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Chapitre 1. Les acides de Lewis silylés en catalyse

3. Les ions silylium en catalyse

3.5 Importance du choix de l’anion

Schéma 29 : Instabilité thermique des silyliums dans le dichlorométhane

3.5 Importance du choix de l’anion

En plus de l’étude de l’effet du solvant sur la stabilisation des ions silyliums, il est rapidement apparu nécessaire de développer de nouveaux anions peu coordinants. Dans les premier temps, le perchlorate (ClO4-) ou le triflate (TfO-) ont été utilisés mais la charge négative localisée sur un oxygène conduit alors à la formation d’une liaison covalente avec le silicium (Schéma 30-a). D’autres composés tels que les dérivés de l’antimoine (SbF6- et SbCl6-) ou le tétrafluoroborate (BF4-), conduisent quant à eux à une dégradation très rapide de l’ion silylium par abstraction d’un halogène pour former un halogénure silylé très stable (Schéma 30-b).37

Afin d’éviter cette réactivité de la liaison bore-fluor, un autre anion borate le tétrakis[3,5-bis(trifluorométhyl)phényl]borate (TTFPB) a été développé en remplaçant les fluors par des aromatiques appauvris en électrons. Néanmoins il a aussi été observé dans certains cas l’abstraction d’un fluor par le silylium pour former le fluorosilane correspondant (Schéma 30-c).38

Schéma 30 : Comportement des ions silyliums vis-à-vis de différents anions

En tenant compte de ces observations, Chien a décrit en 1991 un nouvel anion borate, le tétrakis(pentafluorophényl)borate (TPFPB), l’équivalent perfluoré du tetraphénylborate.39 D’un côté, l’effet inductif attracteur des fluors permet de diffuser la charge négative sur l’ensemble de

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Lambert, J. B.; Schulz, W. J.; McConnell, J. A.; Schilf, W. J. Am. Chem. Soc. 1988, 110, 2201-2210.

38 Kira, M.; Hino, T.; Sakurai, H. J. Am. Chem. Soc. 1992, 114, 6697-6700.

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la structure est ainsi réduire la nucléophilie de l’atome central de bore. De l’autre, l’effet mésomère donneur du fluor (C=F+) permet de réduire drastiquement sa nucléophilie et donc les possibilités d’abstraction par les silyliums. De plus, la substitution par des groupements électroattracteurs permet de réduire la possibilité de la coupure bore-aromatique en diminuant la charge négative sur le carbone en ipso de l’atome de bore. L’utilisation de cet anion en 1993 par Lambert pour la synthèse des silyliums s’est avérée extrêmement efficace et de nombreux silyliums ont ainsi pu être isolés (Schéma 31).40

Schéma 31 : Synthèse des ions silyliums avec le trityle TPFPB

L’anion TPFPB est aujourd’hui le plus couramment utilisé pour la chimie des silyliums et son utilisation a par la suite été étendue à de nombreux autres domaines en tant qu’anion peu nucléophile et chimiquement inerte. Les limites de l’inertie chimique de cet anion ont toutefois été reportées au début des années 2000. En effet, l’anion TPFPB stabilise efficacement les cations aromatiques protonés superacides tels que le pentaméthylbenzénium 46 et le mésitylénium 47, mais se décompose en présence des cations xylénium 45, toluénium 44 et benzénium 43 par rupture de la liaison bore-aromatique (Schéma 32).41 Aussi, le silylium complexé au toluène [Et3Si(toluène)].TPFPB se décompose en quelques jours aussi bien en solution qu’à l’état solide.

40 Lambert, J. B.; Zhang, S. J. Chem. Soc., Chem. Commun. 1993, 383-384.

41 a) Reed, C. A.; Fackler, N. L. P.; Kim, K.-C.; Stasko, D.; Evans, D. R.; Boyd, P. D. W.; Rickard, C. E. F. J. Am. Chem. Soc. 1999, 121, 6314-6315.

b) Reed, C. A.; Kim, K.-C.; Stoyanov, E. S.; Stasko, D.; Tham, F. S.; Mueller, L. J.; Boyd, P. D. W. J. Am. Chem. Soc. 2003, 125, 1796-1804.

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37 Schéma 32 : Stabilité des cations de type benzénium avec l’anion TPFPB

Finalement, la dernière famille d’anions peu nucléophiles est celle des carboranes. Cette famille de composés se présente sous la forme de polyèdres d’atomes de bore incluant des atomes de carbones (1 à 2) à certains sommets (Schéma 33).42

D’un point de vue électronique, ces composés se caractérisent par la formation de liaisons σ électrodéficientes délocalisées entre les différents sommets. A l’inverse des liaisons "classiques" à 2 centres et 2 électrons (2c-2e), on observe ici la formation de liaisons à 3 centres et 2 électrons (3c-2e), obligeant les atomes à tendre vers l’hypervalence et adopter ainsi des structures géométriquement très bien définies.

Aussi, les liaisons σ étant très fortes, en chimie, l’écart HOMO-LUMO devient très grand et une énorme énergie est requise pour rompre ces structures.43

Schéma 33 : Différents types de carboranes

Un autre point appréciable avec ces carboranes est la relative facilité de fonctionnalisation de ces sommets. Du fait de la polarisation de la structure, il est possible de substituer sélectivement la cage par la position 12 puis les positions 7 à 11 et enfin 2 à 3. La liaison C-H peut être déprotonée pour ensuite réagir sur différents électrophiles (halogénure d’alkyle44, chlorosilane45,

42 Par souci de clarté, lorsqu’il n’y pas d’atome représenté sur un sommet, celui-ci correspond à un groupe B-H. Les substituants autres que –H (Cl, Br,…) sont toujours représentés.

43 Michl, J.; Körbe, S.; Schreiber, P. J. Chem. rev. 2006, 106, 5208-5249.

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halogénure de métal46). Les liaisons B-H quant à elles réagissent par des réactions de substitutions electrophiles, notamment avec des dihalogènes pour conduire aux complexes de type [CB11H6X6]- (Schéma 34).

Schéma 34 : Exemples de fonctionnalisation du carborane CB11H12

D’une manière générale, le carborane doit être au minimum hexa-halogéné (positions 7 à 12) pour le rendre suffisamment inerte vis-à-vis de cations très électrophiles tels que les silyliums. L’inertie de l’anion augmente avec le nombre de substituants halogénés, ce qui est très certainement dû au fait que ces derniers écrantent la charge négative centrale. Selon la nature de l’halogène utilisé, la basicité de l’anion décroit dans l’ordre I > Br > Cl > F, ce que l’on peut attribuer à une polarisabilité décroissante de l’halogène. Enfin, un dernier point important à noter avec ces carboranes est leur très bonne aptitude à la cristallisation, comparé à celle de l’anion TPFPB qui a tendance à former des liquides ioniques au lieu de cristalliser.

Ainsi, grâce à ces anions, Reed a pu obtenir des structures de plusieurs ions trialkylsilyliums par diffractions de rayons X (Figure 7). On observe alors que l’interaction avec l’anion est extrêmement faible. Les longueurs des liaisons Si-Br sont de l’ordre de 2.44 à 2.48 Å (très loin d’une liaison covalente) et les liaisons B-Br du carborane entre le brome coordiné et les autres ne sont que de 2 à 5 % plus grandes.

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Ozerov, O. V.; Ramirez-Contreras, R.; Bhuvanesh, N.; Zhou, J. Angew. Chem. Int. Ed. 2013, 52, 10313-10315.

46 Uchiyama, M.; Takita, R.; Kanazawa, J.; Jankowiak, A.; Fujii, S.; Kagechika, H.; Hashizume, D.; Shudo, K.; Kaszynski, P. Angew. Chem. Int. Ed. 2013, 52, 8017-8021.

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