• Aucun résultat trouvé

Comme le montre bien Elizabeth De Michelis, un autre facteur à prendre en considération pour comprendre l'émergence du yoga moderne, est l'influence exercée par l'ésotérisme occidental – présent de longue date dans le sous-continent indien – sur l’élaboration de l'hindouisme néo-Vedanta [De Michelis, 2004]. Une longue histoire d’échanges entre ésotérisme occidental et néo-hindouisme commence à cette époque. Comme nous allons le voir dans le prochain chapitre, dans les dernières décennies du XIXème siècle le Swami Vivekananda

contribue de façon décisive à l’élaboration du yoga moderne en opérant une synthèse entre ces deux courants.

En reprenant la définition d'Antoine Faivre, l'expression « ésotérisme » se réfère aux courants apparus à partir de la Renaissance qui, en reprenant des éléments des traditions anciennes tels que l’hermétisme alexandrin, le pythagorisme et le néo-platonisme, se proposent

« […]de faire rentrer de nouveau dans le champ du savoir et de la réflexion ce que la théologie, sous l'influence de la scolastique, particulièrement de l’aristotélisme, avait eu tendance à délaisser de plus en plus au profit de discours portant sur les causes premières – l’universel – d'une part, le particulier d'autre part, laissant presque à l’abandon tout le domaine des 'causes secondes' et des entités intermédiaires » [Faivre, 1996 : 15].

Pendant la période de modernisation hindoue, un processus de dialogue et d'influences réciproques s’amorce entre l'Hindouisme et l'ésotérisme occidental. Les intellectuels à qui on doit l'élaboration de l'hindouisme moderne « assimilated the 'esoteric' elements of classical Hinduism mainly by reinterpreting them […] through the lenses of Western esotericism and occultism » [De Michelis, 2004 : 29].

Parmi les courants impliqués dans ce processus de fertilisation on retrouve la franc-maçonnerie, porteuse de principes universalistes et qui, établie en Inde à partir du 1730, arrive à devenir vers la fin du dix-neuvième siècle un lieu de rencontre privilégié entre hauts fonctionnaires anglais et indiens [De Michelis, 2004].

27

Petrowna Blavatsky et le colonel Olcott a New York, est considérée comme ayant un rôle très important [Altglas, 2005]. Née au sein de milieux spiritistes américaines, la Société Théosophique propose une nouvelle synthèse occultiste influencée par les religions orientales [Hanegraaff, 1996]. Elle élabore progressivement une doctrine dont les objectifs principaux sont : « a) former le noyau d'une fraternité universelle, b) encourager l’étude de toutes les religions, de la philosophie et de la science, c) étudier les lois de la Nature ainsi que les pouvoirs psychiques et spirituels de l'Homme » [Faivre, 1996 : 94].

La Société Théosophique, tout en étant enracinée dans l'occultisme occidental, assimile des éléments des religions Orientales et des prospectives propres à la religion comparée [Hanegraaff, 1996]. L'apparition dans le domaine académique de cette discipline qui se propose de repérer les éléments communs des différentes religions, est perçue par la Société Théosophique et les autres courants ésotériques, comme étant capable « [to] prove the concordance of all religious traditions, and that such findings would lead humanity to a higher religious synthesis » [De Michelis, 2004 : 81].

La Société Théosophique s'empare des éléments de la religion hindoue, tels que l'émanatisme, la conception du divin (absolu) considéré comme étant à l’intérieur de l'individu ou encore la doctrine du Karma, en les développant, toutefois, dans le cadre de la pensée scientifique moderne [Hanegraaff, 1996]. En reprenant la thèse de Hanegraaff, on peut estimer que la Société Théosophique est essentiellement un mouvement occidental, car malgré le fait qu'elle ait assimilé et réinterprété des concepts spécifiques aux religions indiennes, ceux-ci sont sortis de leur contexte religieux d'origine et abordés à travers le prisme de la tradition ésotérique, de l'occultisme, comme de la pensée scientifique : ceux-ci sont les bases sur lesquelles se fonde la doctrine théosophique moderne [Hanegraaff, 1996].

Suite à leur l'installation à Calcutta en 1879, ses fondateurs, charmés par l'orientalisme romantique, voient dans les Veda la source d'une sagesse ancienne à l'origine de toute foi religieuse et ils participent activement au climat de réforme sociale et culturelle du pays [Altglas, 2005].

La Société Théosophique avec d'autres groupes occultistes, tel que les transcendantalistes et les spiritistes qui partagent la quête d'une nouvelle spiritualité basée sur la science, une approche propre de l'étude comparative des religions et une foi dans le progrès, ont joué un rôle de premier ordre en ce qui concerne la diffusion des idées orientales auprès d'un public occidental

28

[Hanegraaff, 1996]. Comme le dit la sociologue Nadia Garnoussi dans sa thèse de doctorat De nouvelles propositions de sens pratiques dans le domaine de l'existentiel : étude sociologique de la « nébuleuse psycho-philo-spirituelle » :

« Si l’influence des traditions orientales est majeure dans les bricolages du Nouvel Age, la Société Théosophique et les occultistes, dans la tentative d’articuler science et religion universelle avait également fait des emprunts aux religions orientales ; l’intérêt pour le psychisme et le mysticisme trouvera dans l’Orient spirituel des outils pour élaborer une approche alternative et ésotérique de l’homme et de son destin dans le monde. L’appropriation de la notion de réincarnation montre comment ces réseaux ont articulé une contestation des modes de pensée Occidentaux (à la fois dans la religion établie et dans la politique) et l’aspiration typiquement Occidentale à l’avènement positif de l’homme et de l’histoire » [Garnoussi, 2007 : 28]

Plus particulièrement il nous intéresse ici de souligner leur implication dans la divulgation des enseignements du yoga, interprété par la Société Théosophique comme une science occulte [Killingley, 2014]. En effet, si le yoga est perçu jusqu’à ce moment en Occident comme étant exclusivement l'apanage des études faites par les spécialistes, il commence ici à être proposé comme une pratique susceptible d’être pratiquée par tout le monde [De Michelis, 2004].