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La faute intentionnelle est aussi souvent définie par opposition à la notion d’accident, de la faute lourde185. Le législateur a défini la faute lourde dans le Code civil du Québec à l’article 1474, en indiquant qu’il s’agit d’une faute « qui dénote une insouciance, une imprudence ou une négligence grossières ».

Le professeur Didier Lluelles s’est intéressé aux différentes catégories de faute186, soit l’acte malveillant, la simple négligence et la négligence grossière187, et s’est posé la question si chacune de ces catégories constitue des fautes intentionnelles selon l’article 2464 C.c.Q. Les hypothèses de l’acte malveillant (« acte posé délibérément avec intention de nuire »188) et de la simple négligence (acte posé « sans intention de nuire ni sans la conscience du caractère inéluctable du dommage »189) étant relativement claires, nous ne nous y intéresserons pas. À l’opposé, la question de la négligence grossière est plus nébuleuse.

Le professeur Lluelles définit cette notion comme étant « un comportement positif ou [...]une absence de soins particulièrement sérieux, que la plus imprudente des personnes raisonnables n’aurait pas adopté »190. Le dictionnaire Reid ajoute, en plus de reprendre la définition

élaborée dans le Code civil du Québec, qu’il s’agit d’une faute dénotant « un mépris total des intérêts et des droits d'autrui »191. Dans cette notion, on ne recherche pas à démontrer une intention de causer les dommages, mais bien le sérieux manque de jugement dont a fait preuve la personne en agissant ainsi.

185 J.-G. BERGERON, préc., note 46, p. 20.

186 Voir aussi  : Henri LALOU, « La gamme des fautes », (1940) D.H. Chron. 17; Geneviève VINEY, « Remarques

sur la distinction entre faute intentionnelle, faute inexcusable et faute lourde », (1975) D. Chron. 261.

187 L’expression « négligence grossière » nous provient de l’anglais « gross negligence » et est utilisée par le

professeur Lluelles comme synonyme à la notion de « faute lourde ». Par ailleurs, bien qu’il serait préférable de référer seulement à la notion de « faute lourde », nous utiliserons aussi « négligence grossière » en référant au texte de Lluelles afin de reproduire avec exactitude les propos de l’auteur. Voir à cet égard : H. REID, préc., note 47, « négligence grossière ».

188 D. LLUELLES, préc., note 4, p. 169. 189 Id.

190 Id., p. 170.

Ce concept peut-il équivaloir à la notion de faute intentionnelle qui implique une intention de poser le geste et de causer les conséquences? À prime abord, il est certain que ce concept ne correspond pas à la notion de faute intentionnelle, puisque le critère très élevé de l’intention de causer le dommage n’est pas rempli. Pour certains, adeptes du courant de la prévisibilité objective des conséquences, dont le professeur Lluelles, il est possible qu’une faute lourde soit une faute intentionnelle, dans les cas où, en posant le geste, l’assuré ne pouvait ignorer qu’il causerait les conséquences, soit qu’il aurait dû avoir conscience du caractère inéluctable des dommages192. Certaines fautes lourdes pourraient donc constituer des fautes intentionnelles, si le risque de causer les conséquences était connu, alors qu’à l’inverse, si l’assuré ignorait qu’il y avait un risque de causer les conséquences, il ne sera pas question de faute intentionnelle et cette faute sera couverte par le contrat d’assurance. Il s’avère toutefois possible pour les assureurs d’exclure, de manière expresse et limitative, les fautes lourdes dans la police, tel que le permet l’article 2464 du Code civil du Québec193.

De cette façon, en retenant plutôt l’obligation de prouver une véritable intention de causer les conséquences ou, à tout le moins, la nécessité d’établir par présomptions une telle intention quant aux conséquences, nous considérons qu’une faute lourde ne pourrait être une faute intentionnelle. Cette dernière possibilité, celle d’exclure la faute lourde, milite également en faveur de la distinction des deux types de faute, la faute intentionnelle ne pouvant être exclue, même d’un commun accord entre les parties.

Il faut noter qu’avec l’ajout des articles 1461, 1471, 1474 et 1613 du Code civil du Québec dans le livre des obligations, le législateur a assimilé dans ses effets la faute lourde à la faute intentionnelle. Le droit commun des obligations ne fait donc plus de véritable distinction entre ces deux notions, notamment puisque les deux fautes entraînent la responsabilité de leur

192 D. LLUELLES, préc., note 4, p. 170‑171.

193 Audet, préc., note 49, par. 120‑127; Investissements René St-Pierre inc. c. Zurich, préc., note 62, par. 87‑89;

auteur. À l’instar du professeur Lluelles, nous considérons qu’une telle assimilation ne peut être transposée en droit des assurances194 où la distinction entre la faute intentionnelle et la faute lourde est très importante et peut mener à un refus de couverture de l’assureur. Par ailleurs, on rappellera qu’avant 1976, la négligence grossière de l’assuré, comme la fraude, était un motif sur lequel l’assureur pouvait fonder son refus de couverture195. Dorénavant, pour refuser de couvrir l’assuré en pareil cas, l’assureur doit démontrer l’existence dans le contrat d’assurance d’une exclusion conventionnelle quant à la faute lourde de l’assuré. Bref, en ne retenant que la faute intentionnelle en 1991 dans le nouveau Code civil du Québec, le législateur a clairement écarté l’assimilation de faute lourde et faute intentionnelle en droit des assurances196.

Il est intéressant de s’interroger sur la perspective française à ce sujet. En droit français, dans les commentaires accompagnant le texte de l’article 12 de la loi de 1930 lors de son adoption, on considère que la faute lourde n’est pas une faute intentionnelle, puisque la faute lourde ne requiert pas une intention particulière, mais bien « une imprudence ou une négligence excessive » et que, bien qu’excessive, il demeure un risque, une certaine éventualité fortuite, associé à cette imprudence ou négligence197. Nous considérons que cette interprétation doit prévaloir en droit québécois également. L’élément de risque demeure présent à notre avis même en présence d’une inconduite grossière et négligente.

Par ailleurs, la Cour suprême du Canada s’est récemment intéressée à la distinction entre la faute intentionnelle et un type de faute similaire à la faute lourde, l’inconduite délibérée. Dans cette affaire, la Cour a refusé d’assimiler la notion de « faute intentionnelle » du Code civil du

Québec à celle d’ « inconduite délibérée », issue du droit maritime, jugeant à la majorité que la

notion de faute intentionnelle contenait une norme de faute plus rigide, plus stricte que ne

194 D. LLUELLES, préc., note 4, p. 170.

195 C.c.B.C., art. 2578. Voir la partie 1, chapitre a), section i), ci-dessus. 196 D. LLUELLES, préc., note 4, p. 170.

197 André TRASBOT, « Commentaires accompagnant la Loi relative au contrat d’assurance du 13 juillet 1930 », D.

l’exige la notion d’inconduite délibérée, qui est plus large et englobe davantage198. En effet, la Cour suprême a mentionné que les deux notions provenaient de deux origines différentes, alors que l’inconduite délibérée tirait son origine du droit maritime anglais, la faute intentionnelle nous vient du droit civil. Nous croyons que cette conclusion devrait s’appliquer également à l’égard de la faute lourde.

La faute intentionnelle constitue donc en droit civil la forme de faute la plus stricte où est requis une preuve d’intention de la faute ainsi qu’une preuve d’intention de causer les conséquences, par opposition à la faute lourde, qui est moins stricte, nécessitant une preuve d’une conduite si imprudente, si sérieuse, que la plus imprudente des personnes raisonnables ne l’aurait pas adoptée.

iii) Distinction entre faute intentionnelle et intention criminelle