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iii) Interprétation de la Charte québécoise et de la notion d’atteinte illicite et intentionnelle

Lorsqu’il est question d’interpréter la Charte québécoise, la jurisprudence a recours à une interprétation large et libérale (ou généreuse selon certains) des droits et libertés qui y sont protégés. La Charte québécoise bénéficiant d’un statut quasi-constitutionnel307, le recours à une interprétation large et libérale est essentiel afin de garantir que les citoyens puissent être pleinement protégés par la Charte québécoise et de permettre que les objectifs de ses redressements soient rencontrés308. Ce principe a été confirmé par la doctrine309.

Ces principes s’appliquent également au recours en dommages punitifs et au concept d’atteinte illicite et intentionnelle310. Rappelons que les objectifs de ce recours constituent la dissuasion, la punition et la dénonciation. L’atteinte de ces objectifs, plus spécifiquement la dissuasion et la punition, ne serait pas possible en adoptant une interprétation stricte de ce concept. La Cour suprême préfère donc, selon ses propres termes, une « approche relativement permissive [...] lorsqu’il s’agit de donner effet à l’expression "atteinte illicite et intentionnelle" aux fins des

306 de Montigny, préc., note 19, par. 53‑55.

307 Béliveau St-Jacques, préc., note 220, par. 42‑46 et 116; Hôpital St-Ferdinand, préc., note 18, par. 91; de

Montigny, préc., note 19, par. 45; C. DALLAIRE, préc., note 212, p. 11; Mélanie SAMSON, « L’atteinte illicite à un

droit protégé par la Charte québécoise  : source d’un préjudice inhérent  ? », R.D.L.F. 2012, chron. n°20, en ligne  : <http://www.revuedlf.com/droit‑fondamentaux/latteinte‑illicite‑a‑un‑droit‑protege‑par‑la‑charte‑quebecoise‑sourc e‑dun‑prejudice‑inherent‑article/> (consulté le 15 avril 2015), 1 (PDF).

308 Béliveau St-Jacques, préc., note 220, par. 42 et 45; Hôpital St-Ferdinand, préc., note 18, par. 91 et 119;

Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53,

par. 33; Time Inc., préc., note 221, par. 188; Markarian, préc., note 255, par. 584, 659 et 662; Dorion, préc., note 23, par. 95.

309 J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, préc., note 24, par. 436‑437; M. SAMSON, préc., note 14,

p. 284.

dommages exemplaires»311. Plus récemment, en statuant sur l’autonomie des dommages punitifs, la Cour suprême a repris ce principe en traitant de la « nécessité de laisser à [la

Charte québécoise] toute la souplesse nécessaire à la conception des mesures de réparation

adaptées aux situations concrètes »312.

L’octroi et l’évaluation des dommages punitifs en vertu de la Charte québécoise relèvent de la discrétion du tribunal313, puisque l’article 49 de la Charte québécoise prévoit que le tribunal « peut » octroyer de tels dommages. Ces dommages doivent également remplir un objectif rationnel314. L’existence d’une atteinte illicite et intentionnelle ne garantit d’ailleurs pas que des dommages punitifs seront automatiquement accordés315. La discrétion s’exerce après que l’existence d’une atteinte illicite et intentionnelle ait été démontrée316. Il importe de préciser que cette discrétion n’est pas absolue et que les tribunaux se doivent de respecter certains critères317 afin de l’exercer correctement ou judiciairement, selon les enseignements de la

Cour suprême dans l’affaire Time318. Un pouvoir discrétionnaire n’est pas synonyme de choix

arbitraire319. Se basant sur ces principes, le professeur Popovici considère qu’une personne n’a

pas le « droit » d’obtenir des dommages punitifs, étant donné la discrétion accordée au tribunal de les octroyer. La victime a donc plutôt un « droit de demander » des dommages punitifs et le tribunal statue sur l’opportunité ou non de les octroyer320. Il faut ajouter à cet égard que, si le

311 Id., par. 120.

312 de Montigny, préc., note 19, par. 44.

313 Hôpital St-Ferdinand, préc., note 18, par. 125; Alvetta-Comeau, préc., note 267; C. DALLAIRE, préc., note 232,

par. 191; M. LACROIX, préc., note 15, 4 (PDF); Sylvain LUSSIER, « Les dommages exemplaires  : réflexions d’un praticien à la suite de la trilogie de la Cour suprême », dans S.F.P.B.Q., vol. 91, Développements récents en

responsabilité civile (1997), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1997, p. 183.

314 Genex, préc., note 216, par. 87; M. SAMSON, préc., note 235, 199; S. BEAULAC, préc., note 242, 682. Voir en

common law  : Hill, préc., note 234, par. 197; Whiten, préc., note 228, par. 100‑101.

315 Hôpital St-Ferdinand, préc., note 18, par. 125; M. LACROIX, préc., note 15, 4 (PDF); M.-A. GREGOIRE, préc.,

note 262, par. 33; P. ROY, préc., note 241, 272‑273.

316 S. LUSSIER, préc., note 313.

317 Hôpital St-Ferdinand, préc., note 18, par. 126; Vincent KARIM, Les obligations, vol. 2, 4e éd., Montréal,

Wilson & Lafleur, 2015, p. 905‑906.

318 Time Inc., préc., note 221, par. 188; C. BRUNELLE, préc., note 272 à la page 105. 319 P. PRATTE, préc., note 224, 568.

320 Adrian POPOVICI, « Commentaire d’arrêt. L’horreur à Brossard  ; De Montigny c. Brossard, 2010 CSC 51 »,

tribunal de première instance a respecté les critères d’analyse dans l’exercice de sa discrétion quant à l’opportunité d’octroyer des dommages punitifs ou non, la Cour d’appel ne révisera pas cette décision321.

Il est intéressant de se demander si, dans les faits, le tribunal exerce véritablement sa discrétion à cet égard ou si les dommages punitifs sont accordés dès que les conditions sont rencontrées. Notre analyse a démontré que l’exercice de la discrétion quant à l’octroi de tels dommages dépend des circonstances. Dans certains cas, le tribunal peut considérer que les montants accordés afin de compenser le préjudice suffisent pour assurer la fonction préventive des dommages punitifs et donc refuser d’octroyer des dommages punitifs. Prenons par exemple le cas d’un joueur de hockey de la Ligue de hockey junior majeur du Québec qui a diffamé deux dirigeants de son ancienne équipe, Gosselin et Sasseville, en clamant que son ancienne équipe lui devait encore des sommes et que ceux-ci ont tenté de le frauder. Le tribunal considère que le joueur avait l’intention de porter atteinte au droit à la réputation de Gosselin et Sasseville, mais use de sa discrétion et refuse d’octroyer des dommages punitifs, puisque les objectifs de dissuasion et de punition sont suffisamment remplis avec la condamnation aux dommages compensatoires, les procédures judiciaires et le stress subi322. Ainsi, bien que les cas où le tribunal exerce sa discrétion ne soient pas nombreux, il demeure possible pour le tribunal de l’exercer si certaines circonstances le justifient.