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Impact des prophages à court terme: un génotype bactérien étendu

3.2.1 La transduction

Le transfert d'ADN par transduction est promu par les phages (Zinder 1955). Ce mécanisme consiste en l'encapsidation d'ADN bactérien dans la capside virale pouvant être ensuite transféré à une autre cellule par infection. Les bactéries peuvent donc bénéficier de l'acquisition de nouveaux gènes bactériens par ce processus tels que des gènes de résistance aux antibiotiques (Muniesa, et al. 2013). Il existe deux mécanismes de transduction: la transduction spécialisée et la transduction généralisée. i) La transduction spécialisée est due aux prophages intégrés au sein du chromosome bactérien. Lors de l'excision, il arrive parfois que la recombinaison se ne fasse pas entre les deux sites de recombinaison originels (att) mais entre des sites secondaires (Campbell 1969). L'excision imparfaite du prophage peut alors mener à l'encapsidation d’une molécule d'ADN hybride constituée d'ADN phagique et d'un fragment d'ADN bactérien (Campbell 1969). Etant donné la limitation du volume d'ADN encapsidable par le virus, ce phénomène ne permet le transfert que de petites quantités d'ADN bactérien (typiquement <5kb) (Campbell 2006). Le fragment ainsi transféré via la particule virale, peut intégrer le chromosome de la cellule receveuse par intégration du virus via son intégrase. ii) La transduction généralisée résulte d'un empaquetage accidentel de fragments d'ADN exclusivement bactériens dans la capside du phage (Susskind and Botstein 1978). Elle permet donc le transfert de plus grandes quantités d'ADN hôte (environ 93kb pour le phage

les phages utilisant un système d'encapsidation à tête pleine comme chez le lambdoïde P22 (Susskind and Botstein 1978) (voir section 2.2.3). Ne dépendant pas de motifs spécifiques d'encapsidation il est possible, lorsque de l'ADN bactérien non circulaire est disponible dans la cellule, d'encapsider aléatoirement certains fragments du chromosome. Jusqu'à 2% des phages P22 peuvent ainsi remplir leur capside avec de l'ADN bactérien (Ebel-Tsipis, et al. 1972a). L'ADN bactérien pourra alors être transféré à d'autres cellules par infection. L'ADN ainsi injecté peut intégrer le chromosome de la cellule receveuse par recombinaison homologue. Il est important de noter que le taux de particules virales contenant de l'ADN bactérien est relativement faible. La majorité des particules encapside uniquement de l'ADN viral. Néanmoins, ces taux d'encapsidation d'ADN bactérien peuvent varier de manière importante (jusqu'à 200 fois plus pour P22) chez certains virus mutants (Casjens, et al. 1992; Schmieger 1972; Wall and Harriman 1974).

3.2.2 Protection contre la sur-infection

La présence d'un prophage confère un avantage direct à la cellule hôte en lui conférant une immunité contre d'autres infections phagiques: "l'exclusion". Chez Lambda, le répresseur CI exprimé par le prophage va ainsi bloquer l'induction du cycle lytique par toute infection supplémentaire de Lambda (Court and Oppenheim 1983; Gussin, et al. 1983). Ce mécanisme est essentiel à l'établissement de la lysogénie, car les particules virales étant libérées simultanément par la cellule dans l'environnement, les sur-infections par un même phage sont très fréquentes. La répression agissant par la fixation du répresseur sur les sites opérateurs, ce mécanisme permet de réprimer l'infection par des phages apparentés. Ce mécanisme d'exclusion est aussi qualifié d'homoimmunité.

Des mécanismes d'hétéroimmunité, c'est à dire d'exclusion de phages taxonomiquement différents, sont fréquemment observés. Ces systèmes d'exclusion impliquent alors la présence de gènes accessoires non essentiels (Court and Oppenheim 1983). Certains systèmes semblent cibler certains mécanismes généraux du cycle phagique, ce qui permet d'exclure de nombreux phages différents, aussi bien tempérés que virulents. Le phage Lambda possède les gènes

rexA et rexB qui protègent la cellule contre les infections de phi80, P22 et certains mutants

des phages T4, T5 et T7 (Benzer 1955; Jacquemin-Sablon and Lanni 1973; Pao and Speyer 1975; Susskind and Botstein 1980; Toothman and Herskowitz 1980). L'action des gènes rex

1983). Lambda et d'autres lambdoïdes codent également pour le gène sieB qui permet l'exclusion de différents phages tempérés (Ranade and Poteete 1993). Le gène accessoire old du phage P2 code pour une exonucléase qui dégrade l'ADN de Lambda (Myung and Calendar 1995).

La présence de systèmes d'exclusion codés par les prophages représente un bénéfice important pour les bactéries hôtes. L'acquisition d'un prophage permet ainsi d'éviter la lyse de la cellule et parfois l'infection par d'autres phages hétérologues. Ceci bénéficie en retour au phage qui porte ces gènes mais nuit aux phages exclus. Il y a ainsi une véritable compétition entre phages basée sur l'acquisition de systèmes d'exclusions et sur l'apparition de résistance à ces systèmes (Refardt 2011).

3.2.3 Gènes augmentant la croissance de l'hôte

Il a été suggéré que les prophages codent parfois pour des gènes augmentant la fitness de leur hôte en stimulant directement leur taux de croissance (Edlin, et al. 1977; Lin, et al. 1977). Des tests de croissance ont été effectués in vitro en présence de divers prophages: Lambda, Mu, P1 et P2. Les résultats de ces travaux suggèrent une augmentation de la fitness des lysogènes sur les non lysogènes lorsque le milieu de culture est appauvri en glucose. Les mécanismes à l'origine de cette augmentation de croissance restent cependant mal compris.

3.2.4 Gènes liés à la pathogenèse

Les prophages peuvent également avoir un impact positif sur leurs hôtes en augmentant leur pathogénicité ou leur résistance. L'introduction de tels gènes au sein de l'hôte peut entraîner des modifications phénotypiques importantes telles que la capacité d'infecter différents organismes ou la résistance à certains antibiotiques. Par exemple, la toxine shiga est codée par les gènes stx de divers phages lambdoïdes et cause des diarrhées sanguinolentes et des colites hémorragiques humaines (Allison 2007). Un cas d'épidémie récent a eu lieu en Allemagne et le prophage ayant introduit la toxine a pu être identifié (Laing, et al. 2012). Il semble cependant que la toxine Stx soit originellement utilisée comme système de défense contre les protistes (Los, et al. 2012). La présence de tels gènes au sein des phages tempérés

témoignerait d'un alignement entre les intérêts du prophage et du lysogène car la multiplication bactérienne promeut directement la multiplication du prophage. De nombreuses toxines codées par des phages ont été référencées (voir (Boyd, et al. 2012; Brussow, et al. 2004)). Les prophages peuvent également coder pour des fonctions accessoires augmentant la pathogénicité bactérienne. Le gène lom de Lambda permet ainsi d'améliorer l'adhérence d'E.

coli aux cellules de mammifères, ce qui peut alors faciliter les infections (Hendrix and

Casjens 2006). Une étude récente suggère que les phages seraient également des vecteurs de gènes de résistance aux antibiotiques (Modi, et al. 2013).

3.2.5 Utilisation des prophages comme armes

Il a été suggéré que l'induction d'un prophage peut permettre de tuer les bactéries ne contenant pas cet élément (Brown, et al. 2006; Gama, et al. 2013; Joo, et al. 2006). A l'inverse les bactéries lysogènes sont immunisées contre ce phage. Au sein d'une population bactérienne, l'induction d'un prophage va donc permettre d'éliminer les compétiteurs sensibles, sans affecter les individus apparentés issus de la multiplication clonale. L'induction de l'élément viral va engendrer la lyse de la bactérie émettrice mais peut bénéficier aux autres clones de la population par sélection de parentèle (Hamilton 1964a, b). Ce mécanisme a cependant un effet limité dans la mesure où une partie des bactéries non lysogènes pourront devenir lysogènes par intégration chromosomique du phage et ainsi devenir résistant à ce même phage (Gama, et al. 2013). Néanmoins, bien que temporaire, cet avantage compétitif pourrait permettre aux bactéries lysogènes de coloniser de nouvelles niches (Brown, et al. 2006).

3.2.6 Effets délétères liés à l'intégration

Bien que les prophages puissent apporter des avantages sélectifs, plusieurs effets délétères peuvent être attribués à leur présence. Leur impact sur la fitness bactérienne pourrait donc résulter d'un équilibre entre leurs effets avantageux et délétères. Premièrement, l'induction de ces éléments conduit à la lyse de la cellule. Nous avons vu que les prophages sont généralement induits par la réponse SOS. La réponse SOS est déclenchée lorsque la bactérie a subi des lésions génomiques importantes (Bjedov, et al. 2003). Elle ne permet cependant pas de réparer ces dommages systématiquement. Il est donc probable que cette induction du cycle

lytique par la réponse SOS diminue les effets délétères de la lyse sur la bactérie dans la mesure où celle-ci aurait peut-être succombé à ces dommages. L'induction stochastique des

prophages (10-6 par division cellulaire) représente en revanche un fardeau direct diminuant la

fitness du lysogène (Gottesman and Yarmolinsky 1968). Il est à noter également que les phages tempérés s'intègrent souvent au sein de gènes d'ARNt sans en altérer leur séquence (Campbell 2002). Néanmoins, de nombreux prophages (28%) semblent être intégrés au sein de gènes codants, ayant généralement pour effet d'interrompre la phase codante de ces gènes (Fouts 2006). Ceci suggère donc que l'intégration des phages peut avoir des effets délétères pour son hôte en inactivant certains gènes. Enfin, nous avons vu précédemment que les génomes bactériens sont des entités compactes et organisées. Or, certains génomes bactériens peuvent contenir de nombreux prophages (18 chez E. coli O157:H7 Sakaï) (Asadulghani, et al. 2009). Ceci laisse envisager que des pressions sélectives agissent sur l'intégration des phages afin de minimiser les coûts de fitness pour l'hôte (Lawrence and Hendrickson 2003). Enfin, il a été montré récemment que le prophage Mu est structuré en un domaine surenroulé à l'instar du reste du chromosome d'E. coli (Saha, et al. 2013). Cela suggère que les phages peuvent s'adapter passivement ou activement aux contraintes structurelles du chromosome hôte de manière à réduire les effets délétères liés à leur intégration.