellani tenaient à jour des statistiques sur les parts de marché des cinq négociants ajacciens, et procédaient à des rétrocessions de tonnage de ciment.

Télécopie adressée par Anchetti à Simat le 21 septembre 1998 (annexe 6 cote 450)

"Tonnage en provenance de Nice au 31/08/98

ANCHETTI 7738,22

- 510,04 7228,18

Soit 33,79 % Ì Refacturation

SIMAT 5563,00

+ 510,04 5873,04

Soit 27,45 % Ê

CASTELLANI 4962,04 Soit 23,20 % Æ

PADRONA 2249,90 Soit 10,51 % Ì

CECCALDI 1081,20 Soit 5.05 % Ê

21394,36 tonnes

- Tonnage en provenance de Nice au 31/09/97 (annexe 6 cote 451) ANCHETTI 9497,60 – 175,10 = 9321,90 Soit 37,4 % SIMAT 5730,10 + 175,70 = 5905,80 Soit 23,20 %

CASTELLANI 5915,09 Soit 23,20 %

PADRONA 3174,95 Soit 12,40 %

CECCALDI 1005,80 Soit 3,80 %

25323,54

90. M. D..., membre du directoire de Simat, a apporté les explications suivantes le 14 septembre 1999 (cote 1092) : "Les tonnages mentionnés en moins chez Anchetti (-510,04 en 98 et -175,10 en 97) et en plus chez Simat correspondent à des rétrocessions par un autre stockiste, en l’occurrence Anchetti, pour faire face à des ruptures de notre stock qui sont intervenues durant la mise en place de la nouvelle desserte maritime. Ces tonnages nous ont été directement facturés par Lafarge".

91. Enfin, plusieurs feuilles A4 à l’en-tête de la société Gedimat Anchetti indiquent que le responsable de la société Anchetti connaissait, à l’avance, la composition exacte des chargements des navires de la Someca débarqués à Ajaccio, par produits, par cimentiers, et par clients entre avril 1997 et janvier 1999 (annexe 5 cotes 223 à 228).

"Commande ciment /Capo Rosso du 11/04/97 Anchetti 180 T 42,5 Lafarge

120 T HPR Lafarge 110 T 42,5 Vicat Simat 150 T 42,5 Lafarge Castellani 180 T 42,5 VICAT Padrona 100 T 42,5 Lafarge

Ceccaldi 35 T 42,5 Lafarge" (…)".

b) Les informations sur les conditions d’achat auprès des cimentiers français

92. Les pièces du dossier démontrent des échanges d’informations ponctuels sur les conditions d’achats obtenues par Anchetti, Simat et Castellani auprès de leurs fournisseurs respectifs (Lafarge ou Vicat) et l’utilisation de ces informations pour obtenir, ensemble et individuellement, des conditions commerciales plus avantageuses que leurs concurrents Padrona et Ceccaldi auprès de leur fournisseur.

93. Dans une note manuscrite, la société Simat a résumé sous la forme d'un tableau les conditions d'achat des différents négociants ajacciens au 1er mars 1997 en distinguant expressément, pour chaque catégorie de ciment, les prix consentis aux négociants stockistes identifiés sous le vocable "Nous" de ceux consentis aux autres négociants identifiés par le vocable "Les autres", ainsi que le rabais supplémentaire obtenu par les uns et les autres (annexe 6, cotes 485-486).

"Au 1/3/97

nous

Tarif -16 BAF net Les autres Rabais sup Net exigé

CPJ 42.5 493,40 - 493,40 542 -31,40 462

HPR 634,40 -51 583,40 634,40 -29 554,40

PM 631,40 -51 580,40 631,40 -29 551,40

94. La société Simat en a informé la société Anchetti et les deux sociétés ont écrit un courrier commun en date du 4 février 1997 adressé à la société Lafarge, pour lui demander la mise en place de nouveaux tarifs à compter du 1er mars 1997 (annexe 6, cote 484) : "Comme suite à notre entretien téléphonique de ce jour et afin de stabiliser un marché fortement dégradé, nous vous demandons avec vigueur la mise en place au 1er mars 1996 [erreur matérielle – 1997] des tarifs suivants :

CP 42,5 vrac 513,40 F/tonne franco Ajaccio HPR vrac 605,40 F/tonne franco Ajaccio PM vrac 602,40 F/tonne franco Ajaccio

Il est bien entendu que le "contrat de coopération commerciale permettant de rémunérer à leur juste valeur les investissements en matériels que nous avons réalisés pour la distribution de vos produits", sera maintenu. Cette juste valeur a été fixée par Monsieur Jean Martin N... à 51 F tonne tous produits confondus et sera versée par semestre à nos sociétés" (Signé Gedimat Anchetti et Ets Tout-Faire Simat).

95. Les sociétés Simat et Anchetti ont d’ailleurs obtenu satisfaction de la part de Lafarge puisque ce dernier a facturé le ciment en vrac CPJ 42,5 en 1997 à 516 F/tonne franco Ajaccio à tous les négociants ajacciens (Annexe 11 cotes 1010, 1014, 1021 et 1023).

Toutefois, il ressort des mêmes pièces que Simat et Anchetti ont également réussi à obtenir des remises "conditions clients" auprès de Lafarge beaucoup plus importantes (272,30 F/tonne) que celles accordées à leurs concurrents Padrona et Ceccaldi (203,7 F/tonne).

96. La société Castellani tenait, quant à elle, sous la forme de tableaux manuscrits, un état précis des conditions d'achat consenties aux sociétés Simat et Anchetti par la société Lafarge (identifiées par le vocable "Nous"), en les distinguant très clairement des conditions d'achat réservées aux "autres" sociétés (annexe 4, cotes 201 et 203) :

"Conditions d’achat Lafarge

Anchetti Simat 42,5 à 393,40 f rendu et 51,00 f tonne sur tous ciments Les autres 42,5 à 462 f rendu soit une différence de 68,60 + 51 = 119,60 Les autres 42,5 = 462 rendu Ajaccio net

Mocchi 42,5 350+80 = 430 rendu Propriano BFA 40,00 vrac = 390

Castelli 42,5 393,40 rendu Porto Vecchio net le sac 34 f – 2 % gros sur négoce Vrac (les autres) LUTTER CONTRE LA CONCURRENCE DU CIMENT GREC DANS LA ZONE D'AJACCIO

97. A partir de 1998, la Société des Bétons Ajacciens (SBA anciennement EIFAG)), principale cliente des négociants en matériaux de construction sur la zone d’Ajaccio, a décidé de procéder à des achats de ciment grec de marque Intertitan de type CEM I 52,5 NF et de diversifier ses sources d’approvisionnement jusque là cantonnées aux négociants ajacciens commercialisant du ciment Lafarge ou Vicat.

98. SBA, installée à Aix en Provence, est détenue par le groupe Mocchi, installé à Propriano et le groupe Colas Midi Méditerranée. Or, le ciment grec de marque Intertitan est commercialisé en Corse par une autre filiale du goupe Colas Midi Méditerranée, la société Dac Perasso.

99. En pratique, SBA a importé cinq remorques Intertitan fin octobre 1998 à un prix moyen de 460 F HT la tonne + 241 F la tonne pour le transport, soit un coût total de 701 F la tonne alors que les prix proposés par Lafarge et Vicat pour du ciment 52.5 en vrac, rendu centrale Perasso (Colas Midi Méditerranée) à Manosque (04) étaient les suivants, auxquels il faut ajouter le coût de transport (annexe 29 cotes 1226 à 1229) :

Tarif Condition ciale Remise exept./conj Net LAFARGE 611,90 F/HT -46.10 F -57 F 508,80 F/HT

VICAT 626 -26 -70 530 F/HT

100. De plus, la société Anchetti, qui est le premier négociant ajaccien pour la commercialisation du ciment vend son ciment 52,5 HPR vrac à SBA 744,97 F HT la tonne, toutes remises déduites (prix d’achat net chez Lafarge : 584,40 F HT).

101. Or, il ressort des pièces du dossier que Simat s’est offusqué auprès de Lafarge du niveau des prix pratiqués par la société Colas, qualifié de "méthode de voyous", dans un courrier en date du 22 juin 1998 (annexe 6 cote 296) :

"A l’attention de M. P...

Cher ami,

Comme suite à notre entretien téléphonique de ce jour, je vous confirme les prix mis en avant par le groupe Colas avec des méthodes de voyous :

Ciment 55 grec norme NF 420,00 F la tonne Transport roll Marseille/Ajaccio 185,00 F la tonne

Pour contrer cette offre, il serait nécessaire d’obtenir le prix du HPR pratiqué par Vicat à Porto Vecchio. Signé : G. D...".

102. Par télécopie du 20 novembre 1998, la société Mocchi, (actionnaire majoritaire de SBA et membre du syndicat) a fait parvenir à M. D... (Simat) copies de factures concernant l’achat de ciment grec par sa filiale SBA, ainsi que le prix du transport (cotes 333-334).

103. Il ressort alors des pièces saisies chez Simat qu’elle et son concurrent Anchetti ont mené en commun des négociations commerciales avec deux de leurs clientes, les sociétés Colas et Mocchi (sociétés mères de SBA) pour leur proposer un prix de vente commun afin de lutter contre la concurrence du ciment grec sur les produits 42,5 et 52,5 HPR et PM :

Feuillet à l’entête Anchetti (annexe 6 cotes 283-284)

42,5 HPR PM

P(x)

Proposition Anchetti/Simat

675,32 -30 F + -20 F

769,97 772,31

-10 F + -20 F

Demande Colas 540,00 F Non 650,00 F Accord éventuel Marras 600,00 F 710 F Non 715 F 675,00 730 775,00 770

-50 Colas -20 Colas -40 -25 Mocchi -10 Mocchi -20".

104. L’entreprise Colas proposait donc à Simat et Anchetti un prix d’achat de 540 F la tonne (42,5) et 650 F la tonne (52,5), prix qui n’ont, semble-t-il, pas été acceptés. Finalement, la négociation semble ne pas avoir abouti à un accord puisqu’il ressort des factures de SBA en 1998 et 1999 que Simat et Anchetti ont continué de lui vendre le 42,5 et le 52,5 HPR et PM au même prix (Annexe 10 cotes 960-973). Ceci résulte notamment du fait que SBA a cessé de s’approvisionner en ciment grec ainsi que l’indique M. U... : "Concernant SBA et SGA, ces sociétés ont acheté 5 remorques de ciment Intertitan 52,5 NF à une autre filiale de Colas Midi Méditerranée, Dac Perasso, fin 1998. Ce type de ciment est parfaitement adapté à la fabrication des agglomérés car son temps de prise est très rapide. Nous n’avons pas donné suite à ce type d’approvisionnement car il nécessitait une logistique trop lourde par rapport aux gains escomptés" (annexe 29 cotes 1222 à 1225).