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Les indicateurs sociodémographiques sont les premiers témoins des évolutions que connaissent les sociétés, et à ce titre ils nous permettent de brosser de façon précise

le paysage familial qui s’est redessiné depuis les années 1970. Dans l’ensemble, les

tendances familiales des Nord-Américains présentent une certaine similarité, mais il

nous a tout de même été possible de repérer des différences notables entre ces sociétés,

notamment parce que le Québec semble embrasser plus pleinement les évolutions

familiales, voire les devancer dans certains cas. Cependant, l’évolution démographique

et sociale n’est pas nécessairement en adéquation avec les mentalités de la population.

Cette diversification des comportements peut être le résultat d’une modification du

contexte économique ou culturel sans pour autant que la population y adhère

pleinement ; les nouveaux comportements peuvent également devancer un changement

d’attitude de la part de la population. Après avoir pris la mesure du changement de la

famille depuis les années 1970, nous souhaitons à présent savoir à travers l’étude de

l’opinion publique si les populations de nos trois sociétés d’étude agréent ces évolutions

et si les représentations qu’elles se font de la famille s’en sont trouvé modifiées. Afin de

pouvoir mesurer l’attitude de la population face à l’évolution de la famille il nous faut

interroger celle-ci sur ses croyances envers différentes valeurs familiales, par le biais de

sondages d’opinion, à différents moments de notre période d’étude, ce qui nous

permettra ainsi de nous rendre compte de l’évolution des mentalités. Nous pensons que

cette méthode est la plus à même de rendre compte de l’adhésion aux changements

familiaux et de l’intégration de ceux-ci dans les mentalités, puisque comme le faisait

remarquer Chantal Maillé, « [l]’opinion publique, prise en instantané via les sondages

d’opinion à différentes périodes, constitue un champ d’observation privilégié des

attitudes et des normes » (Maillé, 1990, p.71). A cette fin, nous utiliserons

principalement les données du World Values Survey (WVS), qui permettent un suivi

longitudinal de l’évolution des valeurs grâce aux quatre vagues d’enquête successives

135

menées en 1982, 1990, 2000

136

et 2006. Ces données sont à la disposition des

135

En réalite, le WVS comprend cinq vagues, toutefois celle qui a été réalisée en 1995 a bien été menée aux Etats-Unis mais n’a pas concerné le Canada, ce qui la rend non pertinente dans le cas de notre analyse.

136 Il convient de préciser que la vague de 2000 a bien été menée cette année-là au Canada, mais elle a en réalité été conduite en 1999 aux Etats-Unis. Cela ne remet pas en cause la pertinence des résultats pour la

chercheurs et ceux-ci peuvent les utiliser en sélectionnant dans la base de données les

échantillons et les variables qui les intéressent. Outre l’assurance de la validité et de la

comparabilités des données obtenues par le WVS, celles-ci nous permettent de mener à

bien notre objectif comparatiste en incluant le Québec. En sélectionnant la variable du

lieu de résidence, il nous a en effet été possible d’extraire les données québécoises de

l’ensemble des résultats canadiens pour les analyser séparément. En revanche, nous

n’avons pas pris en compte la variable de la langue, les données québécoises regroupent

donc les réponses des Québécois francophones et anglophones

137

. Il ne nous a toutefois

pas été possible de réaliser cette distinction entre le reste du Canada et le Québec pour

la vague de 1982, la variable de la résidence n’ayant pas été prise en compte dans la

récolte des données cette année-là. Le lecteur devra donc garder à l’esprit que les

données du Canada en 1982 regroupent celles du Québec et celles des autres provinces.

Il n’en demeure pas moins que pour les autres années, nous pouvons comparer les

résultats de l’ensemble des Etats-Unis avec ceux de l’ensemble du Québec, ainsi

qu’avec ceux du reste du Canada (toutes les autres provinces à l’exclusion des données

québécoises). En conservant tout au long de notre analyse la variable de la résidence

ainsi que celle des différentes vagues, nous avons pu analyser les réponses, sur plusieurs

indicateurs sélectionnés en fonction de leur pertinence à l’égard à notre propos, de

quelque 5000 Américains, 3258 Canadiens hors Québec, et 742 Québécois après

pondération. Des enquêtes menées par des chercheurs et publiés dans leurs différents

travaux viendront compléter ces données. Enfin, nous aurons également recours aux

sondages d’opinion relatifs aux diverses questions familiales réalisés depuis la fin des

années 1960 aux Etats-Unis, au Canada anglophone et au Québec par des instituts de

sondage ou groupes d’intérêt, rendus publics par ceux-ci ou dans la presse.

Une fois de plus, il est difficile de savoir qui des changements familiaux ou des

changements d’attitude ont déclenché les autres tant ils sont imbriqués. Pour Mintz et

Kellog (1988 : 205), « la clé pour comprendre les récents bouleversements dans la vie

de famille réside dans un profond changement des valeurs culturelles ». Ce sont donc

comparaison entre les trois sociétés. Pour des raisons pratiques, lorsque nous ferons référence aux résultats américains de 1999 ainsi qu’aux données canadiennes de 2000, nous les désignerons en tant que vague de 2000.

137 Il nous a semblé préférable de prendre en compte, pour les données canadiennes, la variable de la résidence plutôt que celle de la langue. C’est la différence culturelle et sociale entre le Québec et le reste du Canada que nous cherchons à mettre en évidence, et non entre les deux langues officielles, même s’il est indéniable que la langue française joue un rôle clé dans la particularité du Québec. Nous avons cependant privilégié l’aspect culturel dans son ensemble, qui s’étend également, nous le croyons, aux anglophones de cette province majoritairement francophone.

ces valeurs culturelles et sociales que nous cherchons à mesurer à travers les sondages

et les enquêtes d’opinion. Le terme « valeur » a souvent été utilisé sans discernement

ces dernières années, notamment par l’intermède des family values, très présentes sur la

scène publique et médiatique américaine. En fait, les valeurs sociales, selon le

psychologue Milton Rokeach – qui fut l’un des premiers à théoriser et à définir les

valeurs sociales dans les années 1960 – sont des croyances, selon lesquelles un mode de

conduite spécifique est préférable, d’un point de vue personnel ou social, à un mode de

conduite opposé ou inverse (Rokeach, 1973). Les valeurs sont un idéal social, une sorte

de principe qui guide les individus ou les sociétés ; elles servent de critère de jugement,

de préférence, de choix et de décision étant donné qu’elles sont la base de la

connaissance, des croyances et des attitudes de chacun (Rokeach, 1968). C’est

justement sur les valeurs sociales des Canadiens et des Américains que Michael Adams,

fondateur et président de la firme de sondage canadienne Environics, s’est penché dans

ses différents travaux (Adams, 2003, 2005, 2006). Grâce aux enquêtes d’opinion qu’il

répète tous les quatre ans depuis 1992 dans ces deux sociétés nord-américaines, il a pu

mesurer les récentes évolutions des valeurs sociales des Canadiens et des Américains. A

cet égard, il a constaté que, bien loin de se ressembler de plus en plus, les Etats-Unis et

le Canada, au contraire, s’éloignent au fil des années du point de vue de leurs valeurs,

les Américains se repliant sur des valeurs sociales plus conservatrices alors que les

valeurs exprimées par les Canadiens sont de plus en plus libérales, et cela dans un grand

nombre de domaines (Adams, 2003). En effet, que cela soit dans le rapport à l’autorité,

à la conformité, à l’argent ou à la violence, sur le sentiment de sécurité, le dévouement

envers son pays, la religion, les rapports des sexes ou les dynamiques familiales, cet

écart se retrouve, que l’on prenne chacun des pays dans son ensemble ou que l’on

compare les grandes zones régionales. Adams (2003) établit même que la plus

conservatrice des régions canadiennes reste plus libérale que la plus libérale des régions

américaines

138

. Les mêmes conclusions s’imposent en ce qui concerne les valeurs

familiales. John Micklethwait et Adrian Wooldridge (2004) concluent eux aussi à partir

138

Adams (2003) détermine cela au vu du nombre de répondants américains et canadiens en accord avec l’affirmation suivante en 2000, « Le père de famille doit être le maître du foyer » (The father of the family

must be the master in his own home). Cette affirmation remporte 21% d’adhésions dans la plus patriarcale

des régions canadiennes, l’Alberta, alors que dans la moins patriarcale des régions américaines, la Nouvelle Angleterre (cette région comprend le Maine, le New Hampshire, le Vermont, le Massachusetts, le Connecticut, et le Rhode Island), 29% des répondants sont d’accord avec la suprématie du père à la maison. En revanche celle-ci est acclamée par 71% des répondants dans la région du Sud profond (composée du Tennessee, de l’Alabama, et du Mississippi), sans conteste la région la plus patriarcale aux Etats-Unis.

de sondages effectués depuis les années 1980 jusqu’aux années 2000 que non seulement