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Les plus grandes entreprises, celles qui exigent des capitaux con-sidérables et auxquelles les ressources du plus riche capitaliste ne pourraient suffire, se fondent ordinairement par actions, mode mo-derne de capitalisation qui mérite d’être étudié.

L’action est la part que possèdent les membres de certaines socié-tés dans le capital et dans le résultat d’entreprises commerciales, industrielles et financières ; on donne également le nom d’action au titre même qui représente cette part.

En général, les actions primitives d’une entreprise sont obtenues en échange d’un apport en espèces dans le capital de fondation ; mais elles peuvent aussi être possédées en échange d’un autre ap-port matériel ou simplement d’une participation spéciale à l’entreprise en qualité d’inventeur, de fondateur, d’administrateur, etc. Dans ce dernier cas, on les désigne ordinairement sous le nom d’actions in-dustrielles, actions de jouissance, coupons de fondation.

Les actions sont dites au porteur, quand elles sont négociables de la main à la main, ou qu’il suffit de la signature du cédant pour qu’elles puissent passer à un nouveau propriétaire ; elles sont nomi-natives, quand elles portent le nom de celui qui a déposé le prix de leur valeur et qu’elles ne peuvent être transmises qu’au moyen d’un transfert et de l’inscription du nom du nouveau propriétaire sur le registre de la société dont elles émanent ; enfin, elles sont inalié-nables, intransmissibles dans certains cas. Telles sont les actions possédées par les administrateurs des sociétés anonymes et dépo-sées dans la caisse sociale en garantie de leur gestion.

Aux termes du titre II de la loi des 7-22 mars et 5 juin 1850, les actions sont soumises à un droit. Voici le texte de ce titre de loi :

ET DE SON EMPLOI.

TITRE II. — Chapitre 1er.

ART.14.Chaque titre ou certificat d’action, dans une société, compagnie ou entreprise quelconque, financière, commerciale, industrielle ou civile, que l’action soit d’une somme fixe ou d’une quotité, qu’elle soit libérée ou non libé-rée, émis à partir du 1er janvier 1851, sera assujetti au timbre proportionnel de 50 centimes par 100 francs du capital nominal pour les sociétés, compagnies ou entreprises dont la durée n’excédera pas dix ans, et à un pour cent pour celles dont la durée dépassera dix années.

A défaut du capital nominal, le droit se calculera sur le capital réel dont la valeur sera déterminée d’après les règles établies par les lois sur l’enregistrement.

L’avance en sera faite par la compagnie, quels que soient les statuts.

La perception de ce droit proportionnel suivra les sommes et valeurs de 20 francs en 20 francs inclusivement et sans fractions.

ART.15. Au moyen du droit établi par l’article précédent, les cessions de titres ou certificats d’actions seront exemptes de tout droit et de toutes formali-tés d’enregistrement.

ART.16.Les titres ou certificats d’actions seront tirés d’un registre à souche ; le timbre sera apposé sur la souche et le talon.

Le dépositaire du registre sera tenu de le communiquer aux préposés de l’enregistrement, selon le mode prescrit par l’article 54 de la loi du 22 frimaire an VII et sous les peines y énoncées.

ART.17. Le titre ou certificat d’action, délivré par suite de transfert ou de renouvellement, sera timbré à l’extraordinaire, ou visé pour timbre gratis si le titre ou certificat primitif a été timbré.

ART.18.Toute société, compagnie ou entreprise qui sera convaincue d’avoir émis une action en contravention à l’article 14 et au premier paragraphe de l’article 16 sera passible d’une amende de douze pour cent du montant de cette action.

ART.19.L’agent de change ou le courtier qui aura concouru à la cession ou au transfert d’un titre ou certificat non timbré sera passible d’une amende de dix pour cent du montant de l’action.

ART.20. Il est accordé un délai de six mois pour faire timbrer à l’extra-ordinaire ou viser pour timbre, sans amende et au droit proportionnel de 5 centimes par 100 francs, conformément à l’article 1er, les titres ou certificats d’actions qui auront été, en contravention aux lois existantes, délivrés antérieu-rement au 1er janvier 1851.

En droit sera perçu sur la représentation du livre à souche, ou tout autre, constatant la délivrance du certificat, et l’avance en sera faite par la compagnie, la société ou l’entreprise.

Le délai de six mois expiré, la société, la compagnie ou l’entreprise sera, en cas de contravention, passible de l’amende déterminée par l’article 18.

L’avis officiel de l’acquittement du droit inséré dans le Moniteur équivaudra à l’apposition du timbre pour les titres ou certificats énoncés au premier para-graphe de cet article.

ART. 21. L’article 17 ne sera pas applicable au renouvellement des titres énoncés en l’article 20. Ces renouvellements resteront assujettis au timbre dé-terminé par cet article, et les cessions de titres ainsi renouvelés au droit d’enregistrement fixé par les lois anciennes, s’il résulte du titre nouveau que le titre primitif ait été pris antérieurement au 1er janvier 1851.

ART.22.Les sociétés, compagnies ou entreprises pourront s’affranchir des obligations imposées par les articles 14 et 20 en contractant avec l’État un abonnement pour toute la durée de la société.

Le droit sera annuel et de 5 centimes par 100 francs du capital nominal de chaque action émise ; à défaut de capital nominal, il sera de 5 centimes par 100 francs du capital réel dont la valeur devra être déterminée conformément au deuxième paragraphe de l’article 14.

Le payement du droit sera fait, à la fin de chaque trimestre, au bureau d’enregistrement du lieu où se trouvera le siège de la société, de la compagnie ou de l’entreprise.

Même en cas d’abonnement, les articles 16 et 18 resteront applicables. Un règlement d’administration publique déterminera les formalités à suivre pour l’application du timbre sur les articles.

ART.23. Chaque contravention aux dispositions de ce règlement sera pas-sible d’une amende de 50 francs.

ART.24.Seront dispensées du droit les sociétés, compagnies ou entreprises abonnées qui, depuis leur abonnement, se seront mises ou auront été mises en liquidation.

Celles qui, postérieurement à leur abonnement, n’auront, dans les deux der-nières années, payé ni dividendes ni intérêts, seront aussi dispensées du droit tant qu’il n’y aura pas de répartition de dividendes ou de payements d’intérêts.

Jouiront de la même dispense les sociétés et compagnie qui, dans les deux dernières années antérieures à la promulgation de la présente loi, n’auront payé ni dividendes ni intérêts, à la charge toutefois par elles de s’abonner dans les six mois qui suivront cette promulgation et de payer le droit annuel à partir de la première répartition de dividendes ou du premier payement d’intérêts.

ART.25.Les dispositions des articles précédents ne s’appliquent pas aux ac-tions dont la cession n’est faite à l’égard des tiers qu’au moyen des condiac-tions déterminées par l’article 1690 du Code civil, ni à celles qui en ont été formelle-ment dispensées par une disposition de loi.

ET DE SON EMPLOI.

ART.26.Dans le cas de renouvellement d’une société ou compagnie consti-tuée, pour une durée n’excédant pas dix années, les certificats d’actions seront de nouveau soumis à la formalité du timbre, à moins que la société ou compa-gnie n’ait contracté un abonnement qui, dans ce cas, se trouvera prorogé pour la nouvelle durée de la société.

Si maintenant nous considérons les actions au point de vue de leur emploi, nous constaterons en elles d’immenses avantages.

Les actions ont cela de bon, qu’elles mobilisent une partie de la richesse nationale et lui donnent une certaine valeur de circulation ; elles ont cela de bon encore, qu’elles permettent les entreprises im-possibles à l’individu isolé et font concourir les plus petits capitaux aux profits proportionnels des plus grandes affaires. Sans les ac-tions, l’industrie ne possèderait pas tous les moyens de perfection-nement dont elle dispose ; sans elles, l’isthme de Suez ne se perce-rait pas ; les chemins de fer ne couvriraient pas les deux hémis-phères de leurs réseaux, et la télégraphie électrique ne servirait pas de moyen de communication instantanée entre l’ancien et le nou-veau continent. Mais, à côté de ces incontestables avantages, les actions offrent un danger, celui de servir trop facilement à la for-mation du capital de chimériques entreprises. Aussi ne saurait-on assez prémunir les crédules capitalistes contre les abus des entre-prises par actions.

On voit trop fréquemment des entreprises mal conçues se cons-tituer en sociétés par actions et trouver, dans la masse des capita-listes, l’apport du fonds social qu’il a plu aux fondateurs de fixer. Telle petite concession de mines, achetée 50,000 fr., pourra ainsi, cela s’est vu, être mise en société pour un capital décuplé. Que fau-drait-il pour entraver ce genre d’abus ? Que les capitalistes ne con-sentissent à engager leurs fonds qu’après examen préalable, appro-fondi de l’affaire, et qu’ils revendiquassent39 le droit d’être réunis, consultés avant la rédaction de l’acte social. Mais le plus souvent on s’inquiète peu de l’affaire elle-même. Pourvu qu’on ait l’espoir de les revendre avec profit, on se pourvoit d’actions de bonnes ou de

mauvaises entreprises. La spéculation qui suit l’émission des actions est souvent l’unique objectif, le but exclusif des fondateurs.

Il y aurait un moyen de mettre un terme à ces pratiques ; mais, disons-le, le remède ici serait pire que le mal. Le législateur n’aurait qu’à interdire le mode d’émission et de négociation de ces titres, rendre toutes les actions nominatives, inaliénables ; seulement, ce serait enlever aux actions le caractère de valeur transmissible qui les fait rechercher, et, du même coup, porter la plus grave atteinte à la création des entreprises sérieuses et honnêtes. Mieux vaut s’attacher à dissiper l’ignorance des capitalistes aventureux.

Au nombre des abus des entreprises par actions, le plus dange-reux peut-être consiste dans des garanties illusoires. Il n’est pas rare de voir annoncer des sociétés par actions qui garantissent un divi-dende, quelquefois un dividende et un intérêt, — comme si, à part certaines entreprises exceptionnelles, celles des chemins de fer en France, par exemple, comme si, disons-nous, le résultat d’une en-treprise pouvait se garantir en bénéfice ! Nous disons qu’en af-faires, le profit est espéré, mais que la perte est possible. Tout ici est aléatoire.40

Donc, une société en voie de constitution, qui, pour former son capital, fait briller aux yeux des actionnaires un dividende assuré, compromet déjà sa parole ; si, en outre de ce dividende, elle garan-tit un intérêt quelconque, elle fait une promesse inutile ou falla-cieuse : inutile, si cet intérêt doit être prélevé sur les bénéfices ; fal-lacieuse, si cet intérêt doit être pris sur le capital. En tous cas, la distinction de dividende et d’intérêt est purement captieuse. Que le profit qu’on retire d’une entreprise soit appelé dividende ou bien à la fois dividende et intérêt, ce profit n’est pas plus élevé. Supposons 8 pour 100 le bénéfice à répartir : que l’on distribue 5 pour 100 à titre d’intérêt et 3 pour 100 à titre de dividende ou simplement divi-dende, 8 pour 100, le résultat est le même. Dès lors, à quoi sert la distinction ?

40 Simonde de Sismondi (1837) Etudes sur l’économie politique, Paris, Treuttel et Würtz, t. 1er, p. 126. La première tentative connue de mesure de ce risque est celle de Charles-François Bicquilley (1805) Théorie élémentaire du commerce, Lyon, Aléas, 1995.

ET DE SON EMPLOI.

Si, au contraire, le bénéfice est négatif, que devient la garantie ?

Où se trouve-t-elle ? Dans un vain mot, quelquefois dans une dis-position particulière des statuts, dans une clause de l’acte de société qui consacre le droit des actionnaires à exiger l’intérêt promis. Dans ce cas, à défaut de bénéfices, on ne peut desservir l’intérêt qu’en amoindrissant le capital ; or, l’amoindrissement du capital est chose dangereuse ; c’est un présage de ruine ; c’est la ruine plus ou moins différée, mais presque toujours certaine. Une entreprise peut sur-monter les difficultés de ses débuts et prospérer avec le temps ; mais si à ces difficultés originaires s’ajoutent des embarras finan-ciers ; si le capital, moyen d’action, lui manque ou est insuffisant, elle est d’avance condamnée.

Dans la question qui nous occupe, l’intérêt garanti, pris sur le capital, aura pour conséquence le prompt anéantissement du capital même. Sur 1,000 fr. versés par lui, l’actionnaire percevra une pre-mière année, une deuxième année 50 ou 60 fr. à titre d’intérêt ; puis, comme le capital primitif aura été transformé, on manquera, dans un moment donné, d’espèces pour desservir l’intérêt promis et du fonds de roulement nécessaire à la marche de l’entreprise. Arrivé là, que devient la garantie de l’intérêt du capital ? Que devient le capital lui-même ? Amoindri d’abord par l’intérêt desservi, le reste, immobilisé, ne pourra être converti en numéraire qu’en s’amoindrissant considérablement encore et en arrêtant définitive-ment l’affaire. Heureux alors l’actionnaire, si la part proportionnelle qui lui revient, après liquidation, jointe aux sommes qui lui ont été comptées à titre d’intérêt, parfait la moitié de son apport dans le capital social ! Pour lui, la perte sera plus ou moins considérable ; mais il y aura perte certaine nonobstant promesse, nonobstant garan-tie.41

Concluons : Si l’intérêt garanti doit être pris sur le capital, ce n’est pas un intérêt proprement dit, c’est un remboursement partiel, frac-tionnaire, et malheureusement toujours incomplet du capital ; s’il doit être prélevé sur les bénéfices, la distinction de dividende et d’intérêt est, ainsi que nous l’avons dit, purement captieuse. Dans

l’un et l’autre cas, ni dividende ni intérêt ne peuvent être garantis d’avance, et, lors même que le mot garantie existerait dans une dis-position des statuts, cette garantie serait vaine, absolument vaine.

Quoi qu’il en soit, que le capital ait été bien ou mal constitué, du moment qu’il est en la possession de l’entrepreneur, celui-ci dispose de l’agent principal de toute production lucrative, et c’est de cet agent que nous allons maintenant nous occuper.

Nous considèrerons d’abord le capital sous le point de vue éco-nomique, puis dans son emploi industriel et commercial.

CHAPITRE II

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