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Ecologie et course aux armements

3.1.1 L'organisme le plus abondant et son impact

Différents travaux ont permis d'estimer que les phages sont les organismes les plus abondants sur terre (Biers, et al. 2008; Rohwer and Thurber 2009; Suttle 2007). Il est généralement

considéré qu'il existe environ 1031 particules phagiques sur terre contre 1030 cellules

bactériennes. Cependant, ces estimations sont probablement surestimées à cause de la confusion de ces particules virales avec des vésicules membranaires ou des Agents de Transfert de Gènes (ATGs) (Forterre, et al. 2013). Quoiqu'il en soit, les phages représentent des entités que les bactéries ont une très forte probabilité de rencontrer. Il a ainsi été suggéré que les phages représentent la principale pression de sélection agissant sur les bactéries. Le taux de cellules continuellement lysées par les phages pourrait même avoir une influence importante sur les cycles géochimiques océaniques (Fuhrman 1999). Les phages permettraient également de maintenir une certaine diversité bactérienne selon l'hypothèse "Kill the winner" (Thingstad and Lignell 1997). Selon ce modèle, une augmentation du nombre de bactéries hôtes (le vainqueur) conduirait à une augmentation de ses phages, ce qui aurait pour conséquence d'accroître le taux de mortalité de l'hôte. En définitive, les phages empêcheraient les populations bactériennes dominantes de s'imposer et pourraient ainsi maintenir une diversité bactérienne plus importante.

3.1.2 La co-évolution et la course aux armements

De part leur abondance, les phages représentent une menace importante pour les bactéries. Non seulement la lyse mène à la destruction d'une bactérie mais ce processus conduit à la multiplication du nombre de phages dans l'environnement, ce qui peut détruire une grande partie des populations bactériennes. Face à cette menace, les bactéries ont développé de nombreux systèmes de défense contre les infections phagiques.

i) Elles peuvent modifier l'expression, la diversité ou l'accessibilité des protéines membranaires ciblées par les phages par un processus nommé "variation de phase". Ces modifications peuvent être programmés par différents mécanismes moléculaires: inversions site-spécifiques, glissement programmé de l'ADN polymérase, sécrétion de polysaccharides formant une capsule ou rétro-transcription (Bikard and Marraffini 2012; Labrie, et al. 2010). ii) Les systèmes de restriction-modification sont utilisés pour détruire l'ADN phagique par dégradation des séquences qui ne possèdent pas les mêmes motifs de méthylation grâce à une action méthylase et endonucléase (Kobayashi 2001).

iii) Un autre système peut également dégrader l'ADN phagique: les CRISPRs (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats) associés aux gènes cas (CRISPR associated proteins) (Deveau, et al. 2010). Ce système permet de cibler spécifiquement des séquences d'ADN phagique par production de petites séquences d'ARN complémentaires couplée à l'action d'une endonucléase Cas et d'incorporer de nouvelles séquences phagiques au sein du CRISPR (Garneau, et al. 2010).

iv) Les systèmes d'avortement d'infection (systèmes Abi) permettent à la bactérie de stopper l'infection phagique par divers mécanismes. Typiquement, ces systèmes ciblent certaines étapes clés du cycle phagique telles que la recombinaison généralisée, empêchant ainsi l'encapsidation d'ADN phagique (Bouchard and Moineau 2004). Cette stratégie défensive implique parfois le suicide de la bactérie grâce aux systèmes toxine-antitoxine (Koga, et al. 2011). En se suicidant, la bactérie éviterait la destruction de l'ensemble de la population (Fukuyo, et al. 2012).

v) Enfin, des travaux récents sur les vésicules membranaires bactériennes ont montré que ces structures sont ciblées par les phages (Biller, et al. 2014). Les auteurs de cette étude ont ainsi suggéré que la production de vésicules membranaires par les bactéries pourrait diminuer significativement le taux d'infection. Ces vésicules possèdent en effet les récepteurs cellulaires ciblés par les phages. Selon cette hypothèse, les phages ne pourraient pas engager leur cycle lytique après infection de vésicules et ces éléments constitueraient donc de véritables leurres cellulaires.

Les phages s'adaptent continuellement à ces différents systèmes de défense. La plupart de ces systèmes peuvent être contournés par l'apparition spontanée de mutations ponctuelles. Par exemple, les mutations de gènes codants des protéines structurelles peuvent rétablir l'affinité du phage pour un récepteur ou lui permettre de s'attacher à de nouveaux récepteurs (Drexler, et al. 1989; Hofnung, et al. 1976). L'échange de modules génétiques par recombinaison

De plus, ce phénomène permet également aux phages de modifier leurs répertoires géniques. Ce dernier point est d'autant plus important que les phages possèdent fréquemment des gènes leur permettant de contourner les défenses bactériennes (Samson, et al. 2013). Par exemple, les phages peuvent parfois coder pour l'antitoxine et empêcher ainsi l'avortement prématuré du cycle lytique (Otsuka and Yonesaki 2012). Il est intéressant de souligner que les phages peuvent parfois utiliser les mêmes systèmes que les bactéries pour contourner leurs défenses. Il a ainsi été montré récemment que les phages peuvent posséder leur propre système CRISPR-Cas pour échapper au système défensif de l'hôte (Seed, et al. 2013).

L'adaptation des phages conduit à l'adaptation permanente des bactéries pour leur échapper dans un processus de course aux armements comme développé dans l'hypothèse de la reine rouge (Van Valen 1973). Les bactéries peuvent ainsi s'adapter par mutations ponctuelles mais également via le renouvellement de leurs répertoires de gènes médié par transferts horizontaux (Avrani, et al. 2011). Les phages et leurs hôtes sont donc en co-évolution constante puisqu'ils entretiennent une relation hôte-parasite. Cette relation a certainement un impact important sur la diversification de ces deux entités.

3.1.3 L'ambigüité des phages tempérés: faux ennemis ou faux amis?

Bien que les parasites aient un impact délétère sur leurs hôtes, leur survie dépend de ces derniers. Il est par conséquent dans l'intérêt des parasites de minimiser leur impact sur leurs hôtes ou de compenser cet impact en contribuant temporairement à la fitness de l'hôte. Par exemple, le cyanophage virulent S-PM2 augmente momentanément la fitness de son hôte en codant pour des gènes de photosynthèse (Mann, et al. 2003). La présence de ces gènes permet ainsi à la cellule d'assurer la production d'énergie suffisante à la reproduction du virus durant l'infection.

Les phages tempérés entretiennent une relation encore plus complexe avec leurs hôtes. En effet, ces phages ont la capacité de stabiliser leur ADN au sein des bactéries et généralement au sein de leur chromosome. Il en résulte que ces phages partagent un intérêt commun avec leur hôte sur une plus longue période de temps. En d'autres termes, l'ADN phagique peut être perçu comme une séquence bactérienne à temps partiel. Il est donc de l'intérêt du phage de contribuer à la fitness de son hôte puisque la multiplication bactérienne est alors directement corrélée à la multiplication du génome phagique. Il est ainsi très fréquent que les phages

Wang, et al. 2010). Les gènes phagiques codant pour ces fonctions ne sont généralement pas impliqués dans des fonctions phagiques essentielles (protéines de structures, de lyse, etc) mais contribuent indirectement à la fitness du phage en contribuant à celle de l'hôte. Les bactéries lysogènes peuvent ainsi être privilégiées par rapport à leurs semblables dépourvues de prophages. Cependant, ces bénéfices portés par les prophages peuvent s'avérer délétères à plus long terme. En effet, si aucune mutation n'a affecté de gènes essentiels durant la résidence du prophage au sein de son hôte, il est probable que le prophage soit induit et conduise à la lyse de la cellule. Les prophages agissent tels des cadeaux empoisonnés qui peuvent bénéficier à la bactérie dans un premier temps mais peuvent aussi la détruire à plus long terme.