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A / Des dispositions transitoires qui participent encore d’une application immédiate de la loi nouvelle

78. L’anticipation par le législateur d’un retard éventuel dans la conclusion d’un

accord collectif, des exemples en droit de la propriété littéraire et artistique – Par une

disposition transitoire, le législateur tente d’éviter les difficultés que le retard dans la

conclusion d’un accord collectif pourrait engendrer. L’article 132-32 du Code de la propriété

intellectuelle dispose : « À défaut d’accord conclu soit avant le 4 avril 1986, soit à la date de

l’expiration du précédent accord, les bases de la rémunération visées au deuxième alinéa de

l’article L. 132-31 sont déterminées par une commission (…) »

296

. L’article L. 214-4 du Code

de la propriété intellectuelle affirme : « À défaut d’accord intervenu avant le 30 juin 1986, ou

si aucun accord n’est intervenu à l’expiration du précédent accord, le barème de

rémunération et des modalités de versement de la rémunération sont arrêtés par une

296

Cet article est issu de la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 (V. l’article 14, alinéa 5). L’alinéa premier de l’article

L. 132-31 du Code de la propriété intellectuelle crée une présomption légale de cession des droits patrimoniaux

de l’auteur au bénéfice d’un producteur. C’est l’alinéa 2 qui dispose : « Un accord entre les organisations

représentatives d’auteurs et les organisations représentatives des producteurs en publicité fixe les éléments de

base entrant dans la composition des rémunérations correspondant aux différentes utilisations des œuvres ».

L’alinéa 3 précise que la durée de l’accord est comprise entre un et cinq ans. L’alinéa 4 énonce que ses

stipulations peuvent être rendues obligatoires « pour l’ensemble des intéressés » par décret. Une décision en date

du 23 février 1987 a été rendue par la commission envisagée par l’article L. 132-32 du Code de la propriété

intellectuelle.

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commission (…) »

297

. L’article L. 212-9 du Code de la propriété intellectuelle énonce : « À

défaut d’accord conclu dans les termes des articles L. 212-4 à L. 212-7 soit avant le 4 janvier

1986, soit à la date d’expiration du précédent accord, les modes et les bases de rémunération

des artistes-interprètes sont déterminées pour chaque secteur d’activité, par une commission

(…) »

298

. Ces trois articles présentent une rédaction identique. Le législateur prévoit en

premier lieu que « tout se passe comme prévu ». Un accord collectif doit être conclu dans

l’avenir. Seulement, en cas de carence des protagonistes, le risque de blocage du système mis

en place est réel. Le législateur anticipe alors les difficultés en prévoyant, par défaut,

l’intervention d’une commission spécialisée. Évidemment, en raison du risque de « vide

juridique » qui se trouve ainsi évité, la disposition transitoire apparait conforme à l’exigence

de sécurité juridique. De plus, l’application de la loi nouvelle est facilitée. C’est une façon

pour le législateur d’agrandir dans tous les cas l’empire de la loi nouvelle, sans que la

négligence des différents intéressés ou le refus de s’entendre entre eux ne soit en mesure de

ralentir la mise en œuvre de la réforme.

79. La loi du 27 mars 1997, l’ajout d’une autorisation supplémentaire qui ne

pouvait pas être prévue dans un contrat antérieur et l’annulation de clauses

contractuelles pourtant valables au jour de leur stipulation – La loi n° 97-283 du 27 mars

1997 présente un titre III intitulé : « Dispositions diverses et transitoires ». L’article 13 de la

loi dispose : « Lorsqu’un contrat de coproduction d’une œuvre audiovisuelle, conclu avant

l’entrée en vigueur de la présente loi entre un ou plusieurs coproducteurs établis en France et

un ou plusieurs coproducteurs établis dans un autre État, prévoit expressément un régime de

répartition des droits d’exploitation par zones géographiques sans distinguer le régime

applicable à la télédiffusion par satellite des dispositions applicables aux autres moyens

d’exploitation, et dans le cas où une telle diffusion par satellite porterait atteinte à

l’exclusivité, notamment linguistique, de l’un des coproducteurs ou de ses ayants droit sur un

territoire déterminé, l’autorisation par l’un des coproducteurs ou ses ayants droit de

télédiffuser l’œuvre par satellite est subordonnée au consentement préalable du bénéficiaire

297

L’article L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit un système de licence légale qui limite les

droits du producteur de phonogrammes et de l’artiste-interprète en cas de publication d’un phonogramme à des

fins de commerce. À l’alinéa 3 il est prévu que « Ces utilisations de phonogrammes publiés à des fins de

commerce (…) ouvrent droit à rémunération au profit des artistes interprète et des producteurs ». L’article L.

214-3 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que le barème de rémunération et les modalités de versement

de la rémunération sont établis par des accords spécifiques à chaque branche d’activité. Le dernier alinéa prévoit

que la durée de ces accords est comprise entre un et cinq ans.

298

Au dernier alinéa de l’article L. 212-9 du Code de la propriété intellectuelle, il est précisé que la décision de la

commission « a effet pour une durée de trois ans, sauf accord des intéressés intervenu avant ce terme ».

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de cette exclusivité, qu’il soit coproducteur ou ayant droit ». Le premier élément du

présupposé est l’existence d’un contrat « ancien » qui ne présente aucune distinction entre les

différents moyens d’exploitation de l’œuvre audiovisuelle (A). Le second élément du

présupposé correspond à une diffusion par satellite de l’œuvre audiovisuelle qui porterait

atteinte à l’exclusivité, notamment linguistique, de l’un des coproducteurs ou de ses ayants

droit sur un territoire déterminé (A’). L’effet juridique de la règle consiste en un devoir

d’obtenir une autorisation supplémentaire mis à la charge de celui qui souhaite diffuser

l’œuvre ((i) B). La loi nouvelle est venue régir la télédiffusion par satellite qui est un mode

d’exploitation de l’œuvre issu d’une évolution technologique. Le législateur reconnait une

utilité nouvelle à une chose intellectuelle existante et apporte à ce titre un régime particulier.

Il se permet d’introduire dans les conventions « en cours » certains éléments appartenant au

nouveau régime. En quelque sorte, l’application de la loi nouvelle à un contrat en cours se

trouverait expliquée par la nature déclarative de ses dispositions au regard des utilités de la

chose

299

.

Il convient de remarquer que la référence à des « contrats antérieurs » permet en théorie de

dénombrer les destinataires de la norme nouvelle. À ce titre, il serait possible de déceler une

certaine rétroactivité au sein de la disposition transitoire. La norme perd en partie son

caractère hypothétique dès lors que le législateur n’envisage pas seulement la conclusion

éventuelle et dans le futur d’un contrat d’exploitation

300

. Il faudrait reconnaître une règle

véritable pour le futur et plusieurs « décisions » pour le passé

301

.

L’article 14 de la loi n° 97-283 du 27 mars 1997 est placé au sein d’une division intitulée

« Dispositions diverses et transitoires ». Il est précisé : « À compter du 1

er

janvier 2000, sont

réputées non écrites, si elles sont contraires aux dispositions des articles L. 2-1, L.

122-2-2 et L. 217-1 du Code de la propriété intellectuelle, les clauses des contrats relatifs à la

télédiffusion par satellite, sur le territoire de la Communauté européenne, d’œuvres ou

d’éléments protégés par un droit voisin, et qui auront été conclus avant la date d’entrée en

vigueur de la présente loi ». Quand le législateur répute non écrite une clause d’un contrat

conclu sous la loi ancienne, cela constitue indubitablement une atteinte à la loi des parties. En

299

La loi nouvelle ne crée pas réellement cette utilité. Télédiffuser l’œuvre par l’intermédiaire d’un satellite a été

rendu possible par la technique et c’est ensuite que le législateur a reconnu cette nouvelle façon de jouir de la

chose « œuvre audiovisuelle ».

300

V. P. FLEURY-LE GROS, op. cit., n° 53 p. 27. La rétroactivité attachée à une règle de droit a pour

conséquence de la « transformer » en une « décision ». Si cette approche peut sembler complexe de prime abord,

il ne s’agit que d’un moyen proposé par la doctrine pour déceler la rétroactivité quand le législateur ne se

prononce pas expressément sur celle-ci.

301

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effet, la sanction de clauses pourtant valablement stipulées correspond à la remise en cause a

posteriori des conditions de validité d’une situation juridique contractuelle. Le juge se trouve

contraint de déclarer sans valeur les stipulations contractuelles contraires aux articles L.

122-2-1, L. 122-2-2 et L. 217-1 du Code de la propriété intellectuelle. Il ne doit donner aucune

importance à la date de conclusion du contrat et semble alors appliquer la loi nouvelle de

manière rétroactive

302

.

80. La loi du 3 juillet 1985, l’application de la loi nouvelle aux modes

d’exploitation exclus par les parties de leur accord antérieur - L’article 19 de la loi du 3

juillet 1985 dispose en son alinéa 5 : « Les contrats passés antérieurement à l’entrée en

vigueur de la présente loi entre un artiste-interprète et un producteur d’œuvre audiovisuelle

ou leurs cessionnaires, sont soumis aux dispositions qui précèdent en ce qui concerne les

modes d’exploitation qu’ils excluaient ». La référence faite aux contrats conclus sous l’empire

de la loi ancienne permet de reconnaître une disposition transitoire. Elle ne se situe pas dans

un titre isolé de la loi consacré aux dispositions de cette nature, mais se trouve au contraire

totalement incorporée à une disposition nouvelle. Comme le législateur vise expressément des

contrats déjà existants au jour de l’entrée en vigueur

303

, la norme a pour « cible » un nombre

déterminable de destinataires. Les propriétés classiques de la règle de droit feraient donc

défaut, à savoir sa généralité, son caractère abstrait et hypothétique

304

. Il faudrait alors

supposer une certaine rétroactivité au sein de cet article 19 de la loi de 1985.

Plus précisément, la loi nouvelle est appliquée à des modes d’exploitation de l’œuvre qui ne

sont pas entrés dans le champ contractuel. Cette disposition repose entièrement sur l’idée que

le principe de survie de la loi ancienne s’applique dans le silence de la loi. Par suite, si les

« quatre coins » du contrat permettent de déterminer ce qui doit demeurer intangible, ce qui se

situe « en dehors » de cette surface doit être immédiatement régi par la loi nouvelle. Cette

hâte dans l’application de la réforme serait expliquée par la volonté d’aboutir à une solution

rapide quant à l’établissement de barèmes de rémunération, si possible avant l’entrée en

vigueur de la loi

305

. En somme, des considérations économiques furent à l’origine du choix de

302

Cependant, il faut constater que ce type de mesure pourrait tout aussi bien s’analyser comme l’application

immédiate d’une disposition d’ordre public à un contrat en cours. Les intérêts privés des parties devraient

« céder » devant un intérêt général communautaire V. infra, sur les lois d’ordre public, n 357 et s.

303

V. les travaux de P. MAYER, La distinction entre règles et décisions et le droit international privé, Paris,

1973, ainsi que leur utilisation par Monsieur P. FLEURY-LE GROS, op. cit., n° 53, p. 27.

304

P. FLEURY-LE GROS, op. cit., n° 54, p. 28.

305

B. ÉDELMAN, Droits d’auteur et droits voisins, loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d’auteur

et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises

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donner à la loi nouvelle un champ d’application temporel si élargi. Il faut alors constater que

seul, le juge n’aurait pas pu satisfaire à cet objectif

306

.

L’absence de contrat suffisamment clair pour appliquer la distinction proposée par le

législateur fut évidemment une source de difficultés. L’interprète dut répondre à ces

questions : « au vu de ce contrat, quels sont les modes d’exploitation entrés dans le champ

contractuel, quels sont les modes d’exploitation qui sont au contraire exclus de celui-ci ?

Cette exclusion doit-elle résulter d’un choix exprès du contractant ? ».

Le juge donna la signification la plus large aux termes « modes d’exploitation ». Il conféra à

l’expression « modes d’exploitation qu’ils excluaient », le sens de : « modes d’exploitation

qui n’étaient pas prévus »

307

. Il est curieux qu’une disposition transitoire, jouant le rôle d’une

exception selon la théorie générale des conflits des lois dans le temps, reçoive du juge une

application si étendue. Il est certain qu’un mode d’exploitation « exclu » a d’abord été

envisagé par les parties, pour être ensuite « rejeté » du champ contractuel. Ajouter les modes

d’exploitation « non prévus », c’est soumettre à la loi nouvelle des usages de la chose qui

n’ont été rendus techniquement possibles que de nombreuses années après la conclusion du

contrat. Dans cette hypothèse, les parties n’ont pas pu apprécier l’opportunité de les inclure au

sein de la convention. En somme, le juge est autorisé par le législateur à procéder à la

réécriture du contrat, à retoucher son économie globale, voire même, sa cause

308

. Ce procédé

est condamnable. Il convient d’ailleurs de noter que ROUBIER ne faisait aucune distinction

entre les stipulations claires du contrat, d’une part, et les règles « entrées » implicitement au

sein du champ contractuel, d’autre part

309

. L’introduction implicite de la règle au sein de

l’accord contractuel constitue toutefois un minimum pour le doyen. Il convient à présent de

de communication audiovisuelle, commentaire, Paris, Dalloz, 1987, n° hors série de Actualité législative Dalloz,

p. 130.

306