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III / La recherche de droits acquis en droit de la propriété intellectuelle

140. Une vision extensive des droits acquis - Quant il s’agit de rechercher des droits

acquis en droit de la propriété intellectuelle, il est possible de s’inspirer des exemples donnés

par le doyen ROUBIER

520

. Sont cités les droits de créance, les droits réels et les droits de

succession. L’article L. 612-10 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle, relatif aux

inventions qui intéressent la défense nationale, dispose : « La prorogation des interdictions

(…) ouvre droit à une indemnité au profit du titulaire de la demande de brevet, dans la

mesure du préjudice subi ». Autrement dit, la créance correspondant à l’indemnité

d’immobilisation nait automatiquement dans le patrimoine du breveté à l’instant même de la

décision de prorogation. Cette créance pourrait aisément être assimilée à un droit acquis, afin

de garantir son paiement, même après l’entrée en vigueur d’une loi nouvelle qui supprimerait

cette compensation. Dans l’idéal, la notion de droit acquis devrait se concevoir aussi

facilement que cette créance de réparation issue du mécanisme de la responsabilité civile.

En outre, il est possible de penser aux « droits à ». Ils sont traditionnellement perçus comme

des dérivés d’une interprétation des droits de la défense. En droit de la propriété intellectuelle,

certaines illustrations pourraient être trouvées

521

. Il est remarquable que ces droits semblent

entretenir une certaine proximité avec la notion de « droits acquis »

522

. En effet, il faut voir

dans ces « droits à » des prérogatives dotées d’une certaine « résistance ». Par exemple, un

système de protection d’un « droit à » interdit à son titulaire d’y renoncer

523

. Le « droit à »,

comme le « droit acquis », est entièrement orienté vers une immutabilité de ses prérogatives.

520

P. ROUBIER, op. cit., n° 90, p. 464.

521

Il est possible de penser à certaines exceptions limitant l’exercice des droits patrimoniaux de l’auteur. V. M.

VIVANT et J-M. BRUGUIÈRE, Droit d’auteur, Dalloz, 1

ère

éd., 2009, n° 565, p. 377. Il est expliqué que chaque

« communauté » (bibliothécaires, défenseurs des logiciels libres, commissaires priseurs…) aspire à des espaces

de liberté et à de nouveaux « droit à ».

522

Cependant : Cass. Com., 24 févr. 2009 : D. 2009, AJ p. 1017. Le droit transitoire serait inapte à expliquer les

traductions juridiques de ces prérogatives inédites.

523

Il faudrait alors penser au bénéfice de l’auteur à un « droit à la paternité » de l’œuvre ou à un « droit à » une

protection de ses intérêts pendant la durée légale du monopole. V. R. BERTRAND, Droit d’auteur, 3

ème

éd.,

Dalloz Action, 2011-2012, n° 216-15, p. 934 : « (…) il faut d’une manière générale donner aux auteurs le moyen

légal de mettre leurs œuvres irrévocablement dans le domaine public (…) ». Une renonciation est dans ce cas

clairement envisagée.

Cependant, il faut prendre garde en droit de la propriété intellectuelle à ne pas reconnaître trop

facilement un « droit au brevet ». Cette vision des choses n’est pas acceptable dès lors que le

législateur a choisi le principe « du premier déposant »

524

. En effet, il est certain que la seule

création de l’invention n’est pas suffisante pour la reconnaissance définitive d’un monopole

d’exploitation

525

. Certes, le fait de création engendre une appropriation primitive. Seulement,

la perspective d’une divulgation de l’invention rend extrêmement précaire le lien exclusif

existant entre l’inventeur et sa « production ». Il est préférable de dire que l’inventeur jouit

simplement d’une « faculté » de protéger une invention préexistante au moyen d’une

procédure spécifique.

L’existence de droits acquis de nature procédurale a été défendue

526

. En transposant cette idée

au droit de la propriété intellectuelle, il est possible d’évoquer le droit des marques. Le

défendeur à une action en nullité

527

ou en contrefaçon

528

peut opposer un moyen tiré de la

forclusion de l’action. En considérant une loi nouvelle qui viendrait allonger la durée actuelle

qui est de cinq années, le défendeur pourrait être tenté d’invoquer un droit acquis consistant

en l’achèvement de cette durée sous le droit antérieur. En ce qui concerne les délais de

forclusion, l’effet juridique recherché ne peut être constaté qu’à l’arrivée du terme. C’est alors

le même mécanisme qui est observé dans le domaine des prescriptions. La personne dont les

intérêts sont favorisés par l’écoulement du délai est donc tentée d’invoquer un droit acquis

une fois le terme arrivé

529

. En revanche, si le droit à l’information apparait en tant que

garantie procédurale nouvelle offerte au titulaire du droit, la loi nouvelle qui viendrait le

supprimer pourrait recevoir la qualification de « loi de procédure » par le juge, et ce, afin de

524

L’absence d’exigence de la qualité d’inventeur pour déposer une demande de brevet figurait déjà de manière

implicite au sein de la loi du 5 juillet 1844. Elle fut ensuite présentée de manière explicite au sein de la loi du 2

janvier 1968.

525

Malgré d’ailleurs la rédaction ambigüe de l’article L. 611-6 du Code de la propriété intellectuelle, qui évoque

un « droit au titre » au bénéfice de l’inventeur ou de son ayant-cause (V. aussi la rédaction de l’article L. 611-7

du Code de la propriété intellectuelle). Il ne s’agit que d’une présomption qui dispense le déposant de prouver sa

qualité d’inventeur.

526

ROUBIER, op. cit., n° 101, p. 544. Cette notion aurait été défendue par C.-F. GABBA.

527

L’article L. 714-3 du Code de la propriété intellectuelle dispose en son alinéa 3 : « Seul le titulaire d’un droit

antérieur peut agir en nullité sur le fondement de l’article L. 711-4. Toutefois, son action n’est pas recevable si

la marque a été déposée de bonne foi et s’il en a toléré l’usage pendant cinq ans ».

528

L’article L. 716-5 du Code de la propriété intellectuelle dispose en son alinéa 4 : « Est irrecevable toute

action en contrefaçon d’une marque postérieure enregistrée dont l’usage a été toléré pendant cinq ans, à moins

que le dépôt n’ait été effectué de mauvaise foi. (…) ».

529

L’hypothèse est la suivante : à la suite d’un acte ou d’un fait, une partie dispose d’un certain délai pour agir.

Si son inaction est constatée pendant ce délai, la forclusion qu’elle subit pourrait constituer un droit acquis pour

l’adversaire. Par suite, ce droit ne pourrait être remis en cause par une loi nouvelle. Certes, l’absence de toute

remise en question d’un acte de procédure, quand il a été valablement accompli sous le droit antérieur, est une

solution qui peut aussi se fonder sur l’adage « tempus regit actum ». Seulement, la protection des droits acquis

peut être légitimement sollicitée.

C

HAPITRE

I / LA RÉTROACTIVITÉ DE LA LOI NOUVELLE AU REGARD DE LA NOTION DE «

DROIT ACQUIS »

l’appliquer à une instance « en cours »

530

. Force est de constater que la règle est souvent

traduite en termes d’avantages ou d’inconvénients nouveaux à l’égard du titulaire du droit. La

démarche perd alors en justification rationnelle.

141. Le problème du « droit acquis à une jurisprudence » - En droit de la propriété

intellectuelle, est retrouvé le danger que la rétroactivité de la jurisprudence peut présenter

531

.

Il faut alors rappeler qu’il n’existe pas de droits acquis au bénéfice d’une jurisprudence

532

. Il

est vrai qu’un revirement jurisprudentiel est susceptible de donner naissance à un préjudice

qui ressemble fort à celui engendré par l’application rétroactive d’un texte de loi. La

modulation des revirements de jurisprudence dans le temps constitue alors une réponse

ponctuelle. Il s’agira d’établir la preuve d’une atteinte au droit d’accès au juge afin de rendre

cette solution exceptionnelle plus probable.

Par exemple, en droit d’auteur, la faculté pour le juge d’asseoir sa décision sur le fondement

d’une directive non transposée a été rappelée

533

. Le juge avait interprété largement l’article 5

de la directive CE n° 2001- 29 du 22 mai 2001. Par la suite, la loi n° 2006-961 du 1

er

août

2006 a donné une interprétation plus restrictive de la norme communautaire

534

. Aucun

530

V. Ce droit à l’information peut être compris comme un instrument supplémentaire permettant de déterminer

le préjudice subi par le titulaire du droit, V. B. MAY, Améliorer l’indemnisation de la contrefaçon : la loi ne

suffira pas : Propr. ind. 2008, étude n° 4.

531

Par exemple, dans un domaine rattaché à la propriété littéraire et artistique, la responsabilité du

commissaire-priseur peut être déduite de la seule erreur commise sur l’authenticité de l’œuvre F. BAILLET BOUIN, Le

commissaire-priseur, responsable de plein droit envers l’adjudicataire d’une œuvre d’art ?, à propos de Cass.

1

ère

civ. 3 avr. 2007 : D. 2007, p. 2288.

532

V. par exemple : Cass. 1

ère

civ., 11 juin 2009 : D. 2009, p. 2599. « (…) la sécurité juridique, invoquée sur le

fondement du droit à un procès équitable, pour contester l’application immédiate d’une solution nouvelle

résultant d’une évolution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée,

dès lors que la partie qui s’en prévaut n’est pas privée du droit à l’accès au juge ». V. N. MOLFESSIS, La Cour

de cassation face à la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence : D. 2009, chron. p. 2567. V.

aussi : Cass. 1

ère

civ., 9 oct. 2001 : GAJC, 12

ème

éd., n° 11 ; JCP 2002, II, 10045, note O. CACHARD.

533

V. P-Y. GAUTIER, Propriété littéraire et artistique, op. cit., n ° 25, p. 39. Le juge n’est pas contraint

d’attendre que le délai de transposition soit expiré, voire même que le texte de la directive soit complètement

finalisé. Il est estimé par ailleurs que lorsque la directive n’est qu’à l’état de projet, « il n’est pas interdit aux

juges et professionnels des États membres de s’inspirer de ce que sera très probablement le futur état du droit

sur la question concernée ». Il est vrai que la directive est tout de même entrée en vigueur et fait partie de

l’ordonnancement juridique. Ce à quoi il est possible de répondre que la directive n’est pas directement

applicable dans le droit interne et ne formule que des objectifs. Il est alors difficile pour le plaideur d’avoir une

vision précise de la forme que pourra prendre la règle en droit interne. En effet, une liberté est offerte aux États

membres dans le choix des formes et des moyens. Selon l’article 249 du Traité de Rome, alinéa 3 : « La directive

lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la

compétence quant à la forme et aux moyens ». C’est cette disposition qui devra être étudiée par l’interprète :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives

nécessaires pour se conformer à la présente directive avant le … ». V. C. ZOLYNSKI, Méthode de

transposition des directives communautaires, Étude à partir de l’exemple du droit d’auteur et des droits voisins,

Dalloz, 2007.

534

V. Cass. 1

ère

civ., 22 janvier 2009 : Comm. com. électr. 2009, comm. n° 33, note C. CARON ; D. 2009, n° 7,

p. 428, note J. DALEAU ; Légipresse 2009, II, p. 103, note V. VARET ; Propr. intell. 2009, n° 31, p. 167, obs.

A. LUCAS. Il s’agissait d’apprécier la légalité de la reproduction d’une photographie effectuée en 2004. Une

société, éditrice d’une revue, assigne une autre société concurrente en contrefaçon et concurrence déloyale pour

avoir reproduit sans autorisation dans l’un de ses magazines une photographie sur laquelle elle estime avoir des

plaideur n’aurait pu invoquer un droit acquis à l’interprétation antérieure du juge national,

fusse-t-elle plus favorable à ses intérêts. Il convient de remarquer que la question ne se pose

pas lorsque la norme communautaire propose l’adoption d’une procédure particulière. Par

exemple, en droit des marques, la procédure d’opposition n’a pas été imposée par la directive

CE du 21 décembre 1988. Il avait seulement été indiqué dans son préambule que les États

membres pouvaient insérer cette procédure au sein de leur droit interne. Avant toute

transposition de la règle, il est évident que le juge ne pouvait rien déduire de cette seule

information.

IV / Des erreurs spécifiques au droit de la propriété