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5.5. T RANSFERT DE MATÉRIAUX : U NE EXPLICATION POSSIBLE DE L ’ HÉTÉROGÉNÉITÉ

5.5.1. Les indices d’un remaniement pour le profil S78 (Goro)

Les résultats obtenus dans le chapitre précédent mettent en évidence des différences d’évolution verticale de la minéralogie et de la cristallochimie de la goethite entre les profils Y5 et S4, d’une part, et le profil S78, d’autre part. Ils montrent notamment que la goethite du profil S78 est mieux cristallisée et plus pauvre en nickel que celle des profils Y5 et S4, ce qui sous-entend que ce profil a subit une altération plus poussée que les deux autres.

Une première explication pourrait être que le profil S78 est mieux drainé que les profils Y5 et S4. Cependant, cette hypothèse semble peu probable car le profil S78 est localisé dans une légère dépression géomorphologique, ce qui sous-entend que les conditions hydrogéologiques sont moins drainantes que dans les deux autres profils qui sont localisés sur des sommets topographiques.

La seconde explication qui s’impose est que le profil S78 est constitué de matériaux déjà différenciés qui se sont accumulés dans une dépression géomorphologique suite à une succession d’épisodes érosifs. Cette hypothèse est étayée par la présence de matériaux très grossiers observés sur les carottes de sondage jusqu’à des profondeurs importantes (environ 30m). Elle est également soutenue par la faible épaisseur des niveaux saprolitiques comparée à celle des niveaux latéritiques pour ce profil (Fig. 7). Enfin, cette hypothèse est également en accord avec les concentrations élevées en carbone mesurées vers 36/37m de profondeur (Fig. 51) et la présence de sidérite (FeCO3) détectée par diffraction de rayons X

et microscopie électronique à balayage à ces profondeurs (Fig. 52). Les données de diffraction des rayons X montrent d’ailleurs que la sidérite est le minéral dominant dans les échantillons collectés à 36.1m et 37.6m.

Figure 51 : Vue du niveau enrichi en carbone et tableau récapitulant les résultats des analyses de carbone total réalisées sur une sélection d’échantillons du profil S78 de Goro.

À droite : photographie montrant l’aspect du niveau enrichi en carbone.

En contexte mal drainé, des conditions réductrices locales peuvent se développer. Par exemple, Trescases (1975) et Latham (1986) ont décrit des environnements latéritiques réducteurs, en aval des couvertures d’altération principales, de plaines alluviales ou de marais. De plus, sur les plateaux latéritiques nickélifères la formation fréquente de dolines est propice à l’accumulation locale et périodique d’eau et de matière organique (Podwojewski & Bourdon, 1996). En effet, ces dolines se chargent d’eau lors de fortes pluies, puis elles se vidangent plus ou moins rapidement lors des périodes plus sèches. Les processus d’évolution des matériaux accumulés dans ces dolines ont été peu étudiés jusqu’à présent. Or, dans le cas de latérites développées sur roches plus acides, telles que des micaschistes, des quartzites ou des sédiments siliceux, plusieurs études ont montré un jaunissement, voire un blanchiment, de la latérite lié au développement de conditions hydromorphes (Peterschmitt et al., 1996 ; Fritsch et al., 2002 ; 2005). Dans ces couvertures d’altération alumineuses, la minéralogie est dominée par les minéraux de type kaolinite, gibbsite, micas, vermiculite, peu colorés par rapport aux oxydes de fer. Donc la couleur de la latérite est principalement contrôlée par la présence de ces derniers. Ainsi, les modifications de couleur observées sont associées à une dissolution sélective des oxydes de fer colorés, du fait des conditions plus réductrices. En effet, l’hématite (rouge) est préférentiellement altérée dès l’apparition de conditions humides, suivie par la goethite (jaune).

« Les gisements de Nickel latéritiques de NC» VOLUME III – Juillet 2014 113

(a) (b)

Figure 52 : Diagrammes de diffraction des rayons X le long du profil S78 de Goro

(a) Diagrammes de diffraction des rayons X enregistrés le long du profil S78 de Goro. Ces données soulignent la grande abondance de sidérite dans les échantillons collectés à 36.1m et 37.6m. Légendes : a/l = asbolane/lithiophorite, gt = goethite, hem = hématite, ol = olivine, qtz = quartz, sid = sidérite, srp = serpentine, tlc = talc. (b) Images de microscopie électronique à balayage (mode électrons secondaires pour celle du haut et mode électrons rétrodiffusés pour celle du bas) illustrant la présence de grains euhédraux bien individualisés de sidérite (haut) ou l’association intime de la sidérite avec des oxydes de fer (goethite) dans l’échantillons collecté à 36.1m de profondeur au sein du profil S78. Sur l’image du bas, les teintes les plus claires correspondent aux zones enrichies en goethite et les teintes les plus sombres correspondent à celles enrichies en sidérite. Le rectangle rouge délimite la zone cartographiée pour préciser la répartition spatiale du fer, du carbone, du silicium et du nickel (Fig. 53).

Sous conditions physico-chimiques, la dissolution réductrice de la goethite est ralentie par la présence d’impuretés, telles qu’Al ou Co, dans la structure (Peterschmitt et al., 1996 ; Boussherrine et al., 1998). Néanmoins, dans le cas d’une dissolution par bioréduction, les modes et cinétiques de dissolution peuvent varier significativement (Bousserrhine et al., 1999). Une fois les oxydes de fer dissous en condition réductrice, le fer ferreux peut rester en solution ou précipiter sous forme de nouvelles phases minérales. La nature de ces

phases dépend fortement des conditions environnementales (Peterschmitt et al., 1996 ; Becquer et al., 2006). En particulier, lorsque de la matière organique est présente dans le milieu, la réduction de la goethite et la nature des phases précipitées sont largement influencées par l’activité bactérienne (Lovley, 2004 ; Bousserrhine et al., 1999). Par exemple, la bioréduction de la goethite peut conduire à la formation de sidérite (FeCO3), de magnétite

(Fe3O4) ou de rouille verte (Fe3CO3 ; Kukkadapu et al., 2001). Ainsi, dans diverses localités

du monde, de la sidérite a pu être identifiée dans des latérites fossiles enfouies sous des sédiments (Fritz & Toth, 1997; Toth & Fritz, 1997; Feng & Yapp, 2009). Ce minéral a également déjà été identifié dans les couvertures latéritiques de Nouvelle-Calédonie, en particulier dans les massifs mal drainés de Tiébaghi et dans les latérites de Goro (Podwojewski & Bourdon, 1996; Chen et al., 2004).

Ainsi, la sidérite détectée vers 36m au sein du profil S78 (Goro) résulte très probablement de la dissolution réductive de la goethite dans un contexte de forte activité en carbone (Ellwood et al., 1988; Mortimer et al., 1997), ce qui plaide en faveur de la présence d’une ancienne dépression de type doline, enrichie en matière organique. Cette ancienne doline aurait été comblée par colluvionnement, ce qui expliquerait la nature fortement différenciée des matériaux constituant le profil S78. Ces observations permettent donc de proposer qu’une partie de l’hétérogénéité latérale des latérites en termes de teneurs en nickel pourrait s’expliquer par des processus de redistribution dans le paysage de matériaux allochtones déjà significativement altérés à la faveur des contrastes topographiques.

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