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L’ébranlement en profondeur des rapports hommes-femmes, tant sur le plan des valeurs que sur les plans économique et juridique, entraîne une recomposition

complète des rôles et des identités des personnes à l’intérieur des familles, ainsi

que des relations et des attentes des uns à l’égard des autres (Fortin et Gagnon,

2009 : 234).

Les rôles sexuels sont moins différenciés, la division des tâches selon les sexes plus

floue, la doctrine des sphères complémentaires et distinctes abolie. Les hommes

attendent des femmes qu’elles travaillent et contribuent au revenu familial ; les femmes

attendent de leurs compagnons qu’ils compensent leur départ du foyer en effectuant leur

part de tâches domestiques et en mettant en place une vraie co-parentalité. Ainsi,

comme Laplante et Godin (2003 : 215) le remarquent, « [l]a dynamique typique des

nouveaux couples contemporains semble devoir se fonder sur l’identité des fonctions

des partenaires plutôt que sur leur différence ». La famille se fait alors l’écho intime de

ce qui se passe dans la société ; les relations au sein du foyer deviennent plus égalitaires,

à l’image du statut des hommes et des femmes dans la sphère publique et dans le monde

du travail en particulier. C’est en cela que Therborn remarque que le Canada et les

Etats-Unis font partie des sociétés post-patriarcales, qu’il définit par « l’autonomie des

adultes par rapport à leurs parents et des droits familiaux égaux pour les hommes et les

femmes – pas seulement des droits proclamés mais des droits que l’on peut faire valoir

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« The sexual revolution, which undermined the monogamy-for-sexual access bargain implicit in traditional marriage; the influx of women into the workforce, which diminished men’s role as sole breadwinner; the legalization of abortion, which led many men to shed moral responsibility for a child’s birth; the growth in divorce and nonmarital cohabitation, which have made families somewhat less stable than in the past ».

en cour de justice »

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(Therborn, 2004 : 127). L’égalité conjugale et parentale de

l’homme et de la femme au sein du foyer ne présume en revanche pas de leur égalité

salariale. Toutefois, en théorie, dans la famille moderne, avec la baisse de pouvoir du

mariage, avec l’abolition de l’autorité paternelle au profit de l’autorité parentale, et

l’abandon par les censeurs du concept patriarcal de « chef de famille »

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, l’homme n’a

plus l’ascendant sur la femme comme c’était le cas auparavant. Pour autant, la

proportion toujours assez relative de femmes placées à des positions dirigeantes dans les

hautes sphères économiques, juridiques et politiques, ainsi que le simple fait que les

femmes ne sont pas encore tout à fait les égales des hommes ni dans le monde du travail

ni au sein du foyer (comme le montre l’inégale répartition des tâches domestiques),

impliquent que les sociétés canadiennes et américaines ne se sont pas encore totalement

débarrassées de leur ancrage patriarcal. Il n’en reste pas moins que le patriarcat, en tant

que « système d’organisation de la famille et de la société, basé sur la répartition

différentielle des tâches, à savoir la soumission de la femme et l’obéissance des

enfants » (Ben Barka, 2003a : 27), a nettement reculé dans ces deux sociétés, au point

d’être « le gros perdant du XX

e

siècle » aux dires de Therborn (2004 : 72), qui estime

que « aucune autre institution sociale n’a été obligée de se retirer autant ». On en veut

pour exemple le choix du nom de famille au Québec, qui, bien qu’apparemment

anecdotique, semble pourtant illustrer une certaine tendance à valoriser davantage

l’identité maternelle (Valetas, 2002). En 1981, l’article 393 du nouveau code civil

québécois adopté en 1980, entre en vigueur ; celui-ci impose aux femmes le maintien de

leur nom de naissance, elles ne peuvent donc plus prendre celui de leur mari au moment

du mariage. Ceci est donc un premier pas vers l’officialisation de la dépatriarcalisation

de la société québécoise, et la marque de la perte d’ascendance du mari sur sa femme.

Le prolongement de cet article concerne les enfants, qui peuvent alors recevoir le nom

du père, celui de la mère ou un nom composé à partir des noms de famille du père et de

la mère. Suite à cette nouvelle législation, le démographe québécois Louis Duchesne

(2002) note que le nom du père perd du terrain : les enfants nés en 1980 reçoivent dans

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« Post-patriarchy means adult autonomy from parents and equal male-female family rights – not just as proclaimed rights but as justiciable claim rights ».

134 En 1951, pour la première fois, il est explicitement indiqué dans les instructions du recensement canadien que l’époux serait considéré comme le chef du ménage. Jusque là, bien qu’il n’existait pas de directive explicite à ce sujet, l’homme ou l’époux était naturellement considéré comme le « chef » du ménage. On a continué de considérer l’époux comme le chef du famille jusqu’en 1976, année où, suite à la forte opposition de la part des personnes recensées, il a été décidé que l’époux ou l’épouse pouvait être considérée comme le chef du ménage. Ce terme a finalement été abandonné lors du Recensement de 1981.

93% des cas le nom de leur père, en 1997 ils ne sont plus que 72%. Cette même année,

21% des enfants avaient reçu un nom double (parmi les noms doubles, le nom de la

mère précède celui du père dans trois cas sur quatre, soit 16% de tous les enfants nés en

1997 au Québec), et 6% portent seulement le nom de la mère. A la fin des années 1990,

si l’on additionne les noms doubles débutant par le nom de la mère et les noms de la

mère, c’est un enfant sur cinq qui est d’abord identifié à la mère (en 1992, c’était même

un enfant sur quatre), signe que le Québec s’éloigne petit à petit de ses ancrages

patriarcaux. Par ailleurs, ce sont les francophones, plus que les anglophones ou les

allophones, qui ont le plus tendance à donner à leur enfant le nom de la mère ou un nom

double dans lequel le nom de la mère tient la première position. Ceux-ci ont donc moins

tendance que les anglophones à vouloir identifier leurs enfants avec le nom du père (en

1997, 78,5% des anglophones au Québec donnent à l’enfant le nom du père

comparativement à 69,6% pour les francophones) ; on retrouve donc ici une fois encore

la particularité culturelle du Québec francophone. Il n’en reste pas moins que la très

grosse majorité des Québécois, pourtant les plus égalitaires dans leurs comportements

conjugaux et face aux rôles des sexes, continuent cependant de choisir le nom du père,

signe que même si la législation et les comportements démographiques cherchent

graduellement à initier ou à accompagner le recul du patriarcat, les attitudes des

Québécois, des Canadiens et des Américains en sont encore largement empreintes.

PARTIE II

ATTITUDES ET REPRESENTATIONS