• Aucun résultat trouvé

76

Chapitre III : Effet des paramètres environnementaux

sur la dispersion de M. galloprovincialis :

l’importance des reliefs

Après avoir défini la structure génétique du vecteur et cherché à identifier les facteurs qui la modulent, j’aborde dans ce chapitre la question de la dispersion du vecteur en milieu hétérogène. Pour cela j’ai utilisé une approche de génétique spatialisée (ou génétique du paysage), afin de tester l’existence de caractéristiques environnementales constituant des barrières ou des corridors à sa dispersion. Les contraintes relatives à l’espèce étudiée et à la zone d’étude choisie (péninsule ibérique) m’ont encouragé à adopter une attitude exploratoire quant au dispositif expérimental de cette étude. Ce chapitre contient donc autant de considérations fondamentales relatives à l’application des méthodes de génétique spatialisée que de résultats portant sur la dispersion de l’espèce étudiée. Ce chapitre s’appuie sur l’étude de l’article n°2.

Article n°2: Haran J, Rossi JP, Pajares JA, Bonifacio L, Naves P, Roques A, Roux G (in

prep). Combining multi-scale and multi-site replication in spatial genetics : implications for highly dispersive insect species.

-Contexte et objectifs:

Les approches de génétique spatialisée sont largement utilisées pour identifier les structures et les paramètres environnementaux formant des barrières ou des corridors à la dispersion des espèces (Manel & Holderegger 2013). Les barrières à la dispersion de M. galloprovincialis sont importantes à caractériser car elles peuvent représenter des barrières à l’expansion naturelle du PWN. Les études de génétique spatialisée sont communément réalisées au sein d’une aire bien déterminée, c’est à dire à une échelle et en une localité unique. Un tel dispositif expérimental est adapté aux espèces dispersant relativement peu et fortement affectées par les paramètres environnementaux, ce qui est souvent le cas pour les espèces faisant l’objet de plan de conservation, et pour lesquelles les approches de génétique

77 spatialisée ont été développées (Cushman et al. 2006, Castillo et al. 2014). Le cas présenté dans cette thèse est différent car M. galloprovincialis est une espèce voilière à fort pouvoir dispersif (David et al. 2014), ce qui ne permet pas a priori de définir une échelle d’étude optimale pour étudier les flux de gènes chez cette espèce. M. galloprovincialis est également une espèce native en Europe et présente plusieurs lignées génétiques différenciées issues des patrons de recolonisation postglaciaire. Une telle différenciation génétique peut affecter une analyse de génétique spatialisée si elle implique un biais dans la dispersion (Pflüger & Balkenhol 2014) ou si elle masque une structure génétique plus fine issue de l’effet du paysage ou des paramètres environnementaux sur les flux de gènes. Une approche de génétique spatialisée pour cette espèce doit donc prendre en compte cette différenciation pour éviter les erreurs de type II. Enfin, M. galloprovincialis est une espèce se développant aux dépens des pins, et la distribution de ces arbres a beaucoup varié en Europe sous l’effet des activités humaines. Une telle variation est susceptible d’avoir affecté la mise en place de la structure génétique de cette espèce de manière non homogène dans l’espace et dans le temps. L’effet des paramètres environnementaux sur la dispersion doit donc être testé en plusieurs localités afin de prendre en compte cette hétérogénéité et de pouvoir généraliser l’inférence faite à partir des patrons génétiques. Plusieurs études ont montré l’importance de l’échelle (Cushman & Landguth 2010, Angelone et al. 2011, Galpern et al. 2012, Keller et al. 2013) et dans une moindre mesure des réplications (Short Bull et al. 2011) pour faire une inférence correcte de l’effet des paramètres environnementaux sur la dispersion. En revanche, aucune étude n’a, à notre connaissance, combiné ces deux aspects sur des données empiriques.

L’objectif de cette étude est d’évaluer (i) l’effet des paramètres environnementaux sur la dispersion de M. galloprovincialis, une espèce voilière à fort pouvoir dispersif montrant une structure génétique affectée par les oscillations glaciaires. Plus généralement nous chercherons au travers de cet exemple à explorer (ii) l’effet du dispositif expérimental sur l’inférence faite en génétique spatialisée par une approche multi-sites et multi-échelles.

78 -Matériel et Méthodes :

Cette étude est basée sur l’analyse des génotypes de 992 individus génotypés à 10 loci microsatellites. Les individus ont été collectés en 132 sites (agrégats) distribués sur l’ensemble de la péninsule ibérique. Nous avons tout d’abord évalué la structure génétique des agrégats par ACP et par regroupement bayésien afin d’identifier les principales lignées évolutives présentes au sein de l’aire d’étude. Nous avons ensuite cherché à évaluer la variation spatiale dans la structure génétique de M. galloprovincialis afin d’identifier les échelles auxquelles une variation génétique existe. Pour cela nous avons reconstruit un variogramme à partir de l’ensemble des génotypes des agrégats. Cette approche géostatistique décrit la dissimilarité (ici génétique) entre individus en fonction de la distance séparant ces individus. Elle permet donc de mesurer l’échelle globale des flux de gènes et l’échelle à laquelle un effet des paramètres environnementaux peut être détecté.

Pour tester l’effet des paramètres environnementaux sur la dispersion de M. galloprovincialis en plusieurs sites et à plusieurs échelles, nous avons généré un ensemble d’aires d’études emboitées formant des cercles de diamètres variant de 220 km à 1000 km (pas de 20 km) et centrées sur chaque point d’échantillonnage. Les analyses de génétique spatialisée ont ensuite été réalisées à partir des agrégats contenus dans chaque aire formée, et nous avons suivi l’évolution de la détection de l’effet des paramètres environnementaux en fonction de l’échelle et de la localisation de ces aires. Les corrélations entre distances génétiques et distances géographiques (incluant la résistance des paramètres environnementaux) ont été réalisées par tests de Mantel partiels, qui permet de s’affranchir des distances géographiques euclidiennes en les partitionnant. Malgré les biais associés à ce test (Guillot et Rousset 2013), cette approche reste largement utilisée en génétique spatialisée et s’est montrée capable d’identifier les facteurs affectant les flux de gènes tout en rejetant les hypothèses alternatives non valides (Cushman et al. 2006, Cushman & Landguth 2010, Galpern et al. 2012, Castillo et al. 2014). Les distances génétiques ont été calculées sur la base de distances inter-individuelles en utilisant le pourcentage de dissimilarité de Bray-Curtis. La résistance des paramètres environnementaux, quant à elle, à été estimée en suivant le modèle d’isolement par résistance (IBR, McRae 2006). Nous avons testé l’effet de quatre paramètres sur la dispersion de M.

79 galloprovincialis (ou hypothèses d’isolement par résistance): l’élévation (E), les températures minimales hivernales (T) et la densité en pins en tant que barrière (Pr) ou corridor (Pc) à la dispersion. Afin de tester l’importance relative de ces paramètres et leur cumul, nous avons réalisé une analyse de commonalité (Prunier et al. 2014). Les distances de résistance issues de chaque paramètre et l’ensemble de leurs combinaisons ont été régressées avec les distances génétiques (modèles de résistance des paramètres environnementaux). Nous avons ensuite suivi l’évolution des coefficients de commonalité, qui correspondent à part de la variance explicable par chacun des modèles construits.

Les analyses de corrélation entre les génotypes et les paramètres environnementaux ont été réalisées sur l’ensemble du jeu de données et au sein du principal groupe (ou « cluster ») identifié par analyse par regroupement, afin d’évaluer l’effet des lignées évolutives sur l’inférence faite au sein des aires chevauchant plusieurs lignées. Nous avons également mesuré l’amplitude de variation des paramètres testés au sein de chaque aire formée afin d’évaluer l’effet du contraste sur la détection des paramètres environnementaux (Jaquiéry et al. 2011, Cushman et al. 2013).

-Résultats:

Les agrégats de M. galloprovincialis se structurent en deux lignées principales en péninsule ibérique, l’une distribuée sur une frange atlantique (Portugal et Galice) et l’autre dans le reste de la péninsule. Le variogramme montre plusieurs paliers, suggérant que cette espèce se structure sur plusieurs niveaux hiérarchiques et emboités de variation génétique. Nous avons observé une augmentation progressive de la dissimilarité (semi-variance) avec la distance jusqu’à un premier palier pour une distance d’environ 190 km. Ce résultat indique qu’il existe une importante auto corrélation spatiale des génotypes sous ces distances. Le palier observé entre 200 et 400 km tend à montrer qu’il existe un premier niveau de variation génétique à ces échelles. L’augmentation de la semi-variance au-delà de ce premier niveau met en évidence l’existence d’une variation génétique présente à large échelle (environ 1000 km) superposée à ce premier niveau – plus local – de variation génétique.

Nous avons observé une corrélation significative entre l’ensemble des quatre hypothèses de résistance des paramètres environnementaux et la distribution des génotypes de M. galloprovincialis

80 indiquant un effet barrière aux flux de gènes des paramètres testés. Cependant la détection de cet effet a montré de fortes variations selon l’échelle et la zone d’étude considérée. Globalement, nous avons observé une augmentation de la détection de l’effet des paramètres environnementaux sur la dispersion en augmentant l’échelle d’étude, cet effet étant plus rarement détecté aux échelles les plus faibles. A échelle fixe, nous avons observé une distribution spatiale non homogène de cet effet. Les paramètres T, E et Pr ont principalement été détectés dans la moitié supérieure de l’aire d’étude tandis que le paramètre Pc a été détecté principalement – à fréquence moindre – dans le sud de la péninsule. Cette distribution hétérogène est particulièrement visible pour les échelles d’étude petites et moyennes. En comparant la variation des paramètres environnementaux au sein des aires montrant un effet significatif et non significatif, nous avons observé que cette hétérogénéité ne correspondait pas aux variations de contraste des paramètres dans ces aires (pour les paramètres E, Pr et Pc). Ce constat s’applique uniquement aux échelles les plus faibles, car les aires montrant un effet significatif à large échelle sont généralement associées à des contrastes plus forts des paramètres testés.

Nos résultats montrent également un effet des lignées évolutives sur la détection de l’effet des paramètres environnementaux sur la dispersion. Les aires d’étude chevauchant les deux lignées mises en évidence (lignées ibériques est et ouest) ont montré un effet non significatif tandis qu’un effet a été détecté dans les mêmes conditions lorsque les analyses ont été réalisées au sein d’une seule lignée.

L’analyse de commonalité montre que l’ensemble des modèles de résistance construits expliquent jusqu’à 24 % de la variance totale de la structure génétique de M galloprovincialis. Les modèles incluant les paramètres T et Pr seuls (effets uniques) présentent la contribution la plus élevée à la variance explicable (plus de 20 %) du modèle de régression total. Au sein de l’ensemble des effets uniques et cumulés, le cumul des paramètres E et T est le modèle montrant la meilleure contribution à cette variance explicable totale (plus de 50 %).

81

Combining multi-scale and multi-site replication in spatial