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CHAPITRE 5 - DISCUSSION GENERALE

1.2. Influence de la dynamique des paysages agricoles

Les paysages agricoles sont des paysages dynamiques. Ces paysages sont structurés en une mosaïque d’habitats changeante, où la configuration spatiale des habitats varie au cours du temps mais

où la quantité d’habitats reste relativement constante, dans un équilibre dynamique (Pickett & White 1985). Les effets de l’hétérogénéité temporelle des habitats et des paysages sur la persistance des populations sur le long terme restent encore majoritairement inconnus dans les paysages agricoles (Vasseur et al. 2013). En effet, les études ne s’intéressent généralement qu’à l’hétérogénéité spatiale des paysages (e.g., Fahrig et al. 2011). Notre étude a permis d’indiquer que la dynamique spatiale de l’abondance et de la distribution des carabiques dominant les terres arables était conditionnée de manière très importante par la dynamique temporelle des habitats dans les agroécosystèmes. En effet, les changements annuels de culture et les pratiques culturales associées à cette rotation dans les patches de cultures annuelles entraînent d’importants changements de distribution, probablement liés aux mouvements entre les patches d’habitats. Cette dynamique induite par l’instabilité environnementale a été observée chez toutes les espèces étudiées dans cette thèse. Le cas le plus frappant étant celui de B. sclopeta, présentant une spécialisation sur deux types d’habitats seulement, entraînant un changement total de distribution entre le colza au printemps/été et les bandes enherbées en hiver, puis de nouveau au printemps suivant vers les nouveaux colzas.

Malgré l’utilisation successive de plusieurs patches d’habitats cultivés, aucun effet de la culture précédente dans les parcelles (i.e., au moment du développement larvaire) sur l’AD des espèces au printemps n’a été mis en évidence dans notre étude. Nos résultats suggèrent que les changements de qualités des habitats au sein des patches, notamment du fait des rotations et des moissons, sont à l’origine d’importants changements de distribution au cours de l’année. Cela entraîne alors une « remise à zéro » de l’abondance des espèces à l’échelle des parcelles. Bien que notre étude ne soit pas basée sur des analyses longitudinales mais transversales, nous pouvons être confiants sur les résultats obtenus, du fait du nombre importants de parcelles échantillonnées. Des résultats similaires ont précédemment été mis en évidence chez P. cupreus par une étude longitudinale de 3 ans sur un petit lot de parcelles (Holland et al. 2005). En revanche, dans cette étude, certaines espèces comme Pterostichus melanarius et P. madidus présentaient une relative stabilité entre les années, notamment liée au fait que les individus, après avoir hiverné dans les bordures, revenaient dans les mêmes parcelles l’année suivante, meme si celles-ci avaient changé de culture.

Ces changements de distribution peuvent être liés à des taux variables de survie entre les patches d’habitats et/ou à des mouvements entre ces patches. Les patrons génétiques observés chez P. cupreus (chapitre 4) et les patrons de distributions observés chez B. sclopeta semblent plutôt confirmer l’hypothèse suggérant d’importants mouvements à l’échelle paysagère. De plus, nous avons observé une influence majeure de la composition paysagère de l’année précédant l’échantillonnage (chapitre 3) chez les espèces étudiées. Ce paysage passé représente la disponibilité et l’arrangement spatial des habitats de reproduction de la génération précédente. Ainsi, la « qualité » de ce paysage passé contrôle à la fois la provenance et la taille du pool d’individus qui sera présent dans le paysage l’année

Discussion générale suivante, et ce à une échelle assez grande, très probablement supérieure à 1000 m. Dans notre étude, le rôle des types d’habitats présents dans le paysage l’année de l’échantillonnage (y compris les habitats semi-naturels) était beaucoup plus faible que celui du paysage l’année précédente. Pour P. cupreus, notre étude indique que les mouvements inter-parcellaires ont lieu principalement avant l’hiver, les individus hivernant en grande partie dans les parcelles de nouveau colza où ils se reproduisent principalement au printemps. A. dorsalis et B. sclopeta quant à eux semblent se déplacer vers les bordures de parcelles pour hiverner, puis se disperser vers les parcelles cultivées (de colza principalement) au printemps. Il est ainsi possible (i) que la mosaïque paysagère ait peu d’effet sur le succès de la dispersion et qu’aucune barrière ne semble empêcher la dispersion, et que donc (ii) une grande part de l’effet du paysage présent soit intégrée dans l’effet local des cultures.

Nos résultats supportent l’idée selon laquelle les effets de l’hétérogénéité temporelle des paysages peuvent dépasser ceux liés à l’hétérogénéité spatiale. Bien que le phénomène de dynamique des patches d’habitat soit évident dans les agroécosystèmes, il est encore peu utilisé comme un élément central permettant de relier la variabilité spatiale et temporelle des systèmes écologiques avec la dynamique des espèces (Wu & Loucks 1995; Burel & Baudry 2005; Wimberly 2006; Vasseur et al. 2013). Wimberly (2006) se pose justement la question de savoir si notre compréhension des liens existant entre quantité d’habitats, patrons spatiaux d’habitats et réponses des espèces ne changerait pas si ces facteurs étaient examinés dans un contexte dynamique. Il a ainsi été montré, de manière théorique, que les organismes pouvaient parfois être plus sensibles à la durée de vie moyenne des patches d’habitat qu’à leur quantité ou connectivité spatiale dans le paysage (Keymer et al. 2000; Wimberly 2006). Les patches déconnectés dans l’espace peuvent être connectés via des « pas japonais » (stepping stones) temporels. Et le taux d’occupation des patches peut ainsi être indépendant de la connectivité spatiale, même lorsque la colonisation des patches dépend d’elle (Biedermann 2004). Le temps de renouvellement des habitats dans le temps est donc important pour le maintien de la connectivité temporelle, et donc des espèces (Matlack & Monde 2004). En conséquence, de nombreuses études n’ont pu mettre en évidence d’effet des caractéristiques du contexte paysager sur les carabiques (e.g., Weibull & Östman 2003; Jeanneret et al. 2003; Aviron et al. 2005), ce qui souligne l’importance de la prise en compte de la composante temporelle de l’hétérogénéité des paysages dans les études. De plus, ce phénomène n’a pu être mis en évidence que grâce à l’approche populationnelle que nous avons choisi d’aborder. La dynamique spatiotemporelle des espèces est beaucoup plus difficile à mettre en évidence à l’échelle communautaire.

Chaque année, à cause des rotations de cultures, les individus émergeant des parcelles doivent se redistribuer dans le paysage afin de recoloniser des habitats cultivés favorables (Purvis & Fadl 1996; Parsa et al. 2011). A chaque saison, quand les parcelles deviennent défavorables à cause de la phénologie des cultures ou des pratiques culturales, la complémentation temporelle d’habitats avec

d’autres parcelles accessibles peut permettre d’assurer la continuité de la disponibilité en ressources au cours du temps. Bien que généralement peu explorée dans les études, la complémentation entre parcelles cultivées annuellement est possible quand la destruction et la (ré)génération des patches d’habitat n’est pas synchronisée dans la mosaïque de cultures (Carriere et al. 2006). Dans le cas de P. cupreus, cette connectivité temporelle des habitats dans les paysages agricoles est très importante, du fait que les individus passent, à l’automne, de cultures moissonnées (colza, tournesol, maïs) vers des cultures nouvellement implantées (colza en particulier). Des patches d’habitats (cultures de printemps) sont ainsi utilisés fugitivement comme des « ponts » permettant une connectivité temporelle. Pour les autres espèces étudiées, cette connectivité temporelle est également importante bien que les individus utilisent des patches d’habitats pérennes comme « étapes » entre les cultures annuelles implantées dans deux années successives, facilitant leurs mouvements.

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