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ESSAI SUR L'ADMINISTRATION DES ENTREPRISES INDUSTRIELLES ET COMMERCIALES

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(1)

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ENTREPRISES INDUSTRIELLES ET COMMERCIALES

Luc Marco

To cite this version:

Luc Marco. ESSAI SUR L’ADMINISTRATION DES ENTREPRISES INDUSTRIELLES ET COM- MERCIALES. Luc Marco. Edi-Gestion, 1 (1), 2015, Histoire du Management, Luc Marco, 978-2- 903628-07-9. �hal-01335607�

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ESSAI SUR L’ADMINISTRATION DES ENTREPRISES

INDUSTRIELLES ET COMMERCIALES

(3)

OUVRAGES PARUS DANS LA COLLECTION

,

«

HISTOIRE DU MANAGEMENT

» _______

1. Le premier plan d’affaires publié en France par Prudent Le Choyselat en 1569, Saint-Denis, in-14, 160 pages (Luc Marco & Robert Nou- men), version bilingue en anglais et en français, juin 2015.

2. Le débat sur l’organisation du travail en France (1791-1850), Saint- Denis, in-14, 192 pages (Luc Marco & Stefka Mihaylova), ver- sion anglaise, septembre 2015.

Cette collection est soutenue financièrement par l’Institut Histoire et Prospective du Management, association créée en mai 2014 et dédiée à la progression de la recherche en histoire managériale. Sa revue RHPM livre un éclairage original sur la discipline. Son site internet donne un échantillon des principaux textes en ce domaine :

http://ihpm.hypotheses.org

© Luc MARCO &ÉDITIONS DE LA GESTION,

3, RUE JAMES WATT, SAINT-DENIS (FRANCE), 2015.

ISBN :978-2-903628-07-9 EAN :9782903628079

(4)

L I N C O L

ESSAI

SUR

L’ADMINISTRATION

DES ENTREPRISES INDUSTRIELLES ET COMMERCIALES

2

e

édition par Luc Marco

Edi-GESTION Saint-Denis

2015

(5)

_______

1. Réédition de Benedetto Cotrugli (1548) Traité de la marchandise et du parfait marchand, Paris, L’Harmattan 2008, coécrit avec Robert Noumen.

2. Réédition d’André-Martin Labbé et d’Eugène Sala (1835-36) His- toire managériale du Bazar Bonne-Nouvelle, galeries marchandes à Paris, 1835-1863, Paris, L’Harmattan, 363 pages.

3. Réédition de Courcelle-Seneuil (1855) Manuel des affaires ou traité théorique et pratique des entreprises industrielles, commerciales et agricoles, Paris, L’Harmattan, 2013.

_______________

(6)

PRÉSENTATION

Par Luc Marco

N mars 1858 l’éditeur parisien Eugène Lacroix annonçait, dans son catalogue, la sortie prochaine d’un livre consacré à l’administration des entreprises industrielles et commer- ciales. Il le proposait dans un petit format in-18 en deux versions : un volume broché à 4 francs et un tome relié à 5 francs pièce.1 Le livre ne parut cependant pas à cette époque. Il sera à nouveau an- noncé en 1866 à la fin du livre de M. Bouniceau.2 Mais il ne sera édité que trois années plus tard et prévu en décembre 1868 dans le catalogue annexé à un livre technique.3 Cet ouvrage très attendu sera référencé l’année suivante dans le Catalogue annuel de la librairie française pour un format différent, in-12, et avec un seul prix, à 5 francs le volume.4 Le Feuilleton du Journal général de l’imprimerie et de la librairie n’annoncera sa sortie que le 20 février 1869 (n° 8, p. 160) (Faure, 1908, p. 50, indique à tort le 8 février). Il était de tradition de dater de l’année suivante tous les livres imprimés à partir du mois d’octobre, ce qui explique que le livre est parfois du millésime 1868 et parfois du millésime 1869, le bon selon nous.

L’éditeur Eugène Lacroix est né le 7 mars 1827 à Paris. Il a dé- buté comme libraire à Paris fin 1854 après avoir été militaire au deuxième régiment d’infanterie de marine de 1848 à 1854. Il était membre de la Société industrielle de Mulhouse, de l’Institut Royal des ingénieurs hollandais et de la Société des Ingénieurs de Hon-

1 Ch. et A. Tixier (1858) L’aluminium et les métaux alcalins, Paris, Lacroix, in fine.

2 M. Bouniceau (1866) Etudes et notions sur les constructions à la mer, Paris, p. 70.

3 R. Clausius (1869) Théorie mécanique de la chaleur, Paris, vol. 2, p. 42 du catalogue in fine.

4 Charles Reinwald (1869) Catalogue annuel de la librairie française, Paris, p. 137.

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grie. A partir de janvier 1862 il édita les Annales du Génie Civil (voir la publicité en fin de cet ouvrage). Il est mort le 6 décembre 1894.

Le catalogue WorldCat® indique que Lincol est un pseudo- nyme (numéro OCLC : 560554057). Nous faisons l’hypothèse qu’il s’agit de l’anagramme malicieux du nom Collin, par inversion des deux syllabes : LIN-COL = COL-LIN. Or il a existé à cette période des dizaines d’administrateurs de sociétés nommés Collin.

Car à la suite du livre de Karl Stammer on lit ceci : « il ne nous ap- partient pas de faire connaître le véritable nom de l'administrateur intelligent qui a pris ce pseudonyme. » in Traité ou manuel complet théorique et pratique de la distillation de toutes les matières alcoolisables, livre paru en 1873 chez Lacroix dans la même collection que notre au- teur (p. 474). On trouve en 1864 un monsieur Collin, propriétaire d’une usine à La Briche et un autre, Joseph Collin, directeur du Haut-Fourneau de Châtillon-sur-Seine.5 L’auteur effectif, en choi- sissant de prendre un pseudonyme, se condamna à l’oubli.6

Le style du livre semble confirmer l’hypothèse d’un administra- teur qui a pris un pseudonyme par prudence commerciale. Il vou- lait sûrement se différencier des purs libéraux qui prétendaient que le métier d’entrepreneur ne pouvait pas s’enseigner. C’est pourquoi il a pris un pseudonyme à clé, pour échapper à la férule de Courcelle- Seneuil dans le Journal des économistes où celui-ci faisait de redou- tables notes de lecture sur les livres de ce domaine.

C’est aussi un comptable très sûr.7 Il a complété son livre entre août 1867 et le début de l’année suivante. Nous le savons car il a

5 Gingaud (1878) Affaire Collin contre Coupier, Paris, A. Chaix, p. 1 ; J. Lambert-Dansette (2001) Histoire de l’entreprise et des chefs d’entreprise en France, Paris, L’Harmattan, t. II, p.

151.

6La piste de l’attribution au comptable Lazare Moulin-Collin a été abandonnée car ce professeur de mathématiques et de tenue des livres est mort en janvier 1850. Voir notre article à paraître sur cet auteur oublié.

7 On relève un A. Collin, cité par G. Reymondin (1906) Historique de la société académique de comptabilité, 1881-1906, Paris, Leblanc, p. 33-34.

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PRÉSENTATION.

attendu que la loi sur les sociétés de juillet 1867 soit promulguée pour intégrer ses articles dans son livre. Il s’est trouvé, là encore, en concurrence avec Courcelle-Seneuil qui a publié en 1867 la deuxième édition de son célèbre Cours de comptabilité chez Hachette, éditeur concurrent d’Eugène Lacroix en matière d’ouvrages techniques.

Selon la mode de l’époque, il ne cite que très peu d’auteurs anté- rieurs : 16 au total. Ce sont tout d’abord une dizaine d’économistes (Baudrillart, Cobden, Courcelle-Seneuil, Dameth, Franklin, Mac Culloch, Say, Tegoborski), ensuite quatre grands financiers (Jacques Cœur, John Law, Jacques Laffitte, Jean-Frédéric Perrégaux), puis deux juristes (Francis Bacon et Pierre-Paul Royer-Collard), et enfin deux comptables comme lui (Devinck, Guilbault). Nous complé- tons en fin d’ouvrage cette liste par une bibliographie bien repré- sentative de la littérature gestionnaire de l’époque.

Paru dans la collection « Bibliothèque des professions industrielles et agricoles », fondée en 1863, au sein de la neuvième série sous le numéro 25, ce livre a une visée pédagogique évidente. La série « i » s’intitulait : « Economie domestique, Comptabilité, Législation, Mé- langes ». Elle comprenait déjà 9 volumes au moment où celui de Lincol parut. Le troisième était complémentaire : Amédée Sébillot (1865) Le mouvement industriel et commercial en 1864-1865. Un livre publié par Lacroix en dehors de cette collection était aussi directe- ment en concurrence avec Lincol : celui de Gustave Louis Oppelt (1864) Traité général de comptabilité industrielle et commerciale. Associé avec le libraire Lethielleux, Eugène Lacroix avait déjà publié un ouvrage proche du thème général de l’ouvrage en question : C.H.

Barlet (1861) Tenue des livres appliquée à la comptabilité des mines de houille, des hauts-fourneaux et des usines à fer. Avec ces trois opus, l’éditeur Lacroix était alors à la pointe des volumes techniques en gestion.

Dans son live, Lincol s’intéresse particulièrement à l’industrie de production des limes. Cette industrie était née en Angleterre sur les

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sites de Birmingham et de Sheffield au début du siècle. Importée en France vers 1820 c’est l’entreprise Raoul, née en 1792, qui donna ses lettres de noblesse à cette production française, puisque 50.000 douzaines de limes ont été produites par la maison Gustave Bourse qui avait succédé à celle de Raoul.8

Lincol a pu être en contact avec plusieurs des onze entreprises fabriquant de limes à Paris entre 1862 et 1867. Les quatre plus im- portantes étaient alors :

- C.M. Rommetin, maison fondée en 1831 : limes pour den- tistes, sise au 194, rue du Faubourg Saint-Martin ;

- J.H. Lepage, atelier fondé en 1846 : limes d’acier fondu, si- tuée au 27, rue de Grand-Saint-Michel ;

- Mangin aîné et compagnie, atelier fondé en 1848 : limes de graveurs, sis au 29, rue Phélippeaux ;

- Limet, Lapareillé et compagnie, usine fondée en 1853 : limes et tranchants d’acier, sise au 134, quai de Jemmapes.9

Cette industrie a été relancée par l’accord de commerce franco- anglais de 1860 puisque les droits de douane afférents aux outils en acier pur (limes, scies circulaires ou droites, faux, faucilles) sont passés de 40 fr. les 100 kilogrammes en 1860 à 32 fr. en 1864. Soit une diminution de 20% !10 Le prix des limes a suivi une même pente descendante, fonction de la quantité produite : entre 3 fr. 50 et 75 fr. pour les limes « bâtardes » en 1838, à la moitié dans la dé- cennie 1860.11

L’ouvrage de Lincol se situe donc dans la tradition française qui va de l’usine métallurgique « Courcelle-Seneuil » (1839-1849) à la

8 Catalogue général publié par la commission impériale (1867), Paris, Dentu, vol. 5, p. VIII.

9 L’exposition universelle de 1867 à Paris, Paris, Dentu, 1867, p. 13-14.

10 ―Traité international – Douanes‖, Journal du Palais, 26 octobre 1860, p. 173.

11 Sources : A. Baudrimont (1838) Dictionnaire de l’industrie manufacturière, Paris, Baillière, vol. 7, p. 233 ; Goldenberg père (1860) Enquête sur l’industrie métallur- gique, Paris, Imprimerie Impériale, p. 110.

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PRÉSENTATION.

somme historique de Louis-Joseph Gras (1904). C’est d’ailleurs de cette branche que viendront les remarques d’Henri Fayol pendant la première guerre mondiale.12 Secteur central car tous les ouvriers des industries annexes utilisaient de limes et des scies.

Donc, entre le moment où le livre a été annoncé par l’éditeur (1858) et l’édition proprement dite (janvier 1869), l’économie fran- çaise a fait un bond qui s’est traduit par une amélioration de la qua- lité des produits métallurgiques. Lincol retrace bien cette montée en puissance d’une industrie qui ne peut plus gérer ses grandes usines comme elle le faisait auparavant de ses unités moyennes. C’est d’ailleurs l’époque où Turgan commence à publier sa somme sur les grandes usines et où Oppermann édite sa grande revue sur les ma- chines-outils.13

En 1908 ce livre était déjà considéré comme « rarissime » (Faure, 1908, in fine). Aujourd’hui, à notre connaissance, il ne reste plus que deux exemplaires à l’étranger (Grande-Bretagne14 et Suisse). Nous avons saisi le texte à partir du volume conservé à la Bibliothèque Universitaire de Bâle.15 Grâce à une photographie16 de cet exem-

12 Courcelle-Seneuil (1855) Manuel des affaires, édition 2013, L’Harmattan ; L.-J.

Gras (1904) Essai sur l’histoire de la quincaillerie et petite métallurgie, Saint-Etienne, Théolier ; H. Fayol (1916) Administration générale et industrielle, Paris, Dunod.

13 Turgan, J. (1859-1898) Les grandes usines de France, Paris, A. Bourdilliat ; C.A.

Oppermann dir. (1856-1914) Portefeuille économique des machines, de l’outillage et du matériel, revue mensuelle, Paris, Dalmont et Dunod ; sur cet auteur voir K.

Chatzis et G. Ribeill (2008) « Des périodiques techniques par et pour les ingé- nieurs, un panorama suggestif, 1800-1914 », in La presse et les périodiques techniques en Europe, 1750-1950, Paris, L’Harmattan, p. 132.

14 The British Library, Saint-Pancras, London, NW1 2DB United Kingdom.

15 Exemplaire acheté le 11 avril 1893 par le séminaire d’économie politique. Ce séminaire a été créé en 1878 et le professeur Karl Bücher y participa de 1883 à 1890. Il en tira un livre traduit en anglais : Industrial Evolution, New York, Holt, 1901 (édition originale 1893). Sur cet auteur, voir H. Lufenburger (1932) « Né- crologie : Karl Bücher », Revue d’économie politique, mars-avril, p. 406-410.

16 Je remercie mon collègue Cédric Poivret (UPEM) d’avoir commandé cette photographie et d’avoir partagé les frais avec moi.

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plaire, nous avons pu sauver de l’oubli ce livre très intéressant qui comble un vide entre le Traité de comptabilité et d’administration indus- trielles d’Adolphe Guilbault (1865) et les Principes d’économie industrielle de l’ingénieur Albert Prouteaux (1888). A ce titre il peut être consi- déré comme l’un des principaux textes classiques de gestion avant Taylor et Fayol. Pour avoir défriché sous un masque le chemin déjà emprunté par Jean Gustave Courcelle-Seneuil, il a échappé à sa vindicte en prenant un pseudonyme qui devait cependant être assez transparent pour ses contemporains.17

Carrefour Pleyel, automne 2015.

17 Il faudrait retrouver les archives de l’éditeur pour tenter d’élucider ce mystère.

(12)

BIBLIOTHÈQUE DES PROFESSIONS INDUSTRIELLES ET AGRICOLES SÉRIE I, N° 25.

____________________________________________________________________

ESSAI SUR L'ADMINISTRATION

DES

ENTREPRISES INDUSTRIELLES

ET

C O M M E R C I A L E S

PAR

LI N C OL

________________

PARIS

[1869]

LIBRAIRIE SCIENTIFIQUE, INDUSTRIELLE ET AGRICOLE Eugène Lacroix, Éditeur

LIBRAIRIE DE LA SOCIÉTÉ DES INGÉNIEURS CIVILS

54, RUE DES SAINTS-PÈRES

Droits de reproduction et de traduction réservés.

.

(13)

L’auteur et l’éditeur se réservent le droit de traduire ou de faire tra- duire cet ouvrage en toutes langues. Ils poursuivront conformément à la loi et en vertu des traités internationaux, toute contrefaçon ou traduction faite au mépris de leurs droits.

Le dépôt légal de cet ouvrage a été fait à Paris en temps utile et toutes les formalités prescrites par les traités sont remplies dans les divers États avec lesquels il existe des conventions littéraires.

Tout exemplaire du présent ouvrage qui ne porterait pas, comme ci- dessous, ma griffe, sera réputé contrefait, et les fabricants et débitants de ces exemplaires seront poursuivis conformément à la loi.

Eugène Lacroix

___________________________

Typ. Rouge frères, Dunon et Fresné, rue du Four-St-Germain, 43

(14)

INTRODUCTION

_______________

N venant, après quelques auteurs18, essayer une étude sur l’administration des entreprises industrielles et commerciales, nous voudrions pouvoir victorieusement combattre un trop persis- tant préjugé.

On croit généralement qu’en affaires l’enseignement théorique est superflu, et qu’en matière de gestion19 la pratique est le seul ini- tiateur efficace.

Il y a dans cette appréciation exclusive une erreur égale à celle qu’on commet en niant l’utilité de la pratique et en ne préconisant que la théorie.

La vérité est que partout où s’exerce l’activité de l’homme, à moins que cette activité ne soit inconsciente et fortuite ; dans tout acte de la volonté qui s’accomplit et qui a un but déterminé ; dans l’exercice du pouvoir d’agir qui constitue la pratique ; dans le métier

18 Lincol fait ici référence à Jean-Baptiste Say (1828-1830), Bergery (1833) et Courcelle- Seneuil (1855). Toutes les références citées en notes se trouvent dans la bibliographie située en fin d’ouvrage. Les notes sont de notre fait (LM).

19 Le premier livre de cette époque qui comporte le mot « gestion » dans son titre semble bien être celui d’Hochené publié sous le pseudonyme d’A. Duvérine (1840) De la gestion des intérêts nationaux en Afrique, ou résumé critique de l’état politique et économique de l’Algérie, Paris, Ledoyen, 88 p.

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le plus simple, dans l’art purement mécanique qui ne semble com- porter que des mouvements automatiques du corps ; la vérité, di- sons-nous, est qu’on emploie divers moyens, les uns préférables aux autres en ce qu’ils amènent plus promptement, avec moins d’efforts, les résultats qu’on a en vue. Distinguer parmi ces moyens les meilleurs et les enseigner, c’est faire de la théorie.

Ainsi fait cet ouvrier à la main sûre, au travail rapide, qui dit à l’apprenti inexpérimenté : « Tiens autrement ta lime ; que les mou- vements que tu lui imprimes soient fermes, horizontaux, prolon- gés ; que ton outil, dans toute sa surface, soit mis en contact avec l’objet sur lequel il fonctionne : tu éprouveras alors moins de fa- tigue, et plus d’effet utile sera produit. »20 Cet ouvrier fait de la théorie dans un art essentiellement pratique et qui semblait l’exclure. Le résultat de cet enseignement sera d’abréger le noviciat de l’apprenti instantanément mis en possession de moyens d’agir qu’il eût peut être toujours ignorés ou qu’il n’eût acquis qu’après de longs tâtonnements.

Mais si l’enseignement a son utilité dans les actions manuelles de l’homme ou l’emploi des forces physiques paraît seul nécessaire, à plus forte raison sera-t-il efficace dans les œuvres complexes qui exigent des connaissances spéciales, étendues et variées.21 L’admi- nistration d’une entreprise est au nombre de ces œuvres. Là, sans doute, la pratique est indispensable ; elle a ses vertus d’un genre propre ; ses qualités d’action que la théorie ne peut suppléer. Tou- tefois il faut distinguer.

La pratique qui agit par imitation, sans se rendre compte de ses actes, ressemble fort à l’aveugle routine ; celle qui opère avec dis- cernement, qui recherche la cause des effets et s’en fait une mé- thode, une règle d’action, cette intelligente pratique fournit déjà les éléments d’un enseignement utile, éléments parties qui, joints à d’autres, puis coordonnés et généralisés, constitueront plus tard la

20 Sur les origines de l’apprentissage, voir Félix Joubleau (1856) Etudes sur Colbert : ou Exposition du système d’économie politique suivi en France de 1661 à 1683, Paris, Guillaumin, p. 323.

21 Voir la revue de Jacques Bresson (1855) Cours général des actions des entreprises industrielles et commerciales, Paris, Typographie Penaud Frères, vol. 3.

(16)

INTRODUCTION.

théorie. C’est ainsi, par l’observation attentive des faits, par la cons- tatation des résultats heureux de la pratique, que la théorie se forme. Elle acquiert alors une autorité indéniable parce que, fille de l’expérience, elle en a la consécration. C’est par elle que les généra- tions qui arrivent profitent des travaux des générations qui les ont précédées. Loin de gêner d’ailleurs l’initiative individuelle, elle en facilite l’essor. Elle abrège singulièrement la route que le praticien doit parcourir en le plaçant d’emblée à un point de départ avancé d’où il peut découvrir de nouveaux horizons, s’élancer dans des voies nouvelles, et enrichir à son tour la théorie, bien commun, de ses propres découvertes.

Ce qui éloigne de la théorie, c’est l’opposition inconsidérée qu’on tente d’établir entre elle et la pratique, comme si l’une était exclusive de l’autre. On semble méconnaître la faculté qui suit l’homme dans l’action, d’observer, de comparer, de discerner, de percevoir, par l’intelligence, les causes, les lois et les rapports de faits que l’expérience signale aux sens. S’il est vrai pourtant que cette faculté existe, cette autre faculté que possède l’homme de transmettre ses idées ne peut être niée.

Supposez un manufacturier expérimenté, un administrateur ha- bile qui, au déclin d’une vie active, sent le besoin du repos. Il a des fils auxquels il va laisser la succession d’une maison prospère ; mais avant de leur confier la direction d’une entreprise qu’il a heureuse- ment conduite, il leur en explique la marche, l’organisation, et for- mule en quelques préceptes, en quelques maximes, les principes qui l’ont guidé dans les affaires et lui ont assuré le succès. Niera-t-on l’efficacité de cet enseignement privé ? Non. Alors il faut bien re- connaître la possibilité, l’utilité de la théorie, même dans la gestion d’une entreprise. C’est qu’en effet, là comme en tant d’autres actes, l’enseignement préalable se complète par l’action ultérieure. En recherchant le degré d’utilité qu’offrent la pratique et la théorie, on peut accorder la préférence à l’une tout en proclamant la nécessité de l’autre. Même dans les sciences d’expérimentation où le besoin de la première semble dominer, on doit ne pas négliger l’enseignement complémentaire de la seconde. « A vouloir se passer de la théorie, a dit Royer-Collard, il y a la prétention excessivement

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orgueilleuse de n’être pas obligé de savoir ce qu’on dit quand on parle, et ce qu’on fait quand on agit. »22

Aussi, en publiant cet ouvrage d’enseignement spécial, notre crainte est-elle non de paraître trop théorique, mais de ne l’être pas suffisamment.

22 Cité par Charles De Rémusat (1847) Discours de réception à l’Académie française, 7 janvier, reproduit sur le site de l’Académie française. Pierre-Paul Royer-Collard est un homme politique français né en 1763 dans la Marne et mort en 1830 dans le Loir-et-Cher. Voir aussi ses Textes philosophiques et psychologiques parus en 2013 aux éditions l’Harmattan.

(18)

CHAPITRE I

DE LA CONSTITUTION DES ENTREPRISES

__________

I Conception

Dans toute entreprise commerciale ou industrielle, il y a quelque chose qui précède les actes administratifs, c’est la conception de l’entreprise même.

En affaires, comme dans les autres œuvres humaines, la concep- tion suppose un travail complexe de l’esprit susceptible d’exercer la méditation, le calcul, la prévoyance, la spontanéité de l’intelligence.

Pour bien concevoir, il faut se faire une idée exacte des rapports que les faits ont entre eux ; il faut voir au-delà du présent et surtout voir juste. Par cela même que la conception est une œuvre toute spontanée, toute individuelle, elle se dérobe à l’analyse et n’est pas enseignable. On peut suivre avec fruit, on peut étudier l’exécution d’une entreprise qui a maqué son empreinte, dont les opérations

(19)

ont laissé leur trace, mais l’idée mère de l’entreprise, sa conception reste un secret.23

La conception ne peut pas s’enseigner, avons-nous dit ; ajoutons qu’elle échappe au jugement immédiat. Dans l’appréciation favo- rable d’un projet d’entreprise, il entre ordinairement plus de con- fiance que de raisonnement. L’art avec lequel un projet est présenté peut déterminer son adoption en voilant des côtés défectueux que tôt ou tard l’exécution révèle. En un mot, c’est par les faits qu’elle a produits qu’on peut dire d’une entreprise : Sa conception était juste, puisqu’elle a donné les résultats prévus ; ou bien : Elle était fausse, puisque l’édifice élevé sur ses bases s’est écroulé.

Cependant, à défaut de règles positives concernant ce travail pré- liminaire, intellectuel, qui précède l’administration des entreprises, on peut, jusqu’à un certain point, signaler les vices, les écueils des mauvaises conceptions.24

Disons d’abord que quiconque s’engage dans les affaires encourt des risques contre lesquels il doit, autant que possible, se prémunir.

Il doit y entrer sans précipitation, avec des idées préconçues, arrê- tées, — et s’y sentir porté par une aptitude spéciale.

Se croire propre indistinctement au commerce et à l’industrie, à toutes les branches du commerce et de l’industrie, est par trop pré- somptueux. Tel excelle dans une profession qui faiblit dans une autre. Le commerce en gros d’exportation et d’importation con- vient plus particulièrement à l’homme réfléchi, prévoyant, qui a plus d’activité intellectuelle que d’activité physique ; celui qui joint à une intelligence étendue, à des connaissances spéciales de métier, une prédisposition au commandement, possède les rares qualités du chef d’usine,25 du grand manufacturier ; cet autre qui a l’esprit liant et de l’aménité, qui aime les pourparlers quotidiens, qui se

23 Ernest Frignet (1868) Histoire de l’association commerciale depuis l’antiquité jusqu’au temps actuel, Paris, Guillaumin, p. 312 (sur le secret des affaires à la fin du XVIIIe siècle).

24 Charles Dunoyer (1840) Esprit et méthode comparés de l’Angleterre et de la France dans les entreprises de travaux publics et en particulier des chemins de fer, Paris, Carilian-Goeury et V.

Dalmont, p. 57.

25 Jean-Baptiste Viollet (1840) Essai pratique sur l’établissement et le contentieux des usines hydrauliques, Paris, Carilian-Goeury et V. Dalmont, XX + 306 p. (cote BNF : V-55086).

(20)

ET DE SON EMPLOI.

complaît dans les rapports continus de la clientèle, est éminemment propre au commerce de détail. Mais comment reconnaître en soi cette aptitude particulière ? Est-ce à un goût fugitif, à une inclina- tion passagère ? Non. C’est en exerçant des fonctions, au besoin subalternes, dans une entreprise similaire à celle qu’on se propose de diriger. Non-seulement on obtient ainsi des connaissances pra- tiques indispensables, mais on est alors fixé sur sa véritable voca- tion. Nous ne connaissons pas de meilleure épreuve profession- nelle que l’exercice de la profession même. Si, mieux connue, la carrière à parcourir vous inspire de la répugnance, si des obstacles s’y dressent que votre courage ne puisse surmonter, si la réalité se présente autrement que vous ne l’aviez conçue, si enfin vous ren- contrez le dégoût là où trop inconsidérément vous espériez un per- pétuel charme, renoncez sans regret aux entreprises, à celles du moins dont les pratiques vous sont antipathiques, car — pour réus- sir dans les affaires, — il faut les aimer.

En outre d’une aptitude reconnue, éprouvée, il faut, pour le suc- cès d’une entreprise, disposer de moyens d’action au nombre des- quels est un capital proportionné à l’importance de l’affaire qu’on a en vue ; encore ce capital indispensable ne suffira-t-il pas si l’on n’est d’avance imbu des principes relatifs à son judicieux emploi.

On entend souvent dire : « Que n’ai-je de l’argent, je réaliserais d’énormes bénéfices ! »26 Il y a sous ces paroles un fond de vérité, en ce qu’elles expriment l’importance du rôle que joue le capital dans les affaires, mais le plus souvent elles sont proférées par des personnes ignorantes des lois relatives à la production, et qui, dis- posant du capital désiré, ne sauraient productivement l’employer.

Placez le plus gros capital dans les mains d’un homme qui, pour toute science, pour tout instinct des affaires, n’a qu’une vague aspi- ration vers la fortune, et ce capital se déperdra comme le liquide contenu dans un vase fêlé.

Nier l’importance du capital dans les affaires serait sottise ; voir en lui l’unique condition du succès est une erreur, on se jette par-

26 Idée chère à Honoré de Balzac (1844) Esquisse d’homme d’affaires d’après nature, Paris, Arvensa éditions, 2014, 900 p.

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fois dans la carrière qui s’ouvre devant soi, sans réflexion préalable, sans étude, sans guide, sans conseil. On voit plus ordinairement cette aveugle précipitation se produire dans le petit commerce, dont l’accès est plus facile et qui exige le moins de capitaux. Il semble que la réussite ici est uniquement dépendante de la posses- sion d’une certaine quantité de numéraire, et lorsqu’un petit fonds notoirement achalandé s’offre à la vente, il est rare qu’il ne trouve pas d’acquéreur. Voici généralement comment on procède. On se borne à prendre des renseignements sur la succession commerciale ouverte : s’il résulte de ces renseignements que le possesseur du magasin enrichi était pauvre au début de sa carrière, et que la for- tune dont il dispose provient bien réellement de la vente au détail de menus objets de consommation usuelle, de petits profits accu- mulés, de l’infime exploitation commerciale qui est à céder, on en infère que quiconque succédera au riche marchand réussira comme lui, et, comme lui, en prenant sa retraite, trouvera un acquéreur empressé auquel il cédera son fonds moyennant une somme égale à celle qu’il doit d’abord compter. Tel est, en général, le calcul qui est fait en cas semblable. On n’approfondit pas autrement l’affaire. De l’activité, de l’esprit d’épargne, de l’aménité du marchand dont on convoite la succession, il n’est pas tenu compte, et c’est peut-être dans son aptitude particulière, dans ses qualités personnelles que sont les causes de son succès. Vous qui voulez prendre sa succes- sion, vous êtes intelligent autant que lui, plus que lui ; vous avez comme lui l’esprit d’épargne et de votre activité est égale à la sienne ; mais il vous manque son aménité, sa rondeur, et c’est sur- tout à ces dons extérieurs qu’il possède et qu’il ne peut vous léguer que doivent être attribués l’accroissement de sa clientèle et sa cons- tante prospérité.

Ceci soit dit pour montrer la nécessité d’une étude préalable, ap- profondie, même en ce qui concerne les plus modestes entreprises.

Nous convenons d’ailleurs que les risques sont moins grands quand on prend une succession commerciale ou industrielle que lorsqu’on fonde une entreprise nouvelle.27 Dans le premier cas, on trouve

27 Voir une statistique des entreprises nouvelles anglaises in Revue Britannique, 1840, t.

1er, p. 518 (273 firmes dans 20 secteurs pour un capital total de 174 millions de livres).

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une tradition établie, une clientèle formée, des pratiques de métier qu’il suffit de continuer ; tandis que dans la création d’une entre- prise nouvelle, l’inconnu a une plus large part.

S’agit-il d’ajouter une entreprise à celles qui existent ? Sa fonda- tion aura pour conséquence d’augmenter sur un marché l’offre de produits qui s’y trouvent déjà. De là peut résulter une certaine per- turbation dans l’équilibre nécessaire entre l’offre et la demande, perturbation nuisible aux entreprises anciennes et à celle nouvelle- ment créée. Espère-t-on amener la clientèle par un abaissement des prix de vente ? C’est là un système d’opérations qui peut réussir si les autres marchands maintiennent leurs anciens prix ; mais est-il probable que ceux-ci, voyant leurs clients habituels s’éloigner et connaissant la cause de leur retraite, restent impassibles, inactifs, dans le vide qui se fait autour d’eux ? Non. Ils lutteront avec éner- gie contre l’entreprise concurrente en employant ses moyens ; ils abaisseront aussi leurs prix, de sorte que l’innovation introduite par le nouvel entrepreneur aura causé un préjudice aux anciens mar- chands sans que lui-même en ait tiré avantage ou profit.

La concurrence est chose bonne en soi ; elle est la conséquence naturelle de la liberté du travail ; elle engendre les innovations utiles, multiplie les produits, satisfait plus largement aux besoins de la consommation ; mais, considérée sous le point de vue particulier de celui qui l’exerce ou contre qui elle s’exerce, la concurrence a ses dangers.

Lorsqu’on l’introduit sur un marché, il faut voir au-delà de l’effet immédiat qu’elle produit, car un second effet de réaction à l’encontre du premier doit nécessairement s’ensuivre. Dans le cas, que nous venons d’indiquer, d’une entreprise nouvelle basant ses profits sur l’abaissement des prix de vente, celui qui la dirige doit admettre dans ses prévisions l’adoption du même système par les entreprises rivales, et voir si, fonctionnant dans des conditions égales, si, ramenées à cette parité de situation, elles peuvent toutes subsister. Il est certain que leur coexistence ne peut être prospère qu’en tant que la consommation autour d’elles s’accroîtra par suite de l’abaissement généralisé des prix de vente, qu’en tant que le rap- port nécessaire entre l’offre et la demande se sera maintenu. A dé-

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faut, il y aura péril pour une au moins des entreprises concurrentes, et la plus nouvelle sera la plus exposée.

Plus l’entreprise qu’on se propose d’exploiter est considérable, plus indispensable devient, chez celui qui la conçoit, la faculté de prévoir les faits qui doivent se produire, et d’où peuvent dépendre la réussite ou l’insuccès. Dans un projet d’exploitation où tout semble au mieux disposé pour assurer la plus large rémunération des capitaux, il suffit que l’étude d’une de ses parties essentielles ait été négligée pour que le résultat attendu en profit se résolve en perte. Nous avons vu, en approuvant leur décision, des hommes d’affaires expérimentés refuser leur concours à une entreprise qui se présentait sous les plus séduisants aspects. Il s’agissait d’introduire dans une cité populeuse l’industrie généralement florissante de l’éclairage au gaz. Tout paraissait concourir à la réussite de l’affaire.

Le prix de revient du gaz fabriqué au lieu de consommation était parfaitement établi ; son prix de vente, rendu aux becs publics, était d’avance connu et assuré. Le seul côté aléatoire de l’entreprise con- sistait dans la consommation des particuliers. C’était là la source principale du rendement, le point capital de l’affaire. L’auteur du projet28 avait calculé par analogie en prenant pour base le chiffre de la population. Il s’était dit : Telle ville de 50,000 âmes consomme tant de mètres cubes de gaz ; cette autre ville ayant une population décuple en consommera dix fois plus. Et, de fait, si la consomma- tion éventuelle de la ville en vue de laquelle on calculait avait pu s’élever à cette quantité proportionnelle, le plus brillant succès était assuré à l’entreprise projetée. Mais les capitalistes sollicités, ayant à cet égard une opinion contraire, refusèrent d’y engager leurs fonds.

Ils refusèrent, parce que la grande, la populeuse cité où devait s’établir l’entreprise était Constantinople, une ville de l’immuable Orient ; ils refusèrent judicieusement, parce qu’ils savaient l’esprit des habitants indigènes rebelle aux progrès industriels, et qu’ils connaissaient l’invincible ténacité de leurs vieilles habitudes.

28 Voir Louis Figuier (1858) Aérostats, éclairage au gaz, Paris, Masson, p. 135. La première usine à gaz de Constantinople fut construite en 1859 (Serge Paquier et Jean-Pierre Wil- liot, L’industrie du gaz en Europe aux XIXe et XXe siècles, Peter Lang, 2005, p. 183).

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C’est surtout lorsqu’il s’agit d’entreprises sans analogues, sans similaires, dépourvues de précédents sur lesquels on puisse étayer leur fondation que la faculté de concevoir spontanément est néces- saire. Là tout est nouveau, inconnu, inexploré ; là, pas de tradition à consulter, nul errement à suivre, aucune pratique à imiter ; là, pour déterminer d’avance le chiffre exact des dépenses et du rendement, pour harmoniser le travail et le capital, pour découvrir et employer les meilleurs moyens d’exécution, pour surmonter d’inévitables obstacles, pour atteindre enfin le plus directement et le plus éco- nomiquement le but qu’on se propose, il faut s’élever à un degré de prévoyance, d’activité, d’intelligence et de calcul dont peu d’hommes sont capables. On peut classer dans cette catégorie d’entreprises nouvelles le percement de l’isthme de Suez, sans toutefois qu’on puisse encore affirmer la justesse de sa conception. Il y a bien ma- nifestement dans cette mémorable entreprise une mise en œuvre gigantesque, une immense association de capitaux, de la persévé- rance, de la hardiesse, de la grandeur ; mais, pour la juger d’après sa productivité industrielle, selon son rapport rémunérateur, il faut attendre les résultats lointains de son exploitation.29

Les résultats sont la pierre de touche des entreprises. C’est par les résultats obtenus que Jacques Cœur et Law, personnages cé- lèbres de notre histoire commerciale et financière, ont montré avec éclat les conséquences heureuses ou néfastes des bonnes et des mauvaises conceptions.30 Le premier, isolément, aves ses propres ressources, en exerçant le commerce d’importation et d’exportation, a recueilli d’immenses richesses ; le second, après avoir réussi dans une première entreprise, voulut en former une nouvelle, qui aboutit au plus grand désastre financier que notre pays ait essuyé.

Il y a dans la courte carrière de Law plus d’un enseignement utile à recueillir.

29 Au moment où Lincol écrit cela (début 1868), il dispose des documents suivants : Ernest Desplaces (1858) Le Canal de Suez : épisode de l’histoire du XIXe siècle, Paris, Ha- chette ; Ferdinand De Lesseps (1860) Question du Canal de Suez, Paris, Plon ; et V. Cadiat (1868) De la situation des travaux du Canal de Suez en février 1868, Paris, Chaix.

30 Claude-Joseph Trouvé (1840) Jacques Cœur, commerçant, maître des monnaies, argentier du Roi Charles VII et négociateur, Paris, Laffitte ; Emile Levasseur (1854) Recherches historiques sur le système de Law, Paris, Guillaumin.

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On sait quelle fut la haute fortune de cet Ecossais, qui devint un moment, en France, contrôleur général ou ministre des finances.

Il avait déjà acquis à Londres l’intelligence des opérations de commerce, lorsque forcé, à la suite d’un duel, de se réfugier sur le continent, il se fixa d’abord à Amsterdam. Là, il se livra à l’étude du mécanisme des banques et du jeu sur les effets publics. Pour mieux comprendre le système sur lequel était fondée la fameuse Banque d’Amsterdam, il se fit admettre, en qualité de simple commis, chez un commerçant notable, et put ainsi apprécier l’organisation de cette grande institution de crédit qui alors était encore enveloppée de mystères. Lorsque, imbu de ces études, il vint en France, il fut, on peut dire malheureusement, reçu dans l’intimité du duc d’Orléans, qui prenait plaisir à l’entendre développer ses idées sur le crédit public.

Law prétendait amortir la dette nationale et procurer l’abondance à notre pays au moyen de la création d’une banque qui émettrait des billets au porteur, remboursables à volonté en espèces, et dans les caisses de laquelle viendrait se concentrer tout le capital métal- lique de la France. Il partait de ce principe vrai, qu’un banquier pri- vé jouit le plus souvent d’un crédit dix fois supérieur à son capital réel, crédit grâce auquel il peut faire dix fois plus d’opérations que s’il était tenu de solder chacune de ses transactions en espèces. Il pensait qu’en concentrant dans les caisses d’une banque tout l’argent monnayé d’un État, un gouvernement pourrait émettre des billets de crédit pour une somme encore dix fois plus considérable que l’immense capital formé par la centralisation de toutes les va- leurs métalliques. Selon lui, en adoptant ce système, il n’y avait plus de limites à la prospérité d’un pays, car les moyens d’action ne pouvaient manquer pour les entreprises publiques ou privées.

Comme on le voit, c’était pousser jusqu’aux limites de l’exagération les conséquences à déduire d’idées vraies en principe, mais dont il faisait une fausse application. Non-seulement Law confondait le crédit public et le crédit commercial, mais il commettait une autre erreur en n’admettant, dans ses calculs, ni l’impossibilité éventuelle du remboursement des billets, ni la possibilité de leur dépréciation.

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Quoi qu’il en soit, ces idées, nouvelles en France et développées avec autant de lucidité que de séduction, firent de nombreux prosé- lytes, et, à la mort de Louis XIV, le protecteur de Law, le duc d’Orléans, devenu régent, aplanit tous les obstacles qui s’opposaient à leur application. La France ne possédait pas encore de banque ; Law fut autorisé à en établir une. Il fonda, sous le nom de Banque générale, une entreprise particulière qui prospéra, parce qu’elle re- posait sur les idées vraies de son système, ou plutôt parce qu’il ap- pliquait en France un système dont il avait ailleurs constaté les bons résultats. Mais, ébloui par le succès, Law ne vit plus de limites à assigner au développement que pouvait prendre le crédit basé sur ses propres combinaisons. Il créa alors, sous la désignation de Com- pagnie d’Occident, et au capital, relativement énorme à cette époque, de 100 millions, une entreprise commerciale ayant pour objet l’exploitation et la colonisation du vaste territoire arrosé par le Mis- sissipi et nouvellement acquis par la France.31 Grâce à l’influence sans bornes qu’après un éclatant succès Law exerçait sur l’esprit du régent, il fit pourvoir cette nouvelle Compagnie des plus vastes attributions, puis la réunit à la Banque générale sous le nom, devenu tristement fameux, de Compagnie des Indes. La fusion des deux com- pagnies comprenait, en outre, l’exploitation des grandes fermes en France, du monopole du tabac et de la fabrication des monnaies ; mais les plus grands bénéfices espérés devaient surtout provenir de l’exploitation du sol, encore vierge, de l’immense bassin du Missis- sipi, et, chose remarquable, avant même que le défrichement de ce sol eût commencé, on vit les actions rapidement s’élever, par l’agiotage, jusqu’à trente-six fois leur valeur d’émission.

La richesse factice qui venait ainsi de surgir devait nécessaire- ment entraîner de nombreux désastres, car il n’y a de richesse réelle que celle qui s’obtient par le développement de la force productive d’un pays. Un moment vint bientôt, en effet, où les possesseurs d’actions voulurent réaliser en masse ; dès lors se manifesta l’impossibilité du remboursement, et, par suite, la dépréciation des

31 Antoine Bailly (1839) Histoire financière de la France, Paris, Martellon, vol. 2, p. 80.

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actions, dont la baisse précipita avec une rapidité égale au mouve- ment ascensionnel qu’elles avaient subi.

Ainsi donc, des deux entreprises du célèbre financier, une seule prospéra ; l’autre, mal conçue, eut pour résultat l’anéantissement, pendant plusieurs années, du commerce et de l’industrie, le dé- sordre des finances et la ruine d’innombrables propriétaires deve- nus intempestivement agioteurs.

Après avoir rappelé le souvenir de cette catastrophe, ce que nous voulons inférer, c’est que l’heureuse étoile d’un homme et la confiance dans son esprit ne suppléent pas aux vices d’une mau- vaise conception ; c’est que la réussite dans une première entreprise n’est pas une garantie absolue du succès dans une entreprise nou- velle ; c’est que, pour réaliser la fortune dans les affaires, il ne suffit pas d’y engager aveuglément des capitaux ; c’est enfin, c’est surtout qu’en voulant s’enrichir par l’agiotage on se précipite souvent vers la ruine.32

L’agiotage, fléau des affaires, est justement réprouvé par la cons- cience publique ; il serait certainement l’objet de mesures répres- sives si, en voulant l’empêcher, le législateur ne s’exposait à empê- cher une foule d’opérations sérieuses et utiles.

Autrefois, le terme d’agio ne s’appliquait qu’au prélèvement légi- time fait sur une valeur échangée contre une autre valeur payable dans un autre lieu, sur une autre place. L’agio constituait une rému- nération des frais de transport, de compensation de risque que cet échange comportait. De nos jours, ce terme sert en outre à désigner la spéculation sur les actions, effets publics, titres de rente, ainsi que sur les objets de production réelle, alcools, blés, suifs, huiles, cotons, etc. Acheter des rentes sur l’État lorsqu’elles sont à bas prix pour les revendre lorsqu’elles auront haussé, c’est faire de l’agiotage.

S’engager, d’une part, à livrer ; d’autre part, à recevoir telle quantité de telle marchandise à certaine époque moyennant un prix déter-

32 Georges Duchêne et Pierre-Joseph Proudhon (1857) Manuel du spéculateur à la Bourse, 4e édition, Paris, Garnier frères ; Georges Duchêne (1867) La spéculation devant les tribu- naux : pratique et théorie de l’agiotage, Paris, Librairie Centrale. Voir aussi Luc Marco (2009)

« Proudhon sur la Bourse : sources et emprunts », Document de travail du CEPN, n° 23, 17 p.

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miné, c’est encore agioter. Le plus souvent, dans ces marchés à terme, la vente et l’achat sont fictifs. Au terme indiqué, le marché se résout par le payement de la différence entre le cours au jour de l’échéance et le prix convenu.

Quand l’agiotage revêt ce dernier caractère, il est immoral et blâmable comme une opération de jeu. Celui qui y participe cherche un profit sans travail, en dehors d’une valeur créée ; en s’enrichis- sant, il ruine autrui, et l’on comprend sans peine la réprobation qui s’attache aux opérations interlopes de l’agioteur.

Au contraire, l’entrepreneur qui base ses profits sur la produc- tion et dont la fortune se forme par la rémunération des services qu’il rend mérite l’estime. Une des conditions du bien-être de tous est dans la participation de chacun à la création des produits. Plus la production se généralise, plus elle s’accroît, plus le bien-être se généralise et s’accroît lui-même. Aussi l’intérêt général serait-il dans la réussite de toutes les entreprises ; mais on sait qu’elles n’ont pas toutes une même destinée. L’océan des affaires a des aspects mou- vants. Il a ses calmes, ses tempêtes, ses abris, ses écueils. En y en- gageant, sans précaution, sa barque ou son vaisseau, on s’expose au naufrage.33

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II.

Des entreprises considérées sous le point de vue légal.

Tant qu’une entreprise est dans sa phase latente de conception, elle reste étrangère aux prescriptions du Code de commerce ; mais, dès qu’elle passe de l’état de projet à l’état pratique, celui qui la gère devient commerçant, dans le sens légal du mot, et, comme tel, soumis aux dispositions du Code qui régissent les personnes exer- çant des actes de commerce et en faisant leur profession habituelle.

Les professions commerciales ordinaires sont celles de mar- chand, de négociant, de fabricant et de banquier.

33 Image empruntée à Jean Gustave Courcelle-Seneuil (1855) Manuel des affaires, p. xxx.

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On nomme marchands, ceux qui vendent en détail, soit en maga- sin, soit en boutique.

On nomme négociants, ceux qui vendent en gros et qui n’ont ni boutique ouverte, ni étalage.

On nomme fabricants ou manufacturiers, ceux dont l’industrie con- siste à transformer des matières premières, soit par eux-mêmes, soit à l’aide de personnes salariées et au moyen de machines ou de mé- tiers, ou qui préparent, façonnent, fabriquent des œuvres destinées à être vendues.

Enfin, on nomme banquiers, ceux dont les marchandises consis- tent en numéraire ou en valeurs-papier et qui font de leurs ventes ou de leurs échanges l’objet d’un commerce habituel.

La loi répute acte de commerce :

« Tout achat de denrées et marchandises, pour les revendre, soit en nature, soit après les avoir travaillées et mises en œuvre, ou même pour en louer sim- plement l’usage ;

« Toute entreprise de manufacture, de commission, de transport par terre et par eau ;

« Toute entreprise de fournitures, d’agences, bureaux d’affaires, établisse- ments de ventes à l’encan, de spectacles publics ;

« Toute opération de change, banque et courtage ;

« Toutes les opérations de banques publiques ;

« Toutes obligations entre négociants, marchands et banquiers ;

« Entre toutes personnes les lettres de change ou remises d’argent faites de place en place ;

« Toute entreprise de construction et tous achats, ventes et reventes de bâ- timents pour la navigation intérieure ou extérieure ;

« Toute expédition maritime ;

« Tout achat ou vente d’agrès, apparaux et avitaillements ;

« Tout affrètement ou nolisement, emprunt ou prêt à la grosse ;

« Toutes assurances et autres contrats concernant le commerce de mer ;

« Tous accords et conventions pour salaires et loyers de l’équipage ;

« Tous engagements de gens de mer pour le service de bâtiments de com- merce. » (Article 632 et 633 du Code de commerce).

Si précise que le législateur ait cherché à rendre sa définition des actes de commerce, d’innombrables procès se sont engagés sur la

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ET DE SON EMPLOI.

question du caractère commercial de certaines opérations d’achat et de vente, et, malgré les arrêts des tribunaux, le doute subsiste en- core à l’égard de quelques-unes de ces opérations. Ce qui est hors de doute, ce qui ressort du texte même de la loi, c’est que l’achat ne constitue un acte commercial qu’en tant qu’il a été effectué en pré- vision d’une vente ; et, réciproquement, la vente ne constitue un acte commercial que lorsqu’elle est la conséquence prévue de l’achat.

Pour juger en cette matière, il faut donc avoir en vue, non le fait, mais l’intention. Ainsi, quiconque achète des objets pour son usage personnel, sans intention de les revendre, ne fait pas acte de com- merce lors même qu’une vente ultérieure s’ensuivrait ; au contraire, quiconque achète des objets dans le but de les revendre, lors même que, pour une cause quelconque, la vente ne s’en effectuerait ja- mais, a fait acte de commerce dans son achat.

De nos jours, le commerce, dégagé des entraves qui le gênaient à l’époque des corporations, est libre et accessible à tout individu capable des actes de la vie civile. Il n’est interdit, dans l’intérêt gé- néral, qu’à quelques personnes dont les fonctions, celles d’avocat, d’agent de change et de courtier, par exemple, ont paru incompa- tibles avec la profession commerciale. Le mineur émancipé et la femme mariée peuvent eux-mêmes s’adonner au négoce en rem- plissant les conditions prescrites par les articles 2 à 7 du Code de commerce.

Le commerçant est soumis, pour faits de sa profession, à une ju- ridiction spéciale et à certaines obligations légales.

C’est en vue de simplifier les formes de la profession, à une juri- diction spéciale et à certaines obligations légales.

C’est en vue de simplifier les formes de la procédure, de rendre les délais de la demande plus courts, l’instruction des procès moins compliquée, l’exécution des jugements plus prompte, et de donner à la marche des affaires commerciales le mouvement rapide qu’elles comportent, que les tribunaux de commerce ont été institués.

Composés d’hommes joignant la connaissance des lois spéciales à la pratique des opérations commerciales, ces tribunaux jugent les différends entre commerçants, les contestations relatives aux actes de commerce et tout ce qui concerne les faillites.

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Au nombre des obligations que la loi impose au commerçant est la tenue de livres. L’article 8 du Code de commerce est ainsi conçu :

« Tout commerçant est tenu d’avoir un livre-journal qui présente, jour par jour, ses dettes actives et passives, les opérations de son commerce, ses négocia- tions, acceptations ou endossements d’effets, et généralement tout ce qu’il re- çoit et paye, à quelque titre que ce soit ; et qui énonce, mois par mois, les sommes employées à la dépense de sa maison, le tout indépendamment des autres livres usités dans le commerce, mais qui ne sont pas indispensables. Il est tenu de mettre en liasse les lettres missives qu’il reçoit, et de copier sur un re- gistre celles qu’il envoie. »

Pour se faire une idée de l’importance que le législateur attache à cette prescription, il suffit de dire, dans sa pensée, la conscience du commerçant doit être, en quelque sorte, tout entière dans ses livres.

Leur régularité, en attestant sa vigilance et sa bonne foi, le protége- ra contre les revers de la fortune ; mais, en revanche, leur irrégulari- té l’exposera aux peines dont la loi punit le banqueroutier simple ou frauduleux.

Quant aux dispositions littérales de l’article 8, il faut bien conve- nir qu’elles laissent à désirer. Si nous avions à commenter cet ar- ticle, nous dirions qu’il est vague, insuffisamment explicite dans certaines parties, trop généralisateur, trop absolu dans d’autres ; nous dirions que ses prescriptions, généralement éludées, sont presque illusoires.

Il est trop absolu dans ses premiers termes : « Tout commerçant est tenu… », trop absolu en ce sens qu’il impose l’obligation de la tenue d’un livre, au moins, aux plus petits marchands, aux plus in- fimes détaillants, bonnes gens généralement illettrés qui ne peuvent le tenir eux-mêmes, et qui, gagnant à peine pour subvenir à leurs besoins, sont dans l’impossibilité de rémunérer l’étranger qui sup- pléerait à leur insuffisance.

Il n’est pas assez explicite. Dans quelle forme doit être tenu le journal ? Selon la partie simple ? D’après la partie double ? Dans l’une ou l’autre forme indistinctement, puisque la loi n’en prescrit pas de spéciale. Mais alors, tenu en partie simple et ne présentant que les achats et les ventes à terme, le journal ne remplira pas toutes les conditions qu’exige le législateur, puisqu’il ne reproduire

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ET DE SON EMPLOI.

qu’une infime partie des opérations du commerçant ; et puis, fût-il en partie double, ce journal, ce livre unique, tenu sans le secours des livres auxiliaires qui, quoi qu’on en dise le législateur, sont, de fait sinon légalement, indispensables, que présentera-t-il ? Peut-être l’historique des actes du commerçant, une relation chronologique et confuse de ses opérations, mais non pas une comptabilité cohé- rente et utile. Il faut d’ailleurs reconnaître que la pratique a changé la destination du journal. Bien qu’il ait conservé son nom, le journal n’est plus un livre de comptabilité préliminaire qui se tient quoti- diennement ; c’est un livre centralisateur dans lequel se résument, semaine par semaine, souvent mois par mois, rarement jour par jour, toutes les écritures d’une maison.

Par ces divers motifs donc, l’article 8 du Code de commerce n’est pas suffisamment explicite.

Nous avons dit que ces prescriptions étaient presque illusoires.

En effet, neuf commerçants sur dix éludent les prescriptions du Code relatives aux livres de commerce. Quelle pénalité encourent- ils ? Aucune. Or, une loi, ce nous semble, tombe en désuétude quand on peut impunément la transgresser.

Toutefois, rappelons-nous que, pour savoir la loi, il ne suffit pas d’en scruter les termes, il faut en rechercher l’esprit. Si donc, sans autrement insister sur les termes de l’article 8, nous en recherchons l’esprit, nous verrons que le législateur a entendu imposer au com- merçant une comptabilité régulière et complète. On lit, en effet, dans l’article 586 du Code de commerce :

« Pourra être déclaré banqueroutier simple tout commerçant…, s’il n’a pas tenu de livres et fait exactement inventaire ; si ces livres ou inventaires sont incomplets ou irrégulièrement tenus, ou s’ils n’offrent pas sa véritable situation active ou passive, sans néanmoins qu’il y ait fraude. »

Comme on le voit, une autre obligation que la loi impose au commerçant est celle d’un inventaire « annuel, sous seing privé, et sur registre spécial, de ses effets mobiliers et immobiliers et de ses dettes actives et passives. » (Art. 9 du Code.)

Considéré sous le double point de vue administratif et légal, l’inventaire est un des actes les plus importants de toute gestion commerciale ou industrielle. En le prescrivant, le législateur a eu en

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vue l’intérêt du commerçant et de ses créanciers ; il a voulu forcer le commerçant à se rendre raison de l’état de ses affaires, et, en cas de faillite, éclairer les juges sur la moralité de ses opérations ; mal- heureusement, en n’indiquant pas la manière de le dresser, le légi- slateur a laissé la porte ouverte aux plus criants abus. Nous signale- rons ces abus dans le chapitre que nous consacrerons à l’inventaire.

Ce n’est pas toujours isolément qu’on s’engage dans les affaires.

Bien que l’association ait des inconvénients, qu’elle impose des gênes, des sacrifices, qu’elle astreigne l’associé à partager la gérance, à délibérer, à consulter, avant d’agir, les convenances d’autrui, il est des cas où elle est indispensable. Celui qui ne possède pas les capi- taux ou les capacités nécessaires pour conduire à bien une entre- prise, peut rechercher dans l’association les moyens d’action qui lui manquent. Dans ce cas, en outre des obligations générales impo- sées à l’entrepreneur, il est tenu d’observer les prescriptions rela- tives à l’une des quatre espèces de sociétés commerciales reconnues par la loi, savoir : la Société en nom collectif, la société en commandite ordi- naire, la société en commandite par actions, et la société anonyme.34

Il en existe bien une cinquième, la Société en participation, mais celle-là ne concerne que des opérations partielles ; elle est sans du- rée permanente et n’est soumise à aucune formalité légale.35

Dans la société en nom collectif, les hommes et les capitaux sont en- semble engagés. Cette société lie solidairement entre elles les per- sonnes dont le but est d’exercer en commun le commerce sous une raison sociale, c’est-à-dire sous le nom qui sert à désigner la société.

Les noms seuls des associés peuvent faire partie de la raison so- ciale, et du moment que l’un d’eux contracte sous cette raison, il engage les autres associés. (Art. 21 et 22 du Code de commerce.)36

Il y a dans ce mode de société une garantie efficace pour les tiers, garantie à laquelle sont affectés et le fonds social et les biens

34 Claude Alphonse Delangle (1843) Commentaire sur les sociétés commerciales, Paris, Meline, p. 421.

35 Edmond Degrange fils (1837) Traité des comptes en participation, Paris, Langlois et Le- clercq, 4e édition, p. 32.

36 Emile Levasseur (1867) Histoire des classes ouvrières en France depuis 1789 jusqu’à nos jours, Paris, Hachette, p. 295.

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que les associés possèdent en dehors de leur commerce ; mais on comprend qu’en raison de la solidarité qui en lie les membres, le plus grand nombre des personnes qui participent indirectement aux opérations commerciales s’abstiendraient si, seule, cette société existait. Aussi, dans le but de fournir aux capitalistes non commer- çants la facilité de prendre part aux affaires tout en limitant leurs risques, le législateur a-t-il admis l’existence d’autres sociétés com- merciales.

La société en commandite ordinaire offre cette particularité que les as- sociés forment deux catégories distinctes, composées, chacune, d’un ou de plusieurs individus.37

Les associés de la première catégorie contractent les mêmes obligations que les membres d’une société en nom collectif. Ils sont responsables et solidaires ; ils administrent seuls la société, et ont seuls la signature sociale.

Les associés de la deuxième catégorie, simples bailleurs de fonds, ne sont passibles des pertes que jusqu’à concurrence de leur apport dans le capital social, qui peut, du reste, être divisé en actions. Ils ne peuvent faire acte de gestion ni être employés dans les affaires de la société, et leur nom ne peut figurer dans la raison sociale. (Art. 25 du Code de commerce.)

Quant aux sociétés en commandite par actions et aux sociétés anonymes, elles sont régies par une loi récente, promulguée le 29 juillet 1867 et dont nous ne pouvons mieux faire connaître les dispositions qu’en donnant intégralement ici son texte38 :

37 Raymond-Théodore Troplong (1843), Du contrat de société civile et commerciale, Paris, Hingray, tome 2, vol. 10, p. 121.

38 Voir aussi V. Godet (1837) Des sociétés anonymes et des sociétés en commandite dans leurs rapports avec les sociétés anonymes, Liège, Imprimerie de Jeunehomme frères, p. 21.

Références

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