3. Paramètres influençant les processus de dégradation de la MOF dans le sol 3.2. Influence des pratiques agricoles De nombreuses études ont examiné l’influence des pratiques agricoles sur la dynamique des MOS. La plupart des pratiques agricoles ont un effet sur les composantes physiques, chimiques et biologiques du sol et ont par conséquent des répercussions sur les activités biologiques associées, notamment sur la dégradation des résidus de culture. Parmi ces pratiques, le travail du sol, la fertilisation azotée et l’apport de composés exogènes toxiques de type ETM semblent engendrer le plus de modifications de ces activités biologiques, soit par des modifications de la matrice sol, soit directement par des modifications de la composante microbienne indigène (Bünemann et al., 2006 ; Schlesinger & Andrews, 2000). 3.2.1. Influence du travail du sol La compilation des données de la littérature concernant l’influence du travail du sol sur la dégradation de résidus de culture montre deux grandes stratégies d’investigation. La première stratégie est d’utiliser des agrosystèmes avec des sols présentant des historiques culturaux différents en termes de travail du sol (Chen et al., 2009 ; Cookson et al., 2008 ; Fu et al., 2000 ; Lundquist et al., 1999 ; Spedding et al., 2004 ; White & Rice, 2009) ; alors que la deuxième stratégie prend en compte des sols avec le même historique mais qui seront menés sous différentes techniques de travail du sol (labour vs non labour) (Coppens et al., 2006 ; Curtin et al., 2008 ; Nicolardot et al., 2007 ; Sharma et al., 1999). Pour les études menées sur l’influence de l’historique cultural, il apparaît qu’un apport de résidus entraîne une plus importante augmentation de biomasse microbienne dans le sol ayant subi le moins de perturbations dues au travail du sol accumulé dans le temps (Lundquist et al., 1999 ; Spedding et al., 2004 ; White & Rice, 2009). Par contre, au niveau de la minéralisation, les résultats ne sont pas homogènes, certains auteurs observent une minéralisation identique du résidu sous des sols ayant subi différents historiques de travail du sol : sols sous rotations culturales vs système de production végétale intensive (Lundquist et al., 1999) et culture conventionnelle vs non-labour (White & Rice, 2009) ; alors que d’autres mettent en évidence des variations significatives en comparant : le labour vs un travail du sol réduit vs une prairie (Chen et al., 2009). En ce qui concerne les études menées via la deuxième stratégie décrite ci-dessus, et testant l’influence de la localisation du résidu dans le sol via son incorporation grâce au labour ou le fait qu’il soit laissé en surface (sans labour = mulch), les auteurs ont montré des effets différents sur la décomposition des résidus de culture (Coppens et al., 2006 ; Curtin et al., 2008 ; Nicolardot et al., 2007). En effet, les auteurs s’accordent à dire que la décomposition des résidus est plus importante quand ils sont incorporés au sol que lorsqu’ils sont laissés en surface. Ce phénomène s’explique par un meilleur contact entre le sol et le résidu qui améliore les conditions d’humidité et de colonisation microbienne nécessaire à une dégradation optimum du résidu végétal. Toutefois, Abiven et al. (2007) ont montré une absence de différence en fonction de la localisation du résidu, qu’ils expliquent par les conditions non limitantes en azote qu’ils ont appliquées dans leur étude en microcosme. Ils ont suggéré que la structure du sol ferralitique en micro-agrégats augmenterait le contact entre la surface du sol et le résidu et donc gommerait les causes des différences de minéralisation observées précédemment. Par ailleurs, Nicolardot et al. (2007) ont montré que la localisation du résidu (en surface ou incorporé au sol) a une influence sur la diversité des populations microbiennes colonisant le résidu, qui pourrait s’expliquer par les conditions hydriques plus limitantes au niveau du mulch qui mènent à la sélection de populations capables de dégrader le résidu dans ces conditions. A la vue de ces études, il est difficile de pouvoir dégager des tendances générales sur l’influence du travail du sol sur la dégradation des résidus de culture et les successions populationnelles microbiennes impliquées dans cette dégradation. Par ailleurs, certains auteurs ont mis en évidence que l’impact du travail du sol est moins influant sur la dégradation des résidus que d’autres facteurs comme la qualité biochimique du résidu [cf section II.3.1] (Nicolardot et al., 2007). Fu et al. (2000), par une expérimentation double menée au terrain et au laboratoire en conditions contrôlées et comparant des sols sous culture conventionnelle ou sans labour, ont montré que les tendances obtenues in situ étaient comparables à celles obtenues en microcosmes mais toujours avec une amplitude plus faible. Ces résultats montrent l’importance d’intégrer les variations pédoclimatiques du terrain pour valider les études du travail du sol sur la dégradation des résidus de culture, et une telle stratégie doit aussi être appliquée aux études portant sur les dynamiques de communautés microbiennes impliquées dans cette dégradation. 3.2.2. Influence de l’azote disponible Les amendements azotés sont courants en agriculture pour participer à la fertilisation du sol, c'est-à-dire au développement des plantes, mais en contre partie cet apport d’azote intervient sur la décomposition des résidus de plantes réintroduits dans les sols. En effet, plusieurs travaux ont testé différentes concentrations d’azote disponible dans le sol sur la décomposition de résidus de plantes (Recous et al., 1995 ; Henriksen et al., 1999). Ces auteurs ont mis en évidence que l’augmentation d’azote disponible accroît le taux de minéralisation de C de résidu de plantes jusqu’à un certain seuil, puis l’augmentation de la teneur en azote n’a plus d’impact sur la décomposition. Par ailleurs, ils ont montré que plus la teneur en azote disponible dans le sol est importante, plus la biomasse microbienne et l’activité enzymatique associée le sont aussi. En effet, lors de la décomposition de résidus de culture, les microorganismes puisent l’azote qu’ils ont besoin soit dans le résidu lui-même, soit dans le sol. Les résidus avec des C/N bas, c’est à dire des taux d’azote élevés, permettent facilement leur dégradation par les microoganismes grâce à leur disponibilité en azote, contrairement aux résidus végétaux avec des C/N plus haut où l’azote du sol est la source pour les microorganismes. L’azote est donc un facteur important contrôlant la décomposition de MO fraîche (Mary et al., 1996) et il est nécessaire de le prendre en compte dans les études de décomposition. En effet, les conclusions dégagées d’études prenant en compte des conditions limitantes en azote (en conditions naturelles par exemple) ou en conditions non limitantes en azote seront différentes, comme nous avons pu le voir dans la section précédente [II.3.2.2] avec l’étude d’Abiven et al. (2007). Ces auteurs ont suggéré qu’il n’y avait pas de différence de minéralisation entre des résidus de culture incorporés au sol ou laissés en surface et différents types de résidus de culture (riz, soja, sorgho, brachiaria et blé) car les conditions de leur étude étaient non limitantes en azote. 3.2.3. Influence des éléments traces métalliques (ETM) Les contaminations aux éléments traces métalliques dans les sols agricoles sont le résultat de retombées atmosphériques locales (industrielles et urbaines) et d’apports divers (boues de stations d’épuration, composts, engrais, pesticides…) anciens ou actuels (Bünemann et al., 2006 pour revue). L’impact de ces ETM sur la densité, l’activité et la diversité des microorganismes a déjà été largement mené et s’est traduit globalement par des effets délétères sur la composante microbienne du sol mais aussi par une capacité d’adaptation de certains microorganismes à ces substances toxiques (Lejon et al., 2007 ; Lejon et al., 2010) [voir annexes 1 et 3]. L’objectif commun des principales études est de déterminer des seuils critiques auxquels l’effet de ces contaminants est irréversible, tout en prenant en compte les interactions avec les différentes composantes biotiques et abiotiques du sol comme la matière organique du sol (Lejon et al., 2007 ; Lejon et al., 2008 ; Lejon et al., 2010) [voir annexes 1,2 et 3]. Toutefois, l’impact des contaminants sur les processus du sol a été rarement mené spécifiquement sur la dégradation des résidus de culture, même si les modifications des communautés microbiennes du sol par les ETM suggèrent des modifications fonctionnelles importantes dans ces processus. Néanmoins, les études existantes ont mis en évidence une diminution de la respiration du sol après apport de résidus de plantes en présence d’ETM (Aoyama, 1998 ; Giller et al, 1998 ; Tobor-Kaplon et al., 2005) variant suivant le type d’ETM et sa concentration. A l’inverse, Bernard et al. (2009) ont montré une augmentation de la respiration après un apport de résidu de blé dans un sol contaminé au cuivre. Cette augmentation n’est pas due à une plus forte minéralisation du résidu mais à une augmentation de la respiration basale du sol, correspondant à une sur-minéralisation de la MOS via le processus appelé « priming effect » [cf section III.1.2 pour plus de précisions]. Aoyama et al. (1997) avaient d’ailleurs montré que l’addition de métaux lourds dans un sol sans amendement organique augmentait aussi la respiration du sol. Dans l’étude de Bernard et al. (2009), l’étude de la dynamique et de la diversité des communautés bactériennes indigènes a mis en évidence des populations particulières parmi celles activement impliquées dans la dégradation des résidus dans le sol contaminé par rapport au sol non contaminé. La présence de cuivre semble avoir inhibée des populations à croissance rapide en présence de carbone facilement disponible et favorisée la présence de populations co-métabolisant la MOS et la MOF expliquant la stimulation du processus de « priming effect ». Si l’on veut résumer l’impact des ETM sur l’interaction résidus – microorganismes indigènes, les ETM modifient l’abondance et la diversité des populations présentes mais la forte redondance fonctionnelle des microorganismes permet de maintenir les activités biologiques de dégradation de ces résidus (Girvan et al., 2005). Toutefois, une analyse plus précise montre des différences de minéralisation des MOS du sol due au processus de priming-effect et à la stimulation de populations particulières microbiennes et adaptées aux métaux. Dans le document Réponse des communautés microbiennes du sol à l'apport de résidus de culture : influence des pratiques agricoles et lien avec le fonctionnement biologique du sol (Page 50-54)