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Impact d’un espace linguistique sur l’économie via les flux commerciaux

1.2 Lien entre économie et espace linguistique

1.2.1 Impact d’un espace linguistique sur l’économie via les flux commerciaux

1.2.1.1 Impact d’un espace linguistique sur les flux commerciaux

Dans le cadre des analyses du commerce international, l’absence d’une langue commune entre deux pays est traditionnellement interprétée comme un coût de transaction. Ainsi, l’article « Trade costs » d’Anderson et Van Wincoop (2004) estiment que la barrière linguistique peut être assimilée à une taxe de 7 % sur le commerce. Le partage d’une langue commune (officielle ou parlée) est donc supposé réduire les coûts de transaction et ainsi favoriser les échanges. A l’aide d’une analyse de la littérature empirique, Egger et Lassmann (2012a) estiment que le partage d’une langue commune augmente le commerce bilatéral de 44 % (Figure 2). Cette estimation se fonde sur une méta-analyse qui permet de résumer et de généraliser l’ensemble des résultats empiriques portant sur l’influence de la langue sur le

commerce international via l’estimation d’un modèle de gravité15. Cependant, il est à noter que si l’on considère seulement les études qui introduisent un ensemble de variables de contrôle (c.-à-d. qui contrôlent pour l’impact d’une frontière commune, de l’appartenance à un même accord commercial, du partage d’un passé colonial ou encore de la distance moyenne d’un pays à tous ses partenaires commerciaux) et isolent ainsi plus précisément l’impact de la langue commune sur le commerce bilatéral, le coefficient moyen n’est plus de 44% mais de seulement 33%.

Même si les techniques économétriques sur données de panel permettent de tenir compte de caractéristiques spécifiques aux paires de pays dans le modèle de gravité (nous discutons ces techniques dans la deuxième partie), il reste très difficile de prendre en compte tous les facteurs qui jouent sur le commerce international et ainsi d’être sûr d’isoler l’impact propre à la langue commune. Pour contourner ce problème, Egger et Lassmann (2012b) adoptent une stratégie d’identification différente en exploitant des données sur des différences de langues maternelles à l’intérieur d’un même pays, la Suisse. Leur résultat suggère qu’en moyenne le partage d’une langue commune entre les régions biaise favorablement la structure régionale d’importation de 13 points de pourcentage.

Figure 2 : Méta-analyse du coefficient associé au partage d’une langue commune dans un modèle de gravité (distribution et moyenne de 701 coefficients estimés dans la littérature empirique)

Source : Egger et Lassmann, 2012a

Conformément à ces résultats, les flux commerciaux devraient être plus élevés entre deux pays de l’espace francophone, toutes choses égales par ailleurs, qu’entre deux pays ne faisant pas partie du même espace linguistique. Ce lien s’explique par le fait que parler une même langue affecte les coûts au commerce et permet à la fois (i) d’exporter plus facilement pour la première fois vers les marchés des pays d’un même espace linguistique et (ii) de maintenir ces flux d’exportation dans le temps. Ainsi, Helpman et al. (2008) estiment qu’une langue commune abaisse de manière importante les coûts fixes à l’exportation et a ainsi une grande influence sur le choix par les entreprises de nouvelles destinations d’exportation. Albornoz et al. (2012) confirment ce résultat sur une base de données d’entreprises argentines: une entreprise exportatrice a une plus grande probabilité de pénétrer avec succès un marché d’un

15 Les auteurs reprennent ainsi les 701 coefficients estimés économétriquement dans un modèle de gravité de la variable « langue commune » dans la littérature économique, et en tenant compte des techniques, échantillons et caractéristiques des différents articles, sont en mesure d’estimer l’impact moyen de la variable en question.

même espace linguistique. Et une fois le flux d’exportation mis en place, Brenton et al.

(2010) démontrent que le partage d’une langue augmente les chances que cette relation d’exportation dure dans le temps (la langue commune augmente significativement le taux de survie des exportations bilatérales).

Bien que le rôle de la langue dans le commerce international soit largement reconnu, jusque très récemment, peu de recherches ont décomposé le rôle joué par les différentes dimensions de la proximité linguistique. Complétant et prolongeant les analyses existantes, Melitz et Toubal (2012) identifient et testent différentes variables de proximité linguistique qui peuvent favoriser les échanges commerciaux :

− le partage d’une langue parlée : indique une communication plus facile et explique 75 % de l’impact positif du partage d’une langue ;

− le partage d’une langue maternelle par les résidents d’une paire de pays : reflète le partage d’une ethnicité qui peut être un facteur de confiance et ainsi favoriser l’établissement de relations commerciales. Selon leurs estimations, l’effet du partage de la langue maternelle au sein de la paire de pays s’annule lorsque le flux bilatéral de migrants est intégré à l’analyse. En d’autres termes, l’influence de l’origine ethnique sur le commerce bilatéral passe par la présence de migrants et non par l’utilisation d’une langue maternelle commune;

− le partage d’une langue officielle : traduit l’apport du soutien institutionnel dans la traduction d’une langue donnée vers la langue locale et semble avoir un effet seulement marginal lorsque la capacité à communiquer est également prise en compte ;

− la proximité linguistique : reflète la facilité à traduire et à interpréter lorsque la langue maternelle des deux pays diffère, sans soutien institutionnel, et semble influencer positivement et significativement les échanges commerciaux.

La prise en compte de ces différents aspects permet ainsi d’affiner l’impact du partage d’une langue commune par rapport à celui traditionnellement obtenu dans les modèles de gravité à partir de la muette « langue officielle ».

1.2.1.2 Impact des flux commerciaux sur le PIB par tête et l’emploi

L’influence du commerce sur le PIB par tête et l’emploi a été le sujet d’un nombre important d’articles et de débats en économie internationale. Il semble cependant qu’un consensus se dégage sur l’impact positif qu’exercerait le taux d’ouverture commerciale sur :

- le PIB par tête : Frankel et Romer (1999) ou encore Noguer et Siscart (2005) estiment qu’une hausse de 1 point de pourcentage du commerce dans le PIB se traduit par un accroissement d’environ 1 % du revenu par tête, toutes choses égales par ailleurs.

- L’emploi : Dutt et al. (2009) et Felbermayr et al. (2011) montrent qu’un accroissement d’un point de pourcentage de l’ouverture commerciale se traduit par une réduction (faible) du chômage d’environ 0,07 points de pourcentage, toutes choses égales par ailleurs

Nous revenons plus en détail sur ces études dans la deuxième partie (section 6).

1.2.2 Impact d’un espace linguistique sur l’économie via les flux d’investissements directs