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Dans sa définition moderne, le terme épigénétique désigne des paramètres, héritables au cours des divisions cellulaires, qui contribuent à la régulation d’états fonctionnels au sein d’une cellule sans affecter directement la séquence d’ADN [316]. La chromatine, de par sa structure très condensée, représente une barrière à l’accessibilité de l’ADN par la machinerie basale de transcription et les facteurs de transcription. Elle est en perpétuel équilibre entre état relâché et état condensé suivant les effets antagonistes de multiples complexes protéiques [190] et il ne fait guère de doute que l’état condensé est défavorable à la transcription. L’information épigénétique au sein de la chromatine est principalement véhiculée par des modifications de l’ADN et des histones ; le remodelage de la chromatine constitue donc une étape cruciale dans la régulation de la transcription [408]. Parmi les

3 Un locus définit lʹemplacement dʹun allèle ou dʹun gène sur un chromosome ou la carte factorielle le représentant. Mais ce terme est généralement employé pour définir lʹemplacement précis d’un gène sur un

complexes de remodelage de la chromatine, on distingue ceux qui sont susceptibles de modifier les histones elles-mêmes, ceux qui influent sur la méthylation de l’ADN et enfin ceux qui utilisent l’énergie de l’ATP pour modifier la structure du nucléosome [214, 364] (Figure 7).

a. Modifications post-traductionnelles des histones : le « code histone » Les histones H2A, H2B, H3 et H4 qui forment le cœur du nucléosome sont de petites protéines basiques très conservées au cours de lʹévolution. La région la plus conservée de ces histones est leur domaine central structuré qui comprend trois hélices séparées par deux boucles. En revanche, les extrémités N-terminales, et dans une moindre mesure C-terminales, de ces histones sont plus variables, dépourvues de structure secondaire et émergent à la surface du nucléosome (Figure 13a). Ces extrémités sont particulièrement riches en résidus lysine et arginine et donc très basiques. Elles sont la cible de nombreuses modifications post-traductionnelles pouvant affecter leurs charges mais aussi lʹaccessibilité à lʹADN et les interactions protéines/protéines avec le nucléosome. Les histones sont modifiées par des acétylations, phosphorylations, méthylations et ubiquitinations. Dans la plupart des cas, les sites précis de ces modifications ont été identifiés (Figure 13b) [78, 225, 303].

L’acétylation des histones est la mieux comprise des modifications que peuvent subir ces protéines, aussi bien en terme de résidus affectés qu’en terme de conséquences sur l’activité transcriptionnelle. Plusieurs lysines sur la queue N-terminale de chaque histone peuvent être acétylées par des histones acétyltransférases (HAT) et désacétylées par des histones désacétylases (HDAC) [226]. Il existe un lien entre l’acétylation des queues des histones et l’activité transcriptionnelle. Les histones hyperacétylées sont associées de manière stable aux régions transcriptionnellement actives et à une structure chromatinienne plus accessible, alors que les histones hypoacétylées se trouvent préférentiellement dans les régions transcriptionnellement silencieuses [99, 162, 163]. En effet, l’acétylation, en détruisant les structures d’ordre supérieur de la chromatine [354], donne à la machinerie basale de transcription et à ses régulateurs un meilleur accès à l’ADN. L’acétylation des queues des histones perturbe la structure du nucléosome en neutralisant les charges positives des lysines, diminuant ainsi son affinité pour l’ADN chargé négativement ou pour les

nucléosomes environnants [152, 241]. Cette acétylation peut aussi influencer la transcription en favorisant ou en empêchant l’interaction avec des facteurs de transcription spécifiques [408].

Figure 13. Histones : positionnement au cœur du nucléosome et modifications post-traductionnelles.

(a) Structure du cœur du nucléosome. La double hélice d’ADN (couleur crème) s’enroule autour d’un octamère protéique constitué de deux molécules de chaque histone : H2A (en orange), H2B (en rouge), H3 (en bleu) et H4 (en vert). Cette image a été obtenue à partir de la structure 1KX5 [77] de la base de données PDB. (b) Modifications post-traductionnelles des histones. Les histones H3 et H4, montrées sous forme de tétramère, peuvent être acétylées (Ac), méthylées (Me) ou phosphorylées (P). Les histones H2A et H2B, montrées sous forme de dimère, peuvent être modifiées par acétylation, phosphorylation ou ubiquitination (Ub). Les enzymes catalysant une acétylation réversible sont indiquées (histone acétyltransférase : HAT ; histone désacétylase : HDAC). Tirée de Davie et al. [78] et adaptée par Marks et al. [249].

Les queues des histones peuvent aussi être phosphorylées. La phosphorylation des histones H1 et H3 a été impliquée dans la condensation des chromosomes lors de la mitose [215] et celle de H3 a aussi été liée à une activité transcriptionnelle augmentée [237].

L’ubiquitination des histones H2A et H2B [79] est réversible. Ces histones modifiées sont associées avec un ADN transcriptionnellement actif. L’ubiquitination dépend de la transcription en cours. L’addition d’ubiquitine peut aussi servir à perturber la structure du nucléosome [354] mais le rôle régulateur de cette modification dans la transcription n’est pas encore très bien établi.

Les histones H2B, H3 et H4 peuvent être méthylées mais les effets de cette méthylation sur la transcription sont encore très mal compris. La méthylation est associée avec les formes acétylées de H3 et H4, suggérant ainsi que la méthylation, l’acétylation et l’activation transcriptionnelle sont corrélées.

Les modifications des histones modulent ainsi la structure de la chromatine, permettant de contrôler les fonctions cellulaires liées à l’ADN comme la transcription. Il est proposé que l’ensemble des modifications des histones constituerait un code, appelé « code histone », qui permettrait d’associer à chaque combinaison de modifications un état particulier de la chromatine [182, 382, 383]. La transduction du code histone implique donc la transformation de l’information codée par les modifications d’histones en une réponse contrôlant les fonctions cellulaires liées à l’ADN. Cette transduction peut être la conséquence directe d’un changement de structure de la chromatine, mais peut faire intervenir un intermédiaire protéique, un transducteur, qui interagit avec l’histone modifiée [81, 357]. De plus, l’existence de plusieurs modifications sur une même histone apporte une dimension supplémentaire au code histone. En effet, une modification sur un site peut influencer la capacité d’un autre site à être modifié, de manière synergique ou au contraire antagoniste [183, 246]. Le schéma actuel s’appuie donc sur une combinaison de modifications, et non une modification isolée, afin de conditionner un état particulier de la chromatine. Ce constat met en évidence le caractère très élaboré du code histone, dont le décryptage n’en est qu’à ses prémices.

De plus, il est intéressant de garder en mémoire que chaque histone du cœur du nucléosome, sauf H4, existe dans la cellule de mammifère sous plusieurs formes protéiques, qui ont des similitudes de séquences variables et sont codées par des gènes différents [126]. L’ensemble de ces formes pour chaque histone est regroupé sous le terme de « variants d’histones ». Bien qu’ils soient connus depuis plusieurs dizaines d’années, les variants d’histones n’ont que très récemment fait l’objet d’un regain d’intérêt, en partie grâce aux progrès technologiques.

b. Méthylation de l’ADN

Chez les eucaryotes, seules les cytosines précédant une guanine (dinucléotide CpG) peuvent être méthylées. Les îlots CpG sont définis comme étant des régions de plus de 200 paires de bases, dont le pourcentage en G+C est supérieur à 50% et dont le rapport « fréquence en CpG observée / fréquence en CpG estimée » est supérieur à 0,6 [131]. Leur distribution le long du génome n’est pas homogène : leur fréquence correspond à 1/5ème seulement de la fréquence attendue. Ceci peut être expliqué par le fait que la plupart des dinucléotides CpG de l’ADN sont mutés : la cytosine du dinucléotide CpG est méthylée sur le carbone en position 5 (Figure 6b) par une ADN méthyltransférase. Les îlots CpG correspondent donc à des dinucléotides CpG qui n’ont pas été mutés.

Dans le génome humain, 70 à 80% des dinucléotides CpG sont méthylés mais pas de manière aléatoire : dans les régions où la densité en dinucléotides CpG est faible, ceux-ci sont méthylés alors que dans les régions où la densité en dinucléotides CpG est forte, c’est-à-dire dans les îlots CpG, ceux-ci ne sont pas méthylés. La méthylation des cytosines au niveau des îlots CpG empêche la transcription du gène situé en aval de ces îlots. Des protéines, se liant à l’ADN méthylé, présentent une activité histone désacétylase, ce qui suggère ainsi que ces protéines peuvent convertir la chromatine en état inactif au niveau du site d’initiation de la transcription et donc assurer la quiescence des gènes [187, 273]. Néanmoins, il semblerait que cette méthylation ne soit pas un phénomène réversible : elle permettrait notamment d’inactiver un des deux chromosomes X chez la femme, de réprimer des gènes étrangers comme des gènes viraux, d’inactiver certains gènes lors de la différenciation [186].

c. Remodelage ATP-dépendant

Les nucléosomes sont sujets à un remodelage conformationnel [104] en plus des modifications covalentes que sont les acétylations, phosphorylations, etc. Le remodelage implique la cassure et la reformation des contacts entre les histones et l’ADN. Bien que le mécanisme précis d’un tel remodelage de la chromatine soit encore inconnu, plusieurs complexes de remodelage ont été identifiés dans la plupart des cellules eucaryotes, les plus étudiés étant les complexes SWI/SNF [408] et RSC de la levure et les complexes NURF,

CHRAC et ACF 4 de la drosophile. Tous ces complexes contiennent une sous-unité ATPase avec un domaine hélicase, qui est essentielle pour l’activité de remodelage ainsi que des sous-unités affectant la régulation, l’efficacité et la spécificité de remodelage.

Les différents complexes de remodelage de la chromatine ont la capacité de rendre le nucléosome plus fluide, dans sa position et sa conformation [204], c’est-à-dire de rendre l’ADN plus accessible en créant une structure nucléosomique qui oscille entre la forme d’origine et une nouvelle forme, dite altérée. Lors de ce processus, les histones nucléosomiques peuvent être transférées sur de l’ADN libre. L’état « altéré » rendrait l’ADN plus accessible à des protéines telles que des facteurs de transcription [336]. Néanmoins, l’action des complexes de remodelage ne spécifie pas si l’état de la chromatine obtenu est positif ou négatif pour la transcription. En effet, certains facteurs de remodelage, comme le facteur Swi2, ont été montrés comme ayant un rôle positif pour la transcription de certains gènes et un rôle négatif pour d’autres gènes [362].