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2. TESTS PERCEPTIFS

2.2 La méthode d'expérimentation

2.2.1 Les tests de perception auditive sur le corpus français par des locuteurs français

2.2.1.3 Entretiens après les tests

Après chaque test, un entretien a été effectué, pour évaluer la difficulté ressentie du test, pour préciser les éléments de difficulté et recueillir les éventuels commentaires des testeurs. Ces moments d'échange se sont allongés au fil des tests et m'ont apporté des éléments de réflexion très intéressants sur le plan méthodologique.

- Difficulté ressentie

Chaque testeur a évalué la difficulté du test sur une échelle allant de 1 (facile) à 5 (très difficile), au départ sans proposer d'utiliser les demi points. 5 testeurs ont toutefois spontanément souhaité exprimer leur difficulté de manière plus précise, et ont proposé l'évaluation 3.5, que l'on peut traduire a posteriori par "assez difficile".

Voici la synthèse de leurs réponses. 1 facile 2 assez facile 3 pas facile 3.5 assez difficile 4 difficile 5 très difficile Nombres de réponses / 34 testeurs 2 14 9 5 2 2 Valeurs en pourcentages 5.9 41.2 26.5 14.7 5.9 5.9

Tableau 4 : Difficulté ressentie par les testeurs locuteurs natifs du français dans la réalisation des consignes du 1er test (corpus français).

La majorité des testeurs se partage donc entre les valeurs "assez facile" et "pas facile", et a déclaré que la difficulté ressentie ne les avait pas empêchés de mener le test de manière satisfaisante. Ces résultats confirment mon ressenti pendant la passation des tests, à savoir que

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Sans toutefois donner mon sentiment sur la qualité (im)poli de l'énoncé.

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Voir 2.2.1.3 Entretiens après les tests - Difficulté ressentie : tableau de synthèse de l'évaluation de la facilité/difficulté du test.

selon la capacité d'écoute propre à chaque testeur, le test lui a paru plus ou moins facile/difficile.

- Difficultés exprimées par les testeurs

J'avais demandé aux testeurs, dans leur appréciation, de ne pas tenir compte autant que possible du sens des énoncés, pour se faire les destinataires de la seule intonation. Pour ceux qui ont noté la difficulté du test de 1 à 2, ils ont affirmé avoir globalement réussi à "chanter" les mélodies et donc à se détacher du sens. Parmi ceux-là, plusieurs ont fait la remarque pertinente que l'intonation était parfois en contradiction avec le contenu, ce qui les a étonnés mais pas gênés. Dans l'ensemble, une grande concentration a été nécessaire. Pour la majorité, le sens est resté gênant, d'autant plus lorsque les énoncés appartenaient au registre vulgaire, la tendance étant alors à la catégorisation "impoli".

De nombreux testeurs ont été gênés par le sens linguistique du terme "(im)politesse". Malgré mes explications initiales et la définition proposée sur la fiche de test, ils semblaient ne pas pouvoir faire l'adéquation entre le sens qu'ils attribuaient au mot (im)politesse, qu'ils concevaient principalement comme une manifestation d'agressivité, et les énoncés qu'ils entendaient. Ce n'est que lorsque je transposais la notion en termes de sentiments/attitudes perceptibles dans la voix, positifs ou négatifs, que la discrimination s'est trouvée facilitée. Ce malentendu sémantique pose un problème de fond en ce qui concerne la validité des réponses fournies par certains testeurs, qui ne se sont ouverts de cette difficulté qu'après le test et n'ont donc pas perçu comme "impoli" le ton d'un énoncé, simplement parce qu'il n'était pas ouvertement agressif81.

Plusieurs testeurs m'ont fait part d'une évolution de leur jugement au cours du test : apprécier la qualité (im)polie des énoncés devenait de plus en plus facile/difficile. Ils en concluaient que s'ils avaient pu reprendre le test, leur jugement sur les premiers82 énoncés aurait certainement été différent.

Enfin, plusieurs testeurs se sont montrés sensibles aux phonostyles. Il leur a semblé que certains locuteurs s'exprimaient toujours sur un ton impoli, d'autres toujours sur un ton poli : ils se sont alors posé la question de savoir dans quelle mesure cela pouvait encore être considéré comme de l'(im)politesse. Ils ont par ailleurs repéré une locutrice à l'accent

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Voir aussi en 2.3.3.2.

méridional, ce qui a aussi posé problème car, de leur point de vue, l'accent "chantant" changeait, pour certains positivement pour d'autres négativement, les critères de perception de l'(im)politesse.

- Remarques autres des testeurs

Dans l'ensemble, les testeurs ont trouvé un grand intérêt à la démarche qui les a amusés. Ils ont pris conscience qu'un grand nombre d'intonations étaient impolies, que l'intonation en conversation familière était d'une extrême richesse, et que les énoncés dits "neutres" en étaient pour ainsi dire absents.

Ils ont presque toujours souligné la subjectivité d'un tel test, et ont été parallèlement amenés, lors d'une prise de conscience réflexive, à s'interroger sur leur propre perception de l'intonation et sur leurs propres schémas intonatifs, parfois à les remettre en question : comme finalement, le test les a conduits à noter "impoli" un nombre important d'énoncés, ils se sont demandé s'ils n'étaient pas trop sensibles, trop réceptifs, à l'intonation. A l'inverse, leurs propres productions étaient-elles "acceptables" pour l'interlocuteur? C'est pour pallier le caractère éminemment subjectif de ce type de test que j'ai tâché de le faire passer à un nombre de personnes suffisant, et que l'analyse ne retiendra que les énoncés pour lesquels un consensus de 75% aura été atteint.

Deux autres testeurs ont fait la remarque que certains énoncés s'adressaient visiblement à des enfants. Ils ont pu le déterminer parce qu'on entend effectivement des voix d'enfants dans l'enregistrement, parce que le type de propos ne pouvait que s'adresser à des enfants - t'as pas fini ton riz t'as pas d'dessert c'est tout -, mais aussi parce que le ton de réprimande était à ce moment là particulièrement perceptible83. L'écoute de ces énoncés les a remis dans la position inconfortable de relation d'autorité au parent, en réveillant chez eux des souvenirs désagréables. Ces énoncés, s'ils avaient été adressés à des adultes, auraient alors paru extrêmement impolis aux deux testeurs et auraient été pris au démarrage ou au cours d'une dispute. Si, à rapport de places égal, on rencontre très peu d'énoncés impolis entre adultes, ils sont en revanche beaucoup plus fréquents lorsque sont en présence des interactants en relation de places dissymétrique, de hiérarchie et/ou d'autorité : en contexte militaire, policier ou judiciaire par exemple (Bousfield 2008) ... ou encore scolaire ou familial... Je reviendrai sur ce point en 2.3.2.2.

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A noter que d'autres énoncés, non impolis, se trouvaient adressés à des enfants dans le corpus, mais ce n'était décelable ni par le contenu ni par les voix.

Enfin, de manière très consciente chez certains testeurs, a émergé l'intuition que dans un énoncé, l'intonation i) est perçue avant le sens lexical et prime dans la perception de l'impolitesse; ii) elle conditionne un nombre non négligeable de malentendus interculturels (entre gens de langues premières différentes), socioculturels (entre gens de classes sociales ou de régions différentes au sein d'un même pays), ainsi que, tout simplement, entre personnes de sensibilités différentes.

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