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CHAPITRE 1 - INTRODUCTION GÉNÉRALE

4. M ODELE D ’ ETUDE : LES C OLEOPTERES C ARABIDAE DES AGROECOSYSTEMES

4.1. Ecologie des Carabidae dans les agroécosystèmes

4.1.1. Rythme saisonnier et durée de vie

En milieu tempéré les saisons sont marquées par des conditions climatiques très variables, qui vont imposer des contraintes fortes sur la phénologie et le rythme saisonnier5 des espèces. En Europe, la plage d’activité principale se situe entre le début du printemps et le début de l’automne. Cette période d’activité correspond surtout à la période globale de reproduction des espèces. En hiver, et parfois en plein été, les individus de la plupart des espèces se mettent en diapause6 et cessent donc d’être actifs. La première classification des cycles de vie a été proposée par Larsson (1939) qui proposa trois grandes catégories d’espèces :

les « autumn breeders », se reproduisant à l’automne et hivernant sous forme larvaire ;

les « spring breeders à activité automnale », hivernant comme adultes, se reproduisant au printemps et dont les adultes de la nouvelle génération sont actifs (mais ne s’accouplent pas) à l’automne avant l’hivernation ;

les « spring breeders sans activité automnale », hibernant comme adultes et se reproduisant au printemps, mais les adultes de la nouvelle génération sont inactifs jusque l’année suivante. Les deux-tiers des espèces considérées dans son étude étaient des « spring breeders ».

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Le rythme saisonnier correspond à l’alternance de périodes actives et de repos des différents stades de développement au cours de la saison de végétation (année).

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La diapause (au sens large) est la phase du rythme saisonnier qui inclut une période de dormance facultative ou obligatoire au cours d’un ou plusieurs stades de vie.

Thiele (1977) proposa une classification assez similaire mais tenant en plus compte de l’absence ou de la présence, obligatoire ou non, d’une diapause hivernale et/ou estivale. Den Boer & den Boer-Daanje (1990) et Lindroth (1992) ont proposé une classification plus simple, séparant les espèces hivernant sous forme larvaire (diapause obligatoire et reprise du développement au printemps) de celles hivernant exclusivement sous forme adulte (la présence de diapause dépendant des espèces). Dans la réalité, ces classifications s’avèrent souvent trop simplistes et trop strictes, car elles ne tiennent pas compte de la variabilité intraspécifique de la période d’oviposition ou de variations du temps de développement de certaines espèces (certaines pouvant se reproduire plus d’une fois par an et survivre plus d’une année) (Matalin 2007). Les espèces possèdent une certaine flexibilité dans leur cycle de vie et la période de l’année à laquelle elles se reproduisent varie notamment en réponse aux perturbations de l’habitat (Fadl & Purvis 1998) ; dans certains cas, les espèces sont capables d’adapter leur activité à la culture, pouvant la décaler dans le temps, particulièrement dans les cultures de printemps, comme il a pu être montré pour Pterostichus melanarius et Anchomenus dorsalis (Hance et al. 1990).

La plupart des Carabidae européens et des zones tempérées possèdent un cycle de vie annuel (univoltin – Thiele 1977), mais parfois il peut durer deux ans mais rarement plus (Matalin 2008). Subissant des perturbations très fréquemment, la plupart des patches d’habitat des agroécosystèmes ne sont pas favorables au développement des espèces longévives (Blake et al. 1994; Ribera et al. 2001). En conséquence, ces espèces se retrouvent principalement dans les éléments pérennes du paysage et sont fortement affectées par la fragmentation de ces derniers dans le paysage.

4.1.2. Régime alimentaire

Les Carabidae ont une importance fonctionnelle forte dans les agroécosystèmes, en tant que maillons centraux des chaines trophiques, du fait de leur rôle de prédateurs et de phytophages, ainsi que de ressource alimentaire, pour les oiseaux notamment. Les Carabidae sont typiquement considérés comme polyphages, possédant des régimes alimentaires très variés ; parmi leurs proies on va retrouver une part importante de ravageurs et adventices de cultures, dont des pucerons, limaces, et des espèces de diptères, coléoptères et lépidoptères ravageurs (e.g., Thiele 1977; Luff 1987; Lövei & Sunderland 1996; Kromp 1999; Kamenova 2013). En conséquence, les Carabidae peuvent être une composante majeure de la mise en place de pratiques de gestion intégrée des ravageurs (incluant la lutte biologique par conservation).

L’essentiel des études traitant du régime alimentaire des carabiques se sont intéressées aux adultes. La plupart d’entre eux auraient un régime opportuniste, pouvant varier de manière importante selon les ressources disponibles et les habitats (Allen 1979; Toft & Bilde 2002). Néanmoins, trois grands régimes alimentaires peuvent se dégager : zoophages, phytophages (se nourrissant notamment de

Introduction générale graines) et polyphages (au régime mixte animal/végétal). Les larves quant à elles sont supposées avoir un régime alimentaire moins large, principalement zoophage (Lövei & Sunderland 1996), mais parfois plus ou moins strictement granivore (Jørgensen & Toft 1997a; b; Klimeš & Saska 2010). Chez certaines espèces, les larves sont ectoparasitoïdes, se nourrissant de la nymphe d’autres coléoptères dont des carabiques. Ce comportement a été principalement décrit chez des espèces du genre Brachinus (Erwin 1979; Saska & Honek 2004, 2005; Makarov & Bokhovko 2005). Malgré tout, la caractérisation du régime alimentaire des espèces reste encore assez incertaine, notamment du fait qu’il a souvent été évalué en laboratoire, en utilisant une gamme très restreinte de proies (Sunderland 2002; Symondson 2002; Kamenova 2013). Ainsi, les espèces des genres Harpalus et Amara ont longtemps été considérées comme principalement phytophages (Jørgensen & Toft 1997a; Zhang & Drummond 1998), mais en réalité ne le seraient pas si strictement, surtout pour Amara (Kamenova 2013). De plus, le régime alimentaire peut varier au cours de l’année, même au sein d’un stade de développement donné (Honek et al. 2006).

La grande complexité des stratégies alimentaires rend l’assemblage de Carabidae très important comme maillon du service de régulation des ravageurs et adventices de cultures (Kromp 1999; Honek et al. 2003; Lundgren 2009). Même si la manière dont les individus interagissent avec leurs proies localement reste encore mal connue, le lien entre abondance de carabiques et réduction de la pression en ravageurs a déjà pu être établi dans plusieurs cultures (e.g., (Menalled et al. 1999; Schmidt et al. 2003; Zaller et al. 2009). De la même manière, la densité de carabiques granivores est souvent positivement corrélée à la diminution du nombre de graines d’adventices dans les parcelles (e.g., Menalled et al. 2007; White et al. 2007; Bohan et al. 2011; Petit et al. 2014).

4.1.3. Capacités de dispersion et préférences d’habitat

L’échelle de perception de l’environnement par les individus dépend principalement de leurs capacités de mouvement : les espèces peu mobiles sont susceptibles de percevoir le paysage à des échelles plus fines que les espèces plus mobiles (Keitt et al. 1997). Dans le cas d’environnements instables, la dispersion est un trait clé de la survie des espèces ; en plus des connaissances sur les préférences d’habitat, des connaissances espèce-spécifiques des capacités de dispersion font des carabiques de bons indicateurs de la sévérité de la fragmentation d’habitat (Niemelä 2001). En effet, sur le plan de ces deux traits, trois grands types d’espèces de carabiques peuvent exister dans les agroécosystèmes, mais seuls deux semblent être vraiment avantagés pour pouvoir y survivre sur le long terme :

Espèces spécialistes d’habitat et peu mobiles. Ces espèces sont typiquement celles retrouvées

dans les patches forestiers et les prairies permanentes, fortement affectées par la fragmentation de ces derniers, car incapables de se disperser efficacement entre les patches d’habitats

relictuels et souffrant de leur réduction de taille (Forman & Baudry 1984; Niemelä 2001). Elles constituent le cas typique d’espèces pour lesquelles le paysage peut être caractérisé en deux compartiments, opposant le naturel/semi-naturel (haies, bois ou prairies permanentes) au reste de la matrice (cultures annuelles principalement) (Petit & Burel 1998; Niemelä 2001; de la Peña et al. 2003; Aviron et al. 2005). Du fait que les patches d’habitats ne sont plus assez grands, ces espèces tendent à disparaitre des agroécosystèmes, remplacées par des espèces plus petites, mobiles et souvent ubiquistes (Niemelä 2001; de la Peña et al. 2003). C’est notamment le cas d’un certain nombre d’espèces du genre Carabus, comme C. glabratus et C. violaceus, présentes uniquement dans les grands patches forestiers (Halme & Niemelä 1993). La survie de ces espèces peut néanmoins être aidée en améliorant la connectivité entre patches pérennes, via la mise en place de corridors, continus (linéaires de haies par exemple) ou discontinus (taillis), mais le résultat dépend fortement des espèces et reste assez limité pour ces espèces (Burel 1989; Burel & Baudry 1994).

Espèces spécialistes d’habitat et très mobiles. Ce groupe d’espèces possède un degré de

spécialisation à l’habitat presque aussi important que le groupe précédent. Mais ces espèces possèdent des capacités de dispersion suffisantes pour pallier la taille trop petite des patches d’habitat, qui pourrait empêcher la persistance sur le long terme de la population. Les individus peuvent ainsi recoloniser d’autres patches présents dans le paysage pour survivre. Les populations de ce type d’espèces subissent des extinctions locales et des recolonisations périodiques. Pour ces espèces, la mise en place de corridors est semble-t-il plus efficace du fait de leurs capacités de dispersion plus élevées et leur tendance à être plus aptes à se disperser au travers de patches moins favorables. Ceci est valable pour les espèces associées aux habitats forestiers (e.g., Burel & Baudry 1994) ou aux milieux prairiaux permanents, pouvant utiliser les bords de route et les bandes enherbées pour se disperser (e.g., Vermeulen 1994). Pour Thiele (1977), la spécialisation à un type de culture annuelle ne semble pas exister, cependant, certaines études montrent des associations très fortes entre certaines espèces et un type de culture (e.g., Holland et al. 2005), suggérant la nécessité pour ces espèces de se disperser efficacement dans le paysage pour retrouver cet habitat éphémère. Un tel fonctionnement se rapproche de celui observé chez des insectes ravageurs tels que les pucerons, « suivant » la dynamique spatiale et temporelle de leur culture hôte.

Espèces généralistes d’habitat et mobiles. Pour les espèces généralistes et largement

répandues dans le paysage, la notion de fragmentation est peu adaptée, car presque toute la matrice constitue un habitat potentiel, du moins temporairement. Mais comme les habitats sont pour la plupart éphémères dans les agroécosystèmes, la capacité à pouvoir coloniser rapidement de nouveaux patches est vitale pour survivre à la rotation des cultures habitées (Niemelä 2001; Wamser et al. 2012; Duflot et al. 2014). De par ce généralisme, et par leurs

Introduction générale fortes capacités de dispersion, ces espèces sont théoriquement les plus favorisées dans les agroécosystèmes, et dominent généralement les assemblages d’espèces (Duelli & Obrist 2003).

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