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Inégalités et solidarités territoriales

A. Espaces de montagne et changement climatique : enjeux, acteurs, politiques publiques.

A. 4. Inégalités et solidarités territoriales

Les espaces de montagnes, « gagnants » ou « perdants » (OCDE, 2007) face au changement climatique, appellent une lecture en termes d’inégalité et de solidarité territoriales. En effet, la traduction locale de l’enjeu climatique comme les pratiques d’adaptation font intervenir plusieurs échelles d’action, souvent mobilisées au titre de handicaps ou de la solidarité entre territoires. La manifestation d’inégalités ou d’injustice, ainsi que la mise en œuvre de mécanismes de réduction de ces inégalités via des système de solidarité, se déclinent à plusieurs niveaux : à l’échelle nationale, de massif, de vallée ou de bassin versant.

Le « handicap » montagne

En matière d’aménagement du territoire à l’échelle nationale, le traitement des espaces montagnards a pris la forme d’aides de l’Etat au titre de « handicaps » inscrits notamment dans la « loi montagne » de 1985. Les élus de montagne, représentés par l’ANEM, oeuvrent pour une reconnaissance des vulnérabilités spécifiques des territoires de montagne et à leur prise en charge par les pouvoirs publics. La prise en compte des impacts liés au changement climatiques s’inscrit dans cette activité de lobbying qui se manifeste à la fois dans l’urgence (sur la question des emplois saisonniers par exemple au sortir de l’hiver 2006-2007), ou de manière anticipée. La publication du rapport d’octobre 2007 est l’occasion de réitérer des revendications qui ont trait à plusieurs domaines :

- agriculture : une Dotation globale de fonctionnement adaptée aux territoires à haute

valeur environnementale destinée à soutenir et rémunérer l’activité agricole au titre de

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« Ces évolutions annoncent des rendements de l’activité agricole globalement améliorés, notamment en compensant le handicap naturel qu’est l’altitude. Les systèmes d’élevage sont directement concernés par cette tendance dans la mesure où la période d’estive pourrait également être prolongée. » (ANEM, 2007 : 15).

l’entretien de l’espace, du maintien des paysages et de la biodiversité (ANEM, 2007 : 24), la rémunération des « prestations environnementales et paysagères » via le renforcement de l’Indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN) ;

- immobilier : la mise en place d’un programme particulier pour la montagne dans le

cadre des Opérations programmées d’amélioration thermique et énergétique des bâtiments Etat/ADEME ;

- risques naturels : la préservation du principe de solidarité nationale sur lequel repose le

régime d’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles ; refus d’une liste exhaustive des phénomènes pouvant être considérés comme des catastrophes naturelles (ANEM, 2007 : 50).

Finalement, le changement climatique est requalifié en termes de fragilité et de spécificité de l’espace montagnard et vient alimenter la position de l’association des élus de montagne pour une aide accrue de l’Etat. Aussi, la prise en charge de l’enjeu climatique s’inscrit dans une entreprise plus large de positionnement dans le territoire national des espaces de montagne définis par leur fragilité et leur qualité en termes d’aménités environnementales et paysagères. « Les concours de l’Etat attribués aux collectivités à faible densité de population devraient prendre en compte de façon systématique les nouvelles obligations de nature environnementale pour un développement durable des territoires. Aujourd’hui, trop de communes sont dépourvues de moyens significatifs alors qu’elles devront contribuer activement à la protection de l’environnement, à la lutte contre les effets du changement climatique et à la prévention des risques. Ces charges en expansion s’ajouteront à celles déjà identifiées de longue date, liées à la longueur des réseaux et des infrastructures de desserte, à la dispersion de l’habitat, aux surcoûts dus au relief et au climat, aux coûts liés à l’entretien et à l’amélioration de la qualité environnementale des

espaces et réseaux hydrographiques... »(ANEM, 2007).

Répartition des ressources et des impacts

Si l’espace alpin est globalement affecté par les effets du changement climatique, ceux-ci se manifestent localement de manière très différenciée suivant la situation géographique : les Alpes du Nord ont des conditions physiques différentes des Alpes du Sud ; les microclimats varient d’une vallée à l’autre ou selon l’exposition des versants. En outre, les caractéristiques socio-économiques des territoires, la nature des partenariats public-privés et plus largement l’organisation des systèmes touristiques locaux (Boudières & Marcelpoil, 2006) , les rendent plus ou moins vulnérables et plus ou moins en capacité de s’adapter.

Il convient de souligner que la notion de vulnérabilité est relative. Les stations de moyenne altitude sont les plus menacées par un déficit d’enneigement. Mais, considérant qu’elles sont habituées aux hivers sans neige et bénéficient de paysages davantage préservés que les grandes stations d’altitude, elles peuvent apparaître finalement moins vulnérables que

ces dernières, « colosses aux pieds d’argile »82, dont les capacités de reconversion et de

diversification sont faibles. La distinction territoriale est d’ailleurs avancée comme un facteur de réduction de la vulnérabilité : il ne s’agirait plus de vendre simplement du ski, mais du ski

ancré dans un territoire, dont la « ressource identité » devient primordiale83.

En tout état de cause, l’impact du changement climatique sur le tourisme blanc est à comprendre dans un jeu de concurrence à l’échelle du massif alpin. Et de ce point de vue il

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Géographe au CEMAGREF, Grenoble, 25 avril 2007.

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« Le ski, produit générique, et comparable selon des critères objectifs, peut ainsi bénéficier des ressources territoriales et spécifiques comme facteur de différenciation dans le choix d’une destination. Plus globalement, la valorisation de la spécificité des territoires assure une certaine stabilité et une certaine permanence face aux incertitudes des activités soumises à la saisonnalité et aux aléas climatiques. Si les prestations varient, les attributs du territoire demeurent durablement. » (ANEM, 2007 : 34).

présente de potentiels effets positifs pour les stations de haute altitude qui bénéficieraient d’un report de clientèle.

La question des inégalités territoriales se décline d’autre part en termes de partage des ressources et de répartition des externalités et nuisances. La montagne, considérée comme « château d’eau » des territoires en aval, porte une grande responsabilité quant à l’usage de l’eau, et revendique à ce titre une solidarité financière « de l’aval vers l’amont. » (ANEM, 2007 : 19). A l’échelle d’un bassin versant ou d’une vallée, se pose le problème du partage des responsabilités en matière d’assainissement, accentué quand les communes de l’amont connaissent une grande fréquentation touristique. La forte fréquentation des stations d’altitude est à plusieurs titres source de nuisances (gestion des eaux, transit routier) pour les communes en aval.

Mutualisation des risques et solidarités territoriales

L’enjeu primordial pour les gestionnaires (privés et publics) de stations de ski est de s’assurer contre le défaut d’enneigement. Le souci de bénéficier d’un système d’assurance a

dans un premier temps donné lieu à un projet de « fonds neige »84, finalement annulé par le

Conseil constitutionnel pour cause de procédure irrégulière. C’est à la suite de l’échec de ce « fonds neige » qu’a été mis en place à l’hiver 2000-2001 le système « Nivalliance »,

assurance mutualisée couvrant les aléas d’exploitation des remontées mécaniques85. Ce

système de mutualisation du risque entre territoires de montagne constitue une première stratégie d’adaptation en œuvre depuis plusieurs années. Les élus de montagne souhaitent voir s’étendre ce système aux autres activités impliquées dans le tourisme hivernal, via une participation publique et dans le cadre d’une « solidarité nationale », remettant à l’ordre du

jour le « fonds neige »86.

Enfin, l’aide aux stations a longtemps été prise en charge par les conseils régionaux87

et conseil généraux, sous forme de subvention aux équipements (renouvellement du matériel, neige artificielle) ou d’aide au remboursement d’emprunts de petits sites en difficulté. Or, on voit naître une inflexion des politiques départementales se démarquant des mesures d’assistance à l’investissement dans le tourisme d’hiver pour se tourner vers un accompagnement des territoires à la diversification. Le Conseil Général de l’Isère se situe

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« L’article 69 de la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier définitivement adoptée par le Parlement le 3 juin 1998 avait institué une « contribution » de 0,5 % des recettes brutes provenant de la vente des titres de transport délivrés par les entreprises exploitant des engins de remontée mécanique. Le produit de cette contribution devait être affecté à un fonds (communément baptisé « fonds neige ») ayant pour objet de soutenir les entreprises qui connaissent des difficultés de financement liées aux fortes variations d'enneigement » (Sénat, 2002 : 182).

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« Financée par une cotisation comprise entre 0,35 % et 0,75 % du chiffre d’affaire des exploitants, NIVALLIANCE indemnise (à hauteur de 60 %) les baisses de plus de 20 % des recettes des remontées mécaniques en cas de manque ou d’excès de neige, de grèves ou de modification radicale du calendrier des vacances scolaires. Les vingt exploitants les plus importants et dont la « sinistralité » est la plus faible représentent 50 % des cotisations ». (Sénat, 2002 : 183).

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« Le système « Nivalliance » (…) doit être relayé par des disponibilités supplémentaires. En effet, cette année, les fonds disponibles pour indemniser les victimes du manque de neige ont avoisiné à peine plus de 5 millions d’euros. C’est notoirement insuffisant pour les stations de moyenne montagne qui risquent de subir des exercices déficitaires à répétition. La solidarité au sein de la profession entre grandes et petites stations, devrait être confortée par la solidarité nationale avec la création d’un Fonds neige (proposition n°17) assurant l’éligibilité de tous les exploitants, sans exclusive, quel que soit leur statut, public ou privé. La solidarité devrait dépasser la seule catégorie des exploitants de domaine skiable et concerner l’ensemble du tissu socioéconomique local pour poursuivre et/ou reconvertir les activités et les installations. » (ANEM, 2007 : 56).

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La Région Rhône-Alpes a choisi la forme contractuelle pour soutenir le développement touristique des stations de moyenne montagne, avec les « Contrats stations de moyenne montagne » mis en place dans le cadre du Contrat de Plan Etat-Région 2000-2006.

dans cette optique, avec la mise en place de « Contrats de développement diversifié » proposés aux collectivités locales.