MAITRES DE CONFERENCES
M. Sylvain FRAINEAU (phar) Physiologie (Inserm U 1096)
3 Limites de l’aromathérapie en cancérologie
3.4 Interactions pharmacologiques
3.4.3 Impact sur la coagulation (Faucon et al., 2017 ; Tisserand et Young, 2014)
Le salicylate de méthyle
Les huiles essentielles de Betula lenta L., de Gaultheria procumbens L. et de Gaultheria
fragrantissima Wall. possèdent une activité qui inhibe l’agrégation plaquettaire de par leur
principal composant : le salicylate de méthylea. Or cet ester est hydrolysé, au niveau
hépatique, en acide salicylique, qui est un métabolite actif de l’aspirine. Une étude sur 11 patients (Yip et al., 1990), ayant eu un « significant usage » d’une pommade à base de salicylate de méthyleb, a pointé du doigt les quatre éléments suivants :
- une augmentation anormale de l’INR chez tous les patients, - des manifestations hémorragiques chez 3 patients,
- des ecchymoses chez 2 patients,
- une hémorragie gastro-intestinale chez 1 patient.
Il apparaît que pour toutes les voies d’administration, il semble nécessaire de bannir les huiles essentielles riches en salicylate de méthyle pour les patients présentant un risque hémorragique iatrogène (ex. : antivitamines K) ou lié à une pathologie (ex. : hémophilie). Une autre étude, comparant l’usage topique du salicylate de méthyle à l’aspirine par voie orale, montre qu’il n’y a pas de différence significative entre les deux sur l’inhibition plaquettaire (Tanen et al., 2008)c.
Autres molécules inhibant l’agrégation plaquettaire (Tisserand et Young, 2014)
- Les dérivés souffrés. - Le trans-anéthole.
aÀ plus de 97 %.
bLe résumé n’indiquant ni la quantité du composé dans la pommade ni la posologie, l’étude est à considérer comme un argument allant dans
le sens d’un possible risque hémorragique avec les topiques contenant du salicylate de méthyle plutôt que comme une preuve.
cL’étude n’est que sur 9 volontaires sains, mais elle est randomisée, en aveugle et croisée. Elle compare l’absorption de 162 mg d’aspirine
174 - L’eudesmol.
- Le cinnamaldéhyde.
- L’eugénol (Janssens et al., 1990 ; Rasheed et al., 1984). - Le carvacrol et le thymol (Enomoto et al., 2001).
Molécules avec une activité anticoagulantes possible
- Les coumarines possèderaient une activité anticoagulantea.
- Les β-diones ou italidiones de l’huile essentielle Helichrysum italicum (Roth) G.Don seraient anticoagulantes. (Faucon et al., 2017).
Conséquences
Ces huiles essentielles et ces molécules peuvent donc augmenter le risque hémorragique chez les patients traités avec un médicament visant à fluidifier le sang : anticoagulants, antiagrégants plaquettaires, héparines, aspirine, etc. lors d’une prise orale.
Voici la liste des huiles essentielles ayant un effet antiagrégant plaquettaire et pouvant nécessiter des précautions ou des contre-indications avec des anti-inflammatoires, lors d’une thrombopénieb ou lors d’une intervention chirurgicale (Tisserand et Young, 2014)c.
Allium ampeloprasum L. Précaution par voie orale (dérivés soufrés)
Allium cepa L. Contre-indication par voie orale (dérivés soufrés)
aTisserand et Young précisent bien que ce sont les dérivés de la coumarine qui sont anticoagulants (comme la warfarine), la coumarine en
elle-même n’étant pas anticoagulante. Ces derniers indiquent que la coumarine est souvent incorrectement associée avec les effets de ses dérivés. Ainsi, ils ne classent aucune des huiles essentielles contenant des coumarines dans les huiles essentielles pouvant avoir un impact sur l’agrégation plaquettaire.
Dans le même temps, dans l’ouvrage de Franchomme (2001) il est bien indiqué que les « coumarines (…) sont dotées d’une activité anticoagulante très puissante. » et plus loin dans son ouvrage, il indique qu’il explique l’action anticoagulante de ces familles « en rapprochant l’expérience clinique et les connaissances issues de la tradition (…) et [grâce à] des recherches fondamentales sur cette molécule, il est possible d’étendre aux coumarines monomères (présentes dans les huiles essentielles) les mécanismes d’action anticoagulants, et l’action même du dicoumarol (…) » cette dernière molécule étant à forte dose un raticide, a été à faible dose un anticoagulant maintenant supplanté par la warfarine.
Faucon indique aussi un pouvoir anticoagulant puissant des coumarines.
Ainsi, il semble que Franchomme et Faucon aient fait l’erreur soulignée par Tisserand & Young.
bLa thrombopénie est spécifique de certaines molécules cytotoxiques : gemcitabine, topotécan, carmustine, carboplatine, busulfan,
melphalan, cyclophosphamide à forte dose.
Demoré & Aulagner, dans le chapitre 31 « Principaux effets indésirables des médicaments anticancéreux » de Pharmacie clinique pratique
en oncologie, indiquent dans leurs « Conseils pratiques » qu’« il est nécessaire de (…) ne pas prendre d’aspirine ni d’AINS ».
cCette liste a été éditée à partir du Chapitre 13 « Essential oil profiles », dans lequel Tisserand & Young indiquent les interactions
médicamenteuses attendues pour chaque huile essentielle en différencient « caution » de « contraindication », la voie orale de la voie dermique. Il a été choisi de traduire « caution » par « précaution » et « contraindication » par « contre-indication ».
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Allium sativum L. Contre-indication par voie orale (dérivés soufrés)
Atractylodes lancea (Thunb.) DC. Précaution par voie orale (eudesmol)
Betula lenta L. Contre-indication toutes voies (salicylate de méthyle)
Cinnamomum cassia (L.) J.Presl. Précaution par voie orale (cinnamaldéhyde)
Cinnamomum tamala (Buch.-Ham.) T.Nees & Eberm. Précaution par voie orale (eugénol)
Cinnamomum verum J.Presl. écorce / feuilles Précaution par voie orale (cinnamaldéhyde / eugénol) Foeniculum vulgare Mill. Précaution par voie orale (anéthole)
Gaultheria procumbens L. Contre-indication toutes voies (salicylate de méthyle)
Helichrysum italicum (Roth) G.Don Précaution par voie orale (β-diones)a
Illicium verum Hook.f Précaution par voie orale (anéthole)
Lavandula x intermedia Emeric ex Loisel. Précaution par voie oraleb (Bellabeni et al., 2004)
Lippia graveolens Kunth Précaution par voie orale (thymol et carvacrol)
Neocallitropsis pancheri (Carrière) de Laub. Précaution par voie orale (eudesmol)
Ocimum gratissimum L. CT eugénol Précaution par voie orale (eugénol)
Ocimum tenuiflorum L. Précaution par voie orale (eugénol et estragole)
Origanum majorana L. CT carvacrol et CT linalol
(feuilles)
Précaution par voie orale (carvacrol)
Origanum vulgare L. Précaution par voie orale (carvacrol)
Pimenta dioica (L.) Merr.(feuilles) Précaution par voie orale (eugénol)
Pimenta racemosa (Mill.) J.W.Moore Précaution par voie orale (eugénol)
Pimpinella anisum L. Précaution par voie orale (anéthole)
Pogostemon cablin (Blanco) Benth. Précaution par voie orale (a-Bulnesene = D-guaiene)
Satureja hortensis L. et Satureja montana L. Précaution par voie orale (carvacrol, thymol)
Syzygium anisatum (Vickery) Craven & Biffin Précaution par voie orale (anéthole)
Syzygium aromaticum (L.) Merr. & L.M.Perry Précaution par voie orale (eugénol)
Thymus saturejoides Coss. CT bornéol Précaution par voie orale (carvacrol, thymol)
Thymbra spicata L. Précaution par voie orale(carvacrol)
Thymus vulgaris L. CT limonène Précaution par voie orale (carvacrol)
Thymus vulgaris L. CT thymol et/ou carvacrol Précaution par voie orale (thymol, carvacrol)
Trachyspermum ammi (L.) Sprague Précaution par voie orale (thymol, carvacrol)
aTisserand & Young n’indiquent pas de précautions ou de contre-indications particulières pour l’huile essentielle d’Helichrysum italicum
(Roth) G.Don. Néanmoins, Faucon indique qu’il est préférable d’agir précautionneusement chez les patients sous anticoagulants.
bL’article précise que l’huile essentielle de « Lavandula hybrida grosso », à des doses importantes, a réduit significativement les événements
thrombotiques sans induire de complication hémorragique chez des souris, qui avaient reçu en IV un mélange collagène-épinéphrine pour induire des thromboembolies pulmonaires. Néanmoins, aucun composant n’a démontré, in vitro, une activité antithrombotique.
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Zingiber officinale Roscoe Précaution par voie oralea
Pour les huiles essentielles contenant des coumarines:
- il ne semble pas y avoir d’incidence avec la co-administration d’anti-inflammatoires, - pour éviter les mauvaises surprises, il serait peut être judicieux de les éviter dans les
jours précédents une opération chirurgicale.
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