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Impact de l’embodied self-reflexivity et de la self-reflexivity

Chapitre 6 Impact du rituel : transformation personnelle chez les membres de la Sattva

6.2. Les modalités du rituel et leurs impacts

6.2.5. Impact de l’embodied self-reflexivity et de la self-reflexivity

Nous avons vu au chapitre 5 que la pratique rituelle développe un mode d’attention réflexive basé dans les sensations corporelles, l’embodied self-reflexivity (Pagis, 2009). L’aiguisage de la kinesthésie, le self-presencing et l’embodied self-reflexivity sont enchevêtrés l’un dans l’autre, c’est-à-dire que l’acquisition de chacun n’est pas mutuellement exclusive. C’est leur enchevêtrement mutuel qui rend chacune de leur manifestation possible. Dans sa discussion de l’embodied self-reflexivity, Pagis explique que le soi somatique est une carte du soi et de sa relation au monde dessinée à partir de « second order sensation », c’est-à-dire de sensations produites par le corps en réponse à de l’information sensorielle externe (2009 : 270). En ce sens, l’embodied self-reflexivity acquis au moyen de la pratique devient un point de référence pour un individu afin de mieux comprendre le vécu quotidien et l’impact de nombreux éléments constituant les situations de son quotidien. Vincent l’illustre précisément. Lorsqu’il s’est rendu compte qu’il n’avait pas à s’inquiéter par rapport à son gagne-pain, il a automatiquement ressenti l’évacuation d’un stress lié à cette anticipation au travers du relâchement de ses épaules :

« [la pratique me fait travailler] beaucoup sur apprendre à laisser les choses aller. Travailler aussi [à laisser-aller] au niveau monétaire, pour l’anxiété au niveau de l’argent. Il y a eu un déclic un moment donné qui s’est fait et qui jouait sur mon dos au niveau physique, les épaules m’ont relâchée. “ Ouf, l’argent, je n’en manquerai pas! ” C’est ce que je me suis dit. »

Vincent emploie les sensations physiologiques comme index afin de mieux comprendre l’impact de/et de mieux gérer ses états mentaux, émotionnels et ses circonstances de vie, dans ce cas, la rémunération.

En terme d’impact, l’acquisition de cette aptitude, l’embodied self-reflexivity, supporte la prise de conscience de sensations normalement cachées. De plus, elle devient

192 un outil pour obtenir un meilleur contrôle et compréhension du soi. Ceux-ci accordent l’espace nécessaire afin de ne pas s’identifier personnellement à des éléments provenant de l’extérieur. En nous l’expliquant en termes généraux, Mika considère sa pratique en partie comme un outil pour y arriver :

« It is funny because you are working in your body, but it makes me aware of how

thing are affecting me. And it gives me a tool to let go of them. And it is easier for me to do that by focusing on my body, in a lot of ways, than using thoughts to try to clear out the others’ thoughts. »

Mika emploie le perçu et vécu somatique afin de changer son positionnement par rapport à l’impact des situations de vie externe, c’est-à-dire qu’elle essaie de surveiller et contrôler l’impact externe en surveillant et contrôlant ses propres sensations corporelles.

L’analyse rituelle du chapitre 5 révèle que les techniques de l’AVY encouragent la concentration et la reconnaissance des modes subjectifs et mentaux internes au moyen du

self-presencing. Ce dernier développe également l’aspect discursif de la réflexivité, le self-reflexivity.94 À l’instar de l’embodied self-reflexivity, le self-reflexivity détient un potentiel de changement d’attitudes et d’actions, ce qui est aussi un effet transformateur. Les situations de vie quotidienne détiennent un impact sur le flot constant des pensées personnelles. Au moyen des techniques méditatives du rituel, les pratiquants prennent peu à peu conscience de l’impact de leur situation de vie sur leurs processus mentaux. Or, ils peuvent s’en détacher plus facilement par le biais des autres aptitudes acquises, tels que l’espace intérieur et le recul. Par la répétition de la pratique, les membres raffinent le

self-reflexivity et ce qu’il permet. Anna emploie délibérément sa pratique à cette fin :

« Using the practice to step back! On the day I felt like crap and did not want to be

there, I tried to step back and be an observer, trying to create that sort of subject/object thing, just to watch. Watch how my behavior change what my—you know—all the voices in my head being “I just hate this, that!” what ever it is! And working through it differently, you actually get to maybe go beyond these voices instead of being controlled by them. I guess that’s what I mean by going deeper. »

Les aptitudes présentées jusqu’à maintenant occasionnent des effets qui nous mènent à des aspects de l’habitus qui dépassent ceux reliés au physique abordés au début du présent chapitre. Considérant que le vécu subjectif varie selon les situations de vie

94 La notion réfère aux pensées verbales et conscientes faites à l’intérieur de soi. Elle se rapporte aussi aux

193 quotidienne, le contexte de la pratique accorde l’espace et les aptitudes nécessaires à une prise de conscience de l’habitus émotionnel ou mental. Pierre en a développé non seulement une prise de conscience, mais aussi la capacité de les altérer :

« Ça m’a un peu éveillé, ça m’a ouvert, ça m’a permis de réaliser à quel point mes

pensées ne sont pas nécessairement ni constamment bonnes pour moi, dans le sens que la pensée ne peut jamais s’arrêter, elle va continuellement trouver quelque chose pour s’occuper, que ce soit positif, que ce soit négatif, que ce soit destructeur pour soi-même ou pour les autres… Cela fait que ça m’a permis de réaliser justement ce qui se passait avec mes pensées, à quel point c’était facile pour mes pensées de s’en aller et de s’emballer sur quelque chose. La pratique me permet de réaliser ça, bien ça me permet des fois de contrôler ou de prendre un recul et de les rediriger plus positivement. »

Ce que Pierre nous dit est particulièrement évocateur. Bien que le vécu est toujours expérimenté dans le présent, les schèmes de pensées ont été acquis dans le passé et établis au travers du temps pour devenir un habitus qui passe normalement sous l’attention de la personne. Ceci va de pair avec la prise de conscience de l’habitus physique. Par conséquent, le développement du self-reflexivity, de l’espace intérieur ainsi que du recul permet de développer une prise de conscience de l’habitus mental et émotionnel. Par la prise de conscience de ce que la personne considère comme néfaste dans ses pensées et ses attitudes, elle peut, avec la répétition et la pratique, s’en éloigner (par l’acquisition d’un espace intérieur), s’en détacher (par l’acquisition d’un recul) et avec le temps, le contrôler en changeant ses schèmes de pensées ou d’émotions. Le tout accorde un effet positif sur l’agentivité et l’autonomisation.