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Influence des contraintes sur les vitesses d’archet

6.4 Effets de la posture sur le phrasé musical

6.4.3 Altérations des vitesses d’archet dans le phrasé musical

6.4.3.3 Influence des contraintes sur les vitesses d’archet

Pour tenter de confirmer ces observations de manière générale, nous avons analysé l’influence des quatre contraintes posturales sur le descripteur de variations de vitesses d’archet (équation 6.12). Les tendances sont analysées pour chaque violoncelliste (intra-sujets) puis sur tous les musiciens (inter-sujets). Tendances intra-sujets Les variations de vitesse d’archet ont d’abord été calculées intra-sujets à partir des vitesses d’archet de toutes les notes de la séquence de Partie 4 (N=28). Comme on pouvait s’y attendre d’après les courbes observées figure6.15, une tendance de décroissance moyenne progressive semble apparaître avec le renforcement des contraintes posturales pour un grand nombre de violoncellistes. Cette tendance est néanmoins encore plus nette sur le motif des quatre premières notes (N=4) de Partie 4 considéré précédemment. Le calcul des variations de vitesse d’archet moyennes sur ces quatre premières notes est présenté figure 6.16(a) et révèle en effet une nette diminution avec la contrainte posturale, sur presque tous les violoncellistes, quels que soient les modes d’archet détaché ou legato.

Tendances inter-sujets Pour évaluer la stabilité inter-sujets du descripteur de variation de vitesses d’archet, on applique l’analyse de variance (ANOVA) à 2 facteurs [Mode-Posture] par mesures répétées sur le plan des 7 violoncellistes. Une première ANOVA est réalisée sur les variations spectrales de toutes les notes de la séquence (N=28). Il en ressort une tendance significative de décroissance entre les conditions posturales (F3,18= 7.38; p < 0.05⇤⇤). Les tests post-hoc LSD associés à ce facteur montrent essentiellement une différence significative entre les conditions naturelle (N) et totalement contrainte (SCH).

Calculée sur les quatre premières notes du motif syncopé de l’étude, l’ANOVA des variations spectrales révèle un effet toujours significatif du facteur de condition posturale (F3,18= 3.86; p < 0.05), et pas d’effet d’interaction entre les deux facteurs [Mode-Posture]. Ces résultats, présentés figure6.16(b), montrent en effet une baisse des variations de vitesse d’archet avec le renforcement de la contrainte posturale, et ce quel que soit le mode d’archet. Les tests post-hoc LSD associés au facteur de condition posturale mettent en évidence des différences significatives entre la situation de jeu naturelle (N) et la situation d’immobilisation physique complète (SCH) pour les deux modes d’archet.

6.4. Effets de la posture sur le phrasé musical 168

Figure6.15 – Vitesses d’archet moyennées pour chaque violoncelliste sur les notes de la séquence (Partie 4) dans les deux modes d’archet. Pour chaque note, les valeurs de vitesse sont moyennées sur les trois répétitions d’un violoncelliste entre les deux conditions posturales extrêmes : Normale (N) et Contraint complète (SCH).

6.4. Effets de la posture sur le phrasé musical 169

Figure 6.16 – Variations de vitesse d’archet moyennes sur les 4 premières notes de la séquence de Partie 4 (équation 6.12). (a) Variations de vitesse d’archet intra-sujets. (b) ANOVA sur les variations de vitesse d’archet inter-sujets. Cette ANOVA contient 2 facteurs [Posture-Mode] et est effectuée par mesures répétées sur le plan des 7 violoncellistes.

6.4. Effets de la posture sur le phrasé musical 170 Discussion Ces résultats suggèrent que privés des mouvements du buste et surtout de tête, les vio-loncellistes éprouvent davantage de difficultés pour moduler leurs vitesses d’archet. La contrainte d’im-mobilisation posturale complète (SCH) affecterait donc leur perception stéréognosique, c’est-à-dire la conscience des justes déplacements dans l’espace [Gagnepain 2001], et notamment la capacité à organiser correctement le temps espace de l’archet [Hoppenot 1981]. Comme nous l’avons expliqué en effet section 2.1.8.4, c’est la conscience des divisions et places de l’archet à chaque instant, qui permet une planification efficace des vitesses d’archet à fournir sur chaque note : Il est toujours nécessaire de décider des déplace-ments et des vitesses d’archet pour réduire au maximum ces risques de désorganisation, de flottedéplace-ments ou d’incertitudes, dus à une note écourtée par manque d’espace. L’archet est au violoniste ce que le souffle est au chanteur : Trop court, il rend les valeurs étriquées, mais en prenant de l’ampleur, il les épanouit et leur permet d’exprimer les plus subtiles intentions [Hoppenot 1981]. Cette notion de respiration du discours par les mouvements de l’archet semble fondamentale, puisque naturellement, les modulations de vitesse de l’archet permettent de façonner le timbre de chaque note et d’influer sur le temps. En inhibant la posture et notamment la tête du violoncelliste, on étoufferait en quelque sorte la respiration naturelle de l’archet sur toute la trajectoire du son. Au lieu d’anticiper constamment pour construire le phrasé, l’archet deviendrait davantage prisonnier du temps sous contrainte posturale complète, en subissant les difficultés techniques de la structure musicale. Concernant l’exemple du motif syncopé des quatre pre-mières notes en mode d’archet détaché, cela se traduit par une uniformisation globale des vitesses de l’archet, qui raccourcit davantage les valeurs longues (exemple du Mi3 double-croche pointée) et rallonge excessivement les valeurs courtes (exemple du Do2 triple-croche). Au final, il en résulte une augmentation notable des irrégularités de modulations rythmiques (cf figure6.12(b)).

Les travaux de [Phillips-Silver 2008, Trainor 2009] ont montré que les mouvements de la tête seule affectaient l’encodage auditif. Plus précisément, le système vestibulaire de l’oreille interne jouerait un rôle clé dans le traitement du rythme au travers des mouvements corporels. Ces informations permettent de supposer l’existence d’une connexion entre la gestion de l’équilibre postural lors des mouvements de l’archet, et la perception rythmique du phrasé musical. Dans les situations complexes de coordination entre les deux bras, telles que le motif des quatre première notes jouées en mode détaché, l’immobilisation physique de la tête engendrerait un vrai déséquilibre postural, perturbant en chaîne l’équilibre moteur de l’archet, et donc le placement rythmique de chaque note à venir. Un manque d’équilibre et d’appui postural semble particulièrement ressenti sur la première note du motif (le Mi3), puisque l’impulsion motrice censée y être initiée, ne parvient pas à entretenir la cohérence et l’unité du phrasé des quatre notes. On peut ainsi supposer que la contrainte posturale complète a entraîné dans ce contexte un affaiblissement du tonus intérieur des musiciens, qui dérègle leur mécanisme d’horloge interne (mental timekeeper) au point de créer imperceptiblement un certaine désorganisation rythmique. Sous l’effet de ce manque de calme et de fermeté dans la conduite du discours, la perception de la métrique s’estompe, tout comme les couleurs et résonances de timbre propres à chaque note de la phrase musicale (cf figure6.14(b)). Néanmoins, dans un contexte de jeu d’archet plus allongé comme le legato, l’horloge interne du musicien parviendrait à résister au manque d’appui postural et garantir malgré tout l’isochronisme3des mouvements de l’archet (cf figure 6.12(b2)). Dans le mode de jeu legato en l’occurrence, si les vitesses d’archet sont moins diversifiées entre chaque note sous la contrainte posturale, les violoncellistes parviennent tout de même à les compenser en ajustant la longueur des déplacements de l’archet, ce qui rend les déviations rythmiques isochrones par rapport aux mêmes types de gestes de la situation naturelle.

3. L’isochronisme fait partie des principes fondamentaux - avec la loi de puissance deux-tiers et celle de moindre secousse - de la théorie motrice du mouvement soutenue par [Viviani 1995]. Le principe d’isochronisme établit qu’un même geste exécuté à différentes échelles prend à peu près le même temps pour être réalisé.

Quatrième partie

Influence posturale du violoncelliste sur la

qualité sonore

Chapitre 7

Caractérisation du décharnement

acoustique

Sommaire 7.1 Contexte de l’étude . . . 173 7.1.1 Hypothèses . . . 173 7.1.2 Elaboration du corpus . . . 173

7.2 Caractérisation par masque de Gabor . . . 175

7.2.1 Construction mathématique des masques de Gabor . . . 175

7.2.2 Implémentation d’un masque de Gabor . . . 177

7.3 Identification des descripteurs du décharnement. . . 178

7.3.1 Descripteurs spectraux. . . 178

7.3.2 Descripteurs temporels. . . 181

7.3.3 Descripteur spectro-temporel . . . 183

7.3.4 Validation des descripteurs sur le plan signal . . . 184

7.4 Construction d’un modèle perceptif du décharnement . . . 186

7.4.1 Participants . . . 186

7.4.2 Continua de stimuli . . . 186

7.4.3 Procédure des tests d’écoute . . . 187

7.4.4 Analyse des données . . . 187

7.4.5 Résultats . . . 189

7.4.6 Discussion. . . 190

7.4.7 Effets des contraintes posturales sur le modèle de décharnement. . . 192

7.5 Contrôle par la synthèse du décharnement perçu . . . 194

7.5.1 Sélection des descripteurs de contrôle. . . 194

7.5.2 Corpus de stimuli. . . 195

7.5.3 Espace perceptif de décharnement . . . 199

7.5.4 Discussion. . . 202

7.5.5 Conclusions . . . 205

Dans le chapitre précèdent, nous avons pu mettre en évidence sur une séquence musicale complète, que les violoncellistes utilisent des mouvements posturaux du buste et de la tête, pour assurer une cohésion métrique avec leur geste instrumental, et garantir des variations expressives optimales, dans les modula-tions du tempo ou les couleurs du son. Nous nous sommes rendus compte que privés de leurs mouvements posturaux, les musiciens étaient gênés pour maintenir la cohérence expressive de ces variations, et plus particulièrement lorsque la structure musicale exigeait de leur part une très bonne coordination des deux bras. Ainsi, dans le contexte des quatre premières notes de la séquence, le tiré d’archet main droite qui précède le démanché main gauche, semble représenter un exercice de coordination gestuelle, difficilement gérable sans solliciter la posture, même pour des violoncellistes chevronnés.

7.1. Contexte de l’étude 173 Nous focalisons maintenant sur ce motif de quatre notes, car la baisse des variations spectrales consta-tée avec le renforcement des contraintes posturales (cf figure6.14) s’accompagne aussi régulièrement d’une sensation perceptive de dégradation de la qualité sonore sur la première note du motif (le Mi3 précédant le démanché). Certains professeurs de violoncelle qualifient cette dégradation acoustique de décharne-ment (harshness), pour son côté un peu filandreux, nasillard et sifflant, voire métallique, comme si le son perdait de sa densité. Par une écoute attentive des enregistrements audio, nous avons décelé que le déchar-nement de la première note se produisait fréquemment lors de la contrainte d’immobilisation physique complète. Ce chapitre1 tente de caractériser le phénomène de décharnement acoustique en profondeur grâce à l’analyse des propriétés du signal (cf sections 7.1,7.2 et7.3), et l’extraction d’un modèle viable sur le plan perceptif (cf sections 7.4 et7.5). A partir de cette connaissance sur le signal, nous ferons le lien au chapitre 8 entre le décharnement et les mouvements qui en sont à l’origine, que ce soit dans les gestes d’archet comme ancillaires du tronc.

7.1 Contexte de l’étude

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