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II Quel positionnement pour l'analyste : expert, ou consultant-faciliteur?

Par delà les méthodes et approches, et leurs limites, exposées sommairement ci-dessus, il nous paraît autrement plus important de soulever ici la question du positionnement de l'analyste. De fait, ce positionnement a singulièrement évolué depuis une dizaine d'années : l'expert qui recueillait l'information sur les positions des acteurs et remettait en fin de processus un rapport sur sa vision du système, s'est mué peu à peu en un "faciliteur" qui aide un acteur (ou un groupe homogène d'acteurs) à procéder par lui-même à cette analyse du système d'acteurs, à comprendre le "fonctionnement" de ce système, les positions des autres acteurs, et enfin de déterminer la décision optimale.

II - 1 La question de l'appropriation de la réflexion stratégique et prospective

Cette évolution majeure du positionnement est la suite logique d'un constat d'échec: l'appropriation par les décideurs des stratégies et tactiques élaborées par des experts et dont les résultats leur étaient livrés sans qu'ils participent au processus d'élaboration -ou très peu- s'est révélée très limitée, pour ne pas dire insignifiante.

En réalité, on a admis progressivement que le processus d'analyse et d'élaboration de la décision était au moins aussi important, sinon plus, que le résultat lui-même, et que la seule façon de construire une stratégie que des décideurs s'approprient est que ces mêmes décideurs l'élaborent eux mêmes, et réalisent la totalité du processus intellectuel d'élaboration de la décision.

Ce qui suppose que ce processus puisse être "concentré" dans un temps relativement court, et que la démarche d'élaboration soit telle qu'un groupe de décideurs concernés puisse y participer collectivement.

II - 2 La question du "point de vue"

Une autre question essentielle est le choix du "point de vue".

Le premier acte dans le processus d'élaboration d'une stratégie est de déterminer qui doit partager cette stratégie, et corrélativement qui doit participer à son élaboration. Ce choix limite les acteurs à associer à un noyau dont les objectifs et enjeux sont suffisamment proches pour être assimilables sans compromis excessif.

Dans la pratique, on peut choisir plusieurs "acteurs" centraux, selon des cercles concentriques. Par exemple, dans une réflexion géostratégique, la France, le couple "Franco-Allemand", l'ensemble des pays de la Communauté Européenne, plus largement les pays de l'OTAN, peuvent constituer autant d'acteurs "centraux" différents. Sachant qu'il est clair que les objectifs communs aux pays de l'OTAN ne sont pas assimilables aux objectifs de la France…. Ce choix initial est donc fondamental : il est guidé par le niveau d'appropriation vidé pour cette stratégie, et en conditionne largement la teneur.

II - 3 Une nouvelle génération de méthodes :

Ce qui précède a eu pour effet de susciter le développement de nouvelles méthodes, ou l'adaptation de méthodes existantes, avec les contraintes suivantes :

• pouvoir disposer d'outils réalisant tout à la fois une production de stratégie, et l'appropriation de cette stratégie par les décideurs concernés

• pouvoir conduire une réflexion dans un temps de travail extrêmement court, compatible avec la capacité de mobilisation de décideurs

• pouvoir mettre en œuvre ces méthodes de façon totalement transparente, sans recours à des artifices ou des "deus ex machina" techniques ou mathématiques plus ou moins sophistiqués, qui pourraient nuire à l'appropriation des résultats (du type logiciel dans lequel on engrange des éléments et qui donne un résultat sans qu'on puisse comprendre comment on en arrive là).

A cet égard, ceci explique que nous n'ayons retenu ici que certains éléments de la méthode MACTOR, laquelle est plus complète, plus complexe, et notamment propose certains prolongements mathématiques ne répondant pas, selon nous, au dernier critère (d'appropriation et de transparence totale).

a ) des outils à double détente

Le résultat est une boîte à outils de prospective stratégique, dont la méthode d'analyse des jeux d'acteurs n'est qu'un élément (il faut y rajouter les outils de diagnostic stratégique, les outils d'élaboration de scénarios, d'analyse structurelle, etc..), et dont chaque outil peut se "lire" à deux niveaux :

• Un premier niveau est sa capacité à produire une représentation de la réalité, et à faciliter la mise en évidence de décisions, de stratégies ou de tactiques (ici : des tactiques pour modifier le jeu des acteurs ou en tenir compte) : c'est à dire sa capacité en tant qu'outil d'élaboration de stratégie

• Un second niveau est sa capacité à organiser, structurer l'échange d'information entre les participants, et à soutenir la production collective d'une représentation consensuelle de

l'environnement actuel et futur (anticipation), et la mise en évidence collective des alternatives de choix qui s'offrent, enfin l'évaluation de la pertinence respective de ces différents choix.. C'est à dire sa capacité en tant qu'outil de communication, d'échange, de partage, d'appropriation collective, de construction de consensus ou de solutions partagées.

b ) l'évidence …partagée

Le terme de "partage"est essentiel. Ces outils ne sont pas des outils à utiliser "en solo". Ils sont faits pour être mis en œuvre au sein d'un groupe.

L'expérience montre à cet égard qu'il y a toujours, dans un groupe, un ou plusieurs de ses membres qui affirme, au terme de l'analyse, qu'il n'y a rien appris qu'il ne sache déjà, et que la technique ne fait que lui (ou leur) projeter que la vision qu'il(s) avai(en)t déjà plus ou moins confusément en tête.

La première réponse est que le premier mérite de la méthode est précisément de structurer, de formaliser, ces visions souvent non organisées, ensembles d'informations parcellaires et auxquelles le modèle sous-jacent à la méthode donne finalement un sens.

La seconde réponse est que le principal mérite de la méthode est de construire une vision évidente, peut-être, mais partagée, mise en commun par tous les participants. Or, bien souvent, la mise en œuvre des stratégies pêche par manque de cohérence dans la vision stratégique au sein du groupe ceux qui sont supposés les mettre en œuvre.