• Aucun résultat trouvé

3.1 L’ÉCART (OU AMPLEUR), L’INTENSITÉ ET LA GRAVITÉ DE LA PAUVRETÉ

À partir des données sur le revenu, les taux de faible revenu sont relativement bien documentés, ce qui permet de suivre la situation de nombreux groupes vulnérables. Afin de compléter le portrait fourni par ces taux, les éléments suivants, notamment, peuvent être mis à contribution : l’écart (ou ampleur), l’intensité et la gravité de la pauvreté.

ÉCART (OU AMPLEUR)

Écart entre le revenu moyen des unités familiales ou des personnes considérées comme ayant un faible revenu et le seuil. Cet écart peut être exprimé en dollars ($) ou en pourcentage du seuil (%) : (seuil - faible revenu moyen) ou (seuil - faible revenu moyen)/seuil INTENSITÉ Écart pondéré par le taux de faible revenu : ([seuil - faible revenu moyen]/seuil) x taux GRAVITÉ Intensité que l’on calcule en incorporant la dispersion du revenu des plus pauvres parmi

les pauvres (révélatrice des inégalités chez les plus pauvres eux-mêmes), ce qui permet de lire l’aversion à l’égard de la pauvreté

Les taux de faible revenu sont parfois accompagnés de la mesure de l’écart de faible revenu, qui représente le manque à gagner d’une famille à faible revenu par rapport au seuil de faible revenu pertinent. Par exemple, une famille ayant un revenu de 15 000 $ et dont le seuil de faible revenu pertinent est de 20 000 $ aurait un écart de faible revenu de 5 000 $. En pourcentage, il s’agit d’un écart de 25 %. Plusieurs auteurs ont aussi analysé l’intensité des faibles revenus, en mesurant le rapport de l’écart de faible revenu sur le seuil, pour ensuite pondérer le rapport par le taux19. On peut aussi aller encore plus loin, en ajoutant à l’intensité une mesure de la gravité de la pauvreté, qui tient davantage compte du revenu des plus pauvres parmi les pauvres20.

Une façon simple d’interpréter ces données consiste à comparer les deux années et à lire tous les indices (2002 = 100) qui ont diminué comme une amélioration de la situation et tous ceux qui ont augmenté comme une détérioration de la situation (tableaux 20, 21 et 22).

19 Par exemple, si le revenu moyen (après impôt) de tous ceux qui se situent sous le seuil est de 7 000 $ et que le seuil est de 10 000 $, la différence de 3 000 $ divisée par un seuil de 10 000 $ entraîne un rapport de 30 %. Ce rapport devrait être interprété comme plus faible, par exemple, qu’une différence de 5 000 $, toujours pour un seuil de 10 000 $, qui correspondrait à un rapport de 50 %. En outre, le fait de pondérer ce rapport par le taux de faible revenu peut être interprété de la même façon. Ce même rapport (30 % ou 50 %) sera d’autant plus « intense » qu’il touchera une proportion plus grande de la population, ce que l’on observe avec le taux de faible revenu. Un rapport de 30 % combiné à un taux de faible revenu de 10 % mène à un indice d’intensité de 3, alors qu’un rapport de 30 % combiné à un taux de faible revenu de 15 % aboutit à un indice d’intensité de 4,5. De la même façon, un rapport de 50 % combiné à un taux de faible revenu de 10 % donne un indice d’intensité de 5, et un rapport de 50 % combiné à un taux de faible revenu de 15 %, un indice d’intensité de 7,5.

20 On intègre à la formule de l’intensité une mesure de la dispersion relative des personnes sous le seuil en guise d’indicateur des inégalités parmi les pauvres eux-mêmes. On présume ici que plus la dispersion est grande, plus la société accepte qu’il y ait des personnes très pauvres parmi les pauvres, et que plus elle est faible, moins cette société les accepte, plus elle tente de réduire les inégalités qui frappent les pauvres eux-mêmes (aversion à l’égard de la pauvreté).

TABLEAU 20

INDICATEURS COMPLÉMENTAIRES : ÉCART, INTENSITÉ ET GRAVITÉ DU FAIBLE REVENU, D’APRÈS LA MESURE DU PANIER DE CONSOMMATION (MPC, BASE 2011), POUR L’ENSEMBLE DES PERSONNES ET SELON LE SEXE, QUÉBEC, 2002 ET 2014

2002 2014

Toutes les

personnes Hommes Femmes Toutes les

personnes Hommes Femmes

Taux de faible revenu (%) 10,8 10,0 11,7 9,4 8,8 10,0

Écart relatif moyen (pourcentage) 29,5 30,0 29,0 30,1 32,1 28,3

Intensité (ampleur x taux) 3,2 3,0 3,4 2,8 2,8 2,8

Gravité (ampleur2 x taux) 0,9 0,9 1,0 0,9 0,9 0,8

Indice intensité 2002 = 100 100,0 100,0 100,0 88,8 94,2 83,4

Indice gravité 2002 = 100 100,0 100,0 100,0 90,6 100,8 81,4

Source : STATISTIQUE CANADA, CANSIM 206-0041; compilation du CEPE, septembre 2016.

Entre 2002 et 2014, l’écart (ou ampleur) n’a que peu bougé. L’intensité et la gravité, pour leur part, ont passablement diminué pour l’ensemble des personnes et pour les femmes. Toutefois, l’indice évolutif de gravité (2002 = 100) est demeuré à peu près stable pour les hommes (tableau 20).

TABLEAU 21

INDICATEURS COMPLÉMENTAIRES : ÉCART, INTENSITÉ ET GRAVITÉ DU FAIBLE REVENU, D’APRÈS LA MESURE DU PANIER DE CONSOMMATION (MPC, BASE 2011), POUR L’ENSEMBLE DES PERSONNES ET SELON L’ÂGE, QUÉBEC, 2002 ET 2014

Écart relatif moyen (pourcentage) 29,5 21,5 32,6 17,9 30,1 20,0 33,8 14,4

Intensité (ampleur x taux) 3,2 2,5 3,9 0,6 2,8 1,7 3,7 0,6

Gravité (ampleur2 x taux) 0,9 0,5 1,3 0,1 0,9 0,3 1,3 0,1

Indice intensité 2002 = 100 100,0 100,0 100,0 100,0 88,8 69,8 95,0 91,9

Indice gravité 2002 = 100 100,0 100,0 100,0 100,0 90,6 64,9 98,5 74,0

Source : STATISTIQUE CANADA, CANSIM 206-0041; compilation du CEPE, septembre 2016.

Toujours entre 2002 et 2014, l’observation des indicateurs d’intensité et de gravité révèle également une progression dans une direction qui indique une amélioration de la situation pour toutes les catégories d’âge (tableau 21).

51

TABLEAU 22

INDICATEURS COMPLÉMENTAIRES : ÉCART, INTENSITÉ ET GRAVITÉ DU FAIBLE REVENU, D’APRÈS LA MESURE DU PANIER DE CONSOMMATION (MPC, BASE 2011), POUR L’ENSEMBLE DES PERSONNES ET SELON LE TYPE D’UNITÉ FAMILIALE, QUÉBEC, 2002 ET 2014

Taux de faible revenu (%) 10,8 23,2 8,5 9,4 23,4 6,3

Écart relatif moyen (pourcentage) 29,5 36,4 25,8 30,1 39,6 22,2

Intensité (ampleur x taux) 3,2 8,4 2,2 2,8 9,3 1,4

Gravité (ampleur2 x taux) 0,9 3,1 0,6 0,9 3,7 0,3

Indice intensité 2002 = 100 100,0 100,0 100,0 88,8 109,7 63,8

Indice gravité 2002 = 100 100,0 100,0 100,0 90,6 119,4 54,9

Source : STATISTIQUE CANADA, CANSIM 206-0042; compilation du CEPE, septembre 2016.

Enfin, toujours pour la même période, les indicateurs d’intensité et de gravité révèlent que, si elle s’est améliorée pour toutes les personnes, la situation masque des écarts assez considérables selon les sous-catégories de personnes dans des unités familiales. On observe en effet une détérioration de la situation des personnes seules (augmentation de l’intensité et de la gravité de la pauvreté) et une amélioration de la situation pour les personnes dans des familles économiques de deux personnes ou plus (diminution de l’intensité et de la gravité de la pauvreté) [tableau 22].

Ainsi, en 2014, les taux de faible revenu sont plus défavorables pour les personnes seules, de même que l’intensité et la gravité de la pauvreté. Une explication parfois avancée veut que les personnes qui ont pu quitter une situation de faible revenu en franchissant les seuils laissent derrière elles des personnes plus éloignées de ces seuils (écart ou ampleur), ce qui aurait une incidence sur l’intensité et la gravité de la pauvreté. Cela s’appliquerait ici pour les personnes seules, mais pas pour les personnes dans des familles économiques de deux personnes ou plus.

Une illustration complémentaire des écarts est également fournie avec l’un des indicateurs retenus dans le cadre des indicateurs de développement durable au Québec, soit le « revenu familial excédentaire ». En réalité, ce revenu peut être soit déficitaire par rapport à la MPC, soit excédentaire.

Il permet d’observer la moyenne des écarts entre le revenu familial disponible selon les quintiles de revenu et le seuil de la mesure du panier de consommation (MPC), ajusté selon la taille de la famille.

Les données actuellement disponibles pour le Québec, publiées par l’Institut de la statistique du Québec, portent sur la période de 2002 à 2013 (tableau 23).

TABLEAU 23

REVENU FAMILIAL EXCÉDENTAIRE (MOYENNE DES ÉCARTS ENTRE LE REVENU FAMILIAL DISPONIBLE ET LE SEUIL DE FAIBLE REVENU SELON LA MESURE DU PANIER DE CONSOMMATION [MPC]), AJUSTÉ SELON LA TAILLE DE LA FAMILLE, SELON LE QUINTILE, DOLLARS DE 2013, QUÉBEC, 2002-2013

2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Quintile inférieur -2 958 -2 875 -2 505 -3 571 -2 933 -2 931 -3 271 -3 809 -4 159 -4 214 -4 812 -4 400 Deuxième quintile 6 029 6 166 6 463 5 871 6 304 6 986 6 384 6 264 6 086 5 667 6 079 6 416 Troisième quintile 12 708 12 875 13 182 13 040 13 349 14 423 14 008 13 925 13 705 13 384 13 666 14 004 Quatrième quintile 21 608 21 772 22 351 22 089 22 490 23 697 23 688 23 192 23 110 22 614 23 479 23 637 Quintile supérieur 46 399 45 752 47 413 46 378 47 922 49 250 49 912 49 776 49 210 49 036 50 852 49 391

Source : Banque de données des statistiques officielles sur le Québec (BDSO), Revenu familial excédentaire, site consulté en septembre 2016.

On y remarque que la situation des unités familiales du quintile inférieur s’est dégradée au fil du temps. Il est en effet frappant de constater que, pour le quintile inférieur, le revenu est de plus en plus déficitaire (en dollars constants). Il a varié de façon un peu cyclique, mais globalement, après 2010, ce déficit dépasse les 4 800 $ (atteignant 4 812 $ en 2012, montant redescendu à 4 400 $ en 2013), alors qu’il était de moins de 3 000 $ au début de la décennie (2 958 $ en 2002). À l’opposé, le revenu excédentaire des autres quintiles est toujours plus élevé en 2013 qu’en 2002.

3.2 LA PRIVATION MATÉRIELLE

Enfin, la problématique plus large des conditions de vie peut maintenant être approfondie à l’aide des récents résultats de l’Enquête canadienne sur le bien-être économique (ECBE) de 2013, de Statistique Canada. On y présente un indicateur de « privation matérielle »21, une adaptation faite au Canada d’un indicateur depuis longtemps conçu et utilisé en Europe. Il s’agit en l’occurrence d’une façon de juger de l’évolution de ces conditions de vie, conditions qui ne peuvent être réduites à la seule mesure financière d’un indice comme celui de la MPC.

À partir de l’échantillon de ménages québécois tiré de cette enquête, CRESPO (2015) examine « la prévalence de la privation matérielle, les caractéristiques des ménages à risque, la relation entre la privation matérielle et le faible revenu, et enfin les caractéristiques des ménages associées à un seul ou au cumul de ces deux problèmes » (p. 10). Dans sa conclusion, on peut lire qu’«en 2013, trois ménages sur dix au Québec ont connu au moins une privation. Les trois besoins les plus fréquemment insatisfaits faute de moyens sont : pouvoir compter sur ses propres ressources pour couvrir une dépense imprévue de 500 $, pouvoir remplacer des meubles usés, et payer des soins dentaires courants. Les proportions s’élèvent à 18 % dans les deux premiers cas et à 12 % pour le troisième besoin identifié. Plus le nombre de besoins non satisfaits est élevé, plus la proportion des ménages diminue. Ainsi, près du tiers des ménages québécois comptent au moins un besoin non satisfait, 10 % au moins quatre, 3 % au moins sept, et 1 % au moins neuf » (p. 17).

Parmi les caractéristiques davantage associées à la privation, on observe que le soutien principal du ménage est âgé de moins de 65 ans, qu’il est immigrant, que son niveau de scolarité n’est pas universitaire, que ce soutien est une personne seule ou qu’il vit en famille monoparentale, qu’il est sans emploi mais non retraité, ou encore est retraité, que le nombre de travailleurs dans le ménage est faible, que le nombre de personnes dans le ménage est élevé et enfin, que le ménage n’est pas propriétaire du logement (p. 17).

21 Voir la liste des 17 questions qui permettent de construire cet indice (CRESPO, 2015, p. 11). Au Canada, cette enquête n’est pas récurrente. L’Ontario a bénéficié d’une première collecte de données en 2008. Au Québec, une seule collecte a été réalisée à ce jour en 2013.

53