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Impacts des modifications climatiques sur la diversité et la productivité biologiques

Dans le document La pêche en Afrique : enjeux et défis (Page 53-56)

Le fleuve Niger, en se ramifiant et en recevant les eaux de son affluent, le Bani, déli-mite au Mali une vaste plaine inondable communément appelée delta central. Cette plaIne très plate, de 300 km de long et 100 km de large, apparaît en période de crue (septembre àdécembre) comme une véritable mer intérieure en zone sahélienne. Les pluies sur le Mali n'interviennent que pour 10 % dans l'inondation du delta central dont l'étendue est déterminée par les régimes hydriques des fleuves Niger et Bani, eux-mêmes dépendant de la pluviométrie sur les bassins versants. Le cycle hydrolo-gique du delta central du Niger est marqué par une forte saisonnalité liée à l'exis-tence de quatre saisons bien marquées: crue (juillet et août), hautes eaux (septembre et octobre), décrue (novembre à février) et étiage (mars à juin). Dans les années de forte pluviométrie, les surfaces moyennes en eau passent, au cours d'un cycle hydro-logique, de 3 900 km2à l'étiage à 20 000 km2en période de hautes eaux (5). La pro-gression de la crue transforme radicalement le paysage du delta central, et cette plaine, largement inondée en fin de crue, se transforme, en fin d'étiage, en une vaste étendue desséchée où les seuls milieux encore inondés sont le lit mineur des fleuves, certaInes grandes mares et certains lacs permanents. La durée d'immersion de ces biotopes est variable, suivant l'intensité de la crue, et leur mise en eau est à l'origine d'une succession d'activités de pêche de l'amont vers l'aval du delta, mais également du lit mineur du fleuve aux zones latéralement les plus éloignées.

Le déficit pluviométrique enregistré en Guinée et en Côte d'IvOIre, depuis l'apparition de la sécheresse (1973), est responsable d'une baisse considérable des débits moyens des fleuves qui alimentent le delta central du Niger.

Sur le Bani, les moyennes décennales, fortes en 1950-1959(1 467 m3/s), décroissent régulièrement pour atteindre 589 m3/s en 1980-1988. Sur le Niger, le phénomène est identique et l'on peut opposer les années de forte (1920-1929 ; 1950-1959) et de faible hydraulicité (1910-1919 ; 1970-1979). A partir des années 1960, la baisse est progressive, les débits de la dernière décennie 1980-1990 (831 m3/s) étant de loin les plus faibles enregIstrés depuis le début du siècle (6). Cette diminution régulière des débits entraîne des modifications dans le processus d'inondation du delta central, dont les surfaces en eau ont tendance à se réduire en même temps que se raccourcit la durée de submersion. Les conséquences sur les différents types de formation végé-tale des plaines saisonnièrement inondées sont immédiates(7), Si la période

d'inon-(5) P RaImondo,« Monograph on OperatIon Flshenes. Mopti», CIFA OccasIOn al Paper. 4, FAO, Rome, 1975, p 294-311

(6) A Chouret,y Pépm,Le pmllt slIr III sécheresse ail MaliilIII 1II/-JlI/II19XX dOllllées hvdropllll'lOlIIérnques à 'l"eI'I"e.1 ,IloIlO'" de IO/lglle dllrée. Centre ORSTOM de Bamako. 41 p multlgr, 1988.

(7) Y DeuCéumnck.Elude.1 lIallOllllle.I' l'0or le dél'eloppelllml de l'aqulIwllureel!Afnque : Malt. Circulaire 'UI les l'l'che" FIRI1770 24. FAO. Rome, 1989, 98 p

dation est inféneureàtrois mois, Vetiveria nigrita (graminée vivace) remplace Echi-nochloa stagnina, Orna longistaminata et quelques plantes hydrophytes.

A de fortes crues du Niger et du Bani correspond une bonne inondation de la cuvette lacustre et inversement. La relation n'est néanmoins pas directement proportIOnnelle car l'étendue de l'inondation dépend également de la morphologie et de la bathymétrie du delta central. Ainsi, lorsque le débit annuel moyen du Niger est réduit de moitié (1972-1973 ou 1977-1978), les surfaces inon-dées sont divisées par quatre et ne représentent plus que 5 000 km2 (8). En 1984-1985, année où la crue du Niger est à son plus bas niveau depuis le début du siècle (934 m3/s), les surfaces en eau ne représentent plus alors que 1 700 km2et les lacs rives droite et gauche sont asséchés.

Dans de nombreux milieux fluviaux associés à des plaines inondées, la durée de la crue et l'étendue de l'inondation sont des facteurs détermi-nants de l'abondance des stocks ichtyologiques (9). Lors des crues, les plaines offrent une nourriture abondante et variée aux poissons qui quittent le lit mineur des fleuves ainsi que les mares permanentes où la baisse des eaux les avait obligés àse réfugier en saison sèche. Plus les surfaces en eau sont importantes, plus la durée d'inondation est longue, et plus les poissons trouvent des conditions favorablesàleur reproduction etàleur croissance. La végétation leur permet également d'échapper aux nombreux prédateurs qui les guettent. Une bonne inondation est alors synonyme de faible mortalité naturelle, de faible mortalité par pêche dans les plaines inondées, de forte croissance des individus, puis de captures abondantes en période de décrue et d'étiage. Il existe ainsi une relation étroite entre les fluctuations annuelles de l'hydrologie et celles des captures. Dans le cas du delta central du Niger, cette rela-tion a été établie àl'aide d'un indice d'inondation lié à l'évaporation et à l'infiltra-tion (paramètres représentatifs de l'étendue et de la durée de l'inondal'infiltra-tion) et sur la base d'une année s'étendant de juin à mai, respectant ainsi le cycle hydrologique des fleuves auquel sont naturellement associés Je cycle biologique des poissons et le cycle d'exploitation de la ressource (10). Il existe, pour une même année, une bonne corrélation (R2

=

0,77) entre la production de poisson et l'inondation, ce qui s'explique par la composition en âge des captures (voir figures 5-a, 5-b, 5-c). De fait, les débarquements de poisson sont constitués pour 69 % d'individus de moins d'un an, capturés après une première phase de croissanceà leur sortie des plaines. Les principaux facteurs déterminant l'abondance des stocks ichtyologiques dans le delta central semblent bien être l'étendue et la durée de l'inondation. L'effet est d'ailleurs immédiat puisqu'une mauvaise crue entraîne une diminution des débarquements pour l'année en cours alors qu'un retouràla normale permet aux stocks de se reconstituer sans qu'aucun délai ou presque ne soit nécessaire.

(8) Y. Poncet. cartes. III J Quenslère «hl' ),Lapêehe dalls le delta celltral du Nlxer. vol. 2. IER/ORS-TOM/Khartala, Pans. 1994

(9) R L Welcomme. FI,\'hefle,\'EwloX\' 01 F/ooJpltwl Rn'et,\', Longman. Londres. 1979, 117 P

(10) R. Lae, " Influence de l'hydrologIe sur l'évolutIon des pêchenes du della central du NIger, de 1966 à 1989", AquaticLlvlIlgRe.lOuTee.'.5. EditIons ElseVIer, Pans, 1992. p. 115-126;R.Lac. " ModIfIcatIons des apports en eau et Impact sur les captures de pOIsson ". ill .J. Quenslère.op cit., p 255-265.

Afrique contemporaine W187

38trimestre 1998 Dossier

La pêche en Afrique

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S·a.• Débarquement de pois-son et volumes en eau pero dus dans le delta central du Niger

o

20 80

B688 7578 8081

Années

70 71

40

0 1

80 101

tonnes

1011m.1 10sp'cl1eura

40 r - - - 1 1 0 0

1 A

--- Pertes en eau --+-Production --- P'cheurs Observé. Calculé:

Afrique contemporaine N° 187 3" tnmestre 1998 Les milieux continentaux

54

116

112

108

104

10.0

S-b. - Productions observées et préditesà partir des volumes en eau perdus dans le delta central du Niger pour les années n et n-1 (Intervalledeconfiance 95%)

104 10.6 10.8 11.0 11.2 114

S·e.• Composition en âge pour les principales espèces capturées dans le delta cen-trai du Niger au Mali

Ls Can Sg BI Tz Hb On Cau Ln en Ab. Sm Aba Bn Ad Hf

Espèces

L J ..IndiVidus ( 1 an Y...=:d ..Individus) 1 an

Source R Lae, " Influence de l'hydrologie sur l'évolution des pêchenes du delta central du Niger, de 1966à 1989 ", Aquatlc Llvmg Resources, 5, Editions ElseVier, Pans, 1992, p 115-126

Ces perturbations climatiques s'accompagnent toutefois d'une raréfaction de certaines espèces commeGymnarchus niloticus, Polypterus senegalus, Gnathonemus niger,dont les reproductions sont inféodées aux zones d'inondation, et d'espèces commeCitharinus citharusetClarotes laticeps,qui se distinguent par une fréquentation intensive des plaines d'inondation. Dans le même temps, on assiste à un développement de certaines familles comme les Cichlidés et les Clariidés car elles présentent de fortes résistances à l'anoxie. Ces observations sont confortées par la composition spécifique des captures, qui varie de manière forte entre les secteurs soumisà une inondation saisonnière et ceux qui restent exondés en cette période de sécheresse. De plus, l'augmentation de la mortalité naturelle est à l'origine d'un rajeunissement des peuplements. Naturellement, il est difficile de faire la part entre variations climatiques et pression de pêche intensive. Il est certain que les stocks sont

également soumis depuis de nombreuses années àun effort de pêche excessif, qui se traduit en partie par une modification de la composition spécifique des peuplements et la raréfaction de certaines espèces de grande taille. Si le rajeunissement des peu-plements entraîne une augmentation de leur productivité, il fragilise par la même occasion le stock en cas de mauvaise crue, un déficit du recrutement étant immédia-tement ressenti au niveau des captures.

La forte corrélation entre données hydrologiques et données de pêche suggère que les difficultés ressenties par les pêcheurs proviendraient en prio-rité de phénomènes naturels (sécheresse) ayant entraîné par la suite des complica-tions d'ordre sociologique et économique. De fait, la réduction des surfaces en eau provoque une diminution des sites exploitables et l'émergence de conflits entre vil-lages ou familles pour l'accès à la ressource.

En Afrique, l'apparition de périodes de sécheresse a modifié considérablement l'environnement même de la pêche. En l'absence de conditions favorables, le renou-vellement des stocks et le recrutement sont devenus moins satisfaisants. De même, la réduction des surfaces en eau dans les lacs et dans les plaines inondables està l'ori-gine de certains conflits d'accès àla ressource. Les pêcheurs pour maintenir un cer-tain niveau de prise ont donc été contraints d'augmenter leur équipement en matériel de pêche (nombre de filets) ou de le modifier de manièreàs'adapter aux nouvelles conditions de crue.

Ainsi, au Mali, les pêcheurs du delta central du Niger déploient leur activité selon un schéma très contrasté dans l'espace et le temps, calqué surle cycle annuel des saisons hydrologiques. En effet, ce cycle est le déterminant majeur des dynamiques de reproduction et de migration du poisson et, par conséquent, des variations de sa disponibilité (abondance et vulnérabilité). Le pêcheur tire parti de ces variations, largement prévisibles, pour augmenter ses captures, en combinant mobilité et diversification des techniques de pêche. Mais cette combinaison se réalise dans un contexte de contraintes sociales (par exemple celles qui régissent l'accès aux sites de pêche) et doit encore tenir compte de quelques autres comme celles liéesàla pratique d'activités parallèles, agricoles le plus souvent. La dégradation des condi-tions environnementales a entraîné l'apparition de nouveaux engins comme les durankoro (petites nasses) et lesxubiseu (petites sennes) utilisables en milieux peu profonds. Les réactions à la réduction drastique de la rentabilité et des revenus des ménages se sont traduites par une diversification des engins, la recherche de nou-velles technologies adaptées au rajeunissement des stocks et à l'exploitation de bio-topes jusqu'à présent peu accessibles. Il semble par exemple que les activités à la décrue se soient fortement intensifiées alors qu'elles se ralentissaient à l'étiage, un grand nombre de lacs, de mares ou de bras de fleuve étant asséchés contrairement à ce qui se passait en période de forte hydraulicité. Cette augmentation de la pression de pêche et la réduction des surfaces en eau ont donc conduità une plus grande vul-nérabilité du stock de ·poissons. La productivité du milieu pendant ce temps n'a fait qu'augmenter, passant de 40 à 120 kg/ha, très certainement grâce à l'augmentation de l'effort de pêche.

Dans l'état actuel des choses, le malaise ressenti par l'ensemble des pêcheurs traduit la détérioration de leur niveau de vie et une certaine dégradation du tissu social dans lequel ils évoluent. Les prélèvements individuels des ménages ont été sérieusement réduits alors que les investissements dans le matériel de pêche devenaient plus lourds. L'accès aux zones de pêche est devenu essentiel, exacerbant

Adaptabilité de l'effort de pêche

aux fluctuations naturelles

Alltquecontemponllne

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