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Impolitesse directement ou indirectement adressée

2. TESTS PERCEPTIFS

2.1 Présentation des corpus

2.1.5 Sélection des énoncés, choix des modalités

2.1.5.1 Impolitesse directement ou indirectement adressée

Il convient de souligner ici que pour la sélection des énoncés, je n'ai pas tenu compte du fait qu'ils étaient ou non directement adressés. Pour les interactionnistes (Goffman 1973 : 164, Kerbrat-Orecchioni 2005 : 203 par exemple), l'impolitesse adressée au tiers absent, (ou "délocuté"), n'est pas de l'impolitesse au sens propre : on parle plutôt dans cette situation là de médisance : un locuteur (L1) dit à L2 du mal de L3, comme dans l'exemple ci dessous :

/I pass'ses journées sur internet alors qu'es(t)-ce tu veux/

(énoncé Q°1)

Le concept est considéré comme "glissant" (Mougin 2006 : 14 sq.) : on ne sait pas encore si la médisance donne lieu à une structure énonciative particulière - dont il ne faut pas ignorer l'aspect sonore70 - et si c'est un acte de langage à part entière. Kerbrat-Orecchioni (citée par Mougin 2006 : 15) souligne une particularité avérée de l'acte de médire, qui "n'est pas d'atteindre l'allocutaire mais une tierce personne située en dehors de l'espace conversationnel."

Les passages de discours rapporté direct (DRD) m'ont aussi fourni plusieurs énoncés "impolis", car, correctement découpés, ils pouvaient passer pour du discours direct. La situation est globalement la même que pour la délocution médisante : un locuteur (L1) cite

70 Ajouté par moi.

MO F0 Eq. tons F0 U Eq. tons VMi F0 VMa F0 ET max Ampl.

oct / tons HF1 203.33 Sol#2- 170 Fa2- 93 363.6 175.4 1 / 4.5 HF2 174.53 Fa2 ? ? 88.9 311.4 189.5 1 / 5

Tableau 3 : Tableau synthétique des valeurs relevées pour les voix masculines et leur conversion en tons musicaux.

MO F0= valeur moyenne de la F0; Eq. tons = équivalence en tons musicaux par valeur approchée; F0 U : valeur approximative de la F0 usuelle ou de confort; VMi = valeur minimum de la F0; VMa = valeur maximum de la F0; ET max = valeur de l'écart tonal maximal entre la VMi F0 et la VMa F0 sur l'ensemble des énoncés du locuteur; Ampl. oct / tons = amplitude de la voix donnée en octaves et en tons.

pour son interlocuteur (L2) les paroles d'un tiers absent (L3, qui peut être lui même), paroles que, par convention et sauf précision, il prétend reproduire fidèlement y compris dans leurs éléments paralinguistiques (Torck 2006). Mais comme le montrent certaines études (Klewitz & Couper-Kuhlen 1999; Couper-Kuhlen 1999), le DRD est marqué prosodiquement, et le locuteur a à sa disposition plusieurs signaux sonores : les plus courants sont i) un changement de voix, qui s'apparente à une imitation plus ou moins fidèle du phonostyle de la personne dont on reprend les paroles, ii) une intonation ou une structure rythmique différentes de celles utilisées normalement par le locuteur. Bertrand (2003 : 271) quant à elle remet en cause de manière convaincante la fidélité du DRD dont elle développe ensuite dans une optique pragmatique les fonctions, notamment en termes de places et de faces. La prosodie joue le tout premier rôle dans la distorsion sémantique du DRD et dans les actes de langage. Bertrand & Espesser (2002) ont pu mettre par exemple en évidence une augmentation significative de la F0 pour les passages de DRD de leur corpus.

On ne peut donc pas, en contexte, considérer ces énoncés comme impolis. Pourquoi ai-je alors fait le choix de les retenir tout de même pour l'étude?

La première raison est que le sujet de mon mémoire se limite à l'expression de l'impolitesse du seul point de vue prosodique, c'est-à-dire hors contexte71. Ainsi, peu importe quelles aient été réellement les intentions du locuteur, la situation de communication, ou à quel point le DRD est fidèle. Seule doit être prise en compte la réception de l'intonation par un locuteur natif du français.

La deuxième raison, qui rejoint la première, c'est que très tôt dans ma réflexion méthodologique, j'avais envisagé de filtrer sur le plan sémantique les données enregistrées : les testeurs ne pourraient dans ce cas ni reconstruire un contexte, ni s'appuyer sur le sens, ni savoir de qui parlaient ces énoncés. Malheureusement le filtrage n'a pas été possible72, c'est pourquoi j'ai expressément demandé aux testeurs de se mettre en position de destinataire, non pas de l'énoncé, mais de son intonation.

En outre, le filtrage sémantique me facilitait la tâche de collecte du corpus, car trouver des énoncés impolis directement adressés lors de conversations amicales est très difficile, de par la nature même de ces interactions : "a particular problem is that impoliteness formulae

71

Voir 1.2.2.

are much less frequent than politeness formulae" (Culperer 2010 : 3238), et Leech (1983 : 105, cité par Culperer 2010) : "conflictive illocutions tend, thankfully, to be rather marginal to human linguistic behaviour in normal circumstances". Au point que Culperer, pour mener à bien une de ses expérimentations sur les mots impolis utilisés en certain contexte, a dû faire appel à mille étudiants pour rassembler seulement cent occurrences73. C'est que les propos impolis directement adressés se rencontrent en situation :

i) de conflits ouverts avec éclats émotifs, aussi appelés "émotions brutes" ou "émotions chocs" (Léon 1993 : 113; voir 1.1.2.1). Etymologiquement, ce type d'atteinte à la face est un ac-cident74, c'est-à-dire qu'il nous "tombe dessus sans prévenir" : le dispositif d'enregistrement est alors trop long à mettre en place au regard de la fulgurance de la manifestation des émotions - ou bien il faudrait procéder à des enregistrements d'une longueur extrêmement importante, ce qu'a dû faire par exemple Culperer dans l'expérimentation qu'il retrace à la page 3241 du n° 42 du Journal of Pragmatics (2010), et qui a nécessité plus de soixante heures d'enregistrements75.

ii) de conflits larvés, de rivalités souterraines, d'un je ne sais quoi qui ressortit à l'ensemble des attitudes mimo-gestuelles, praxématiques et vocales à un moment "t". Ces atteintes là peuvent être saisies au cours d'enregistrements d'une certaine durée - le corpus en comprend d'ailleurs quelques unes - mais dépendent pour l'essentiel des rapports de force entre les interactants, qui, pour diverses raisons psychosociologiques, feront preuve d'une "volonté de puissance" plus ou moins développée.

Pour pallier le manque d'énoncés impolis directement adressés en situation écologique, j'ai donc aussi sélectionné des énoncés impolis en l'absence du tiers ou des énoncés de discours rapporté direct.

L'analyse exhaustive et détaillée des tests perceptifs sera faite en partie 2.3. Mais j'anticiperai ici pour dire que le recensement des énoncés désignés comme impolis à plus de 75 % par l'ensemble des testeurs m'a réservé deux grandes surprises, la première étant que pour la très grande majorité de ces énoncés, l'impolitesse est adressée effectivement à

73

Pour plus de détails sur l'expérimentation, voir Culperer 2010 : 3238.

74

Voir note 15.

75 Ce que font aussi par ailleurs les émissions de télé réalité (Koh-Lanta, Secret Story etc.) afin de pouvoir

procéder ensuite à un montage satisfaisant à leurs objectifs. (voir à ce sujet l'article "Télé-réalité et marketing de l'urgence" de L. Tabary-Bolka, pages 220-232 du n°29 de la revue Communication et Organisation (2006), DOI 10.4000/communicationorganisation.3415, consulté le 10/03/2014).

l'interlocuteur - ou peut passer pour l'être - alors que j'avais en ce qui me concerne anticipé que nombre d'énoncés adressés au tiers absent seraient déclarés "impolis" par les testeurs 76...

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