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I NSULINORESISTANCE DU PATIENT DE REANIMATION

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Si l’insuline constitue l’élément clé de l’homéostasie du glucose, la sensibilité à l’insuline est extrêmement variable d’un individu à l’autre, avec une probable contribution génétique à cette très importante variabilité. Dans la majorité des cas, la sensibilité à l’insuline est réduite et cela définit l’insulinorésistance, phénomène bien connu des diabétologues observé dans un large éventail d’états pathologiques (tels l’obésité, l’hypertension artérielle, les dyslipidémies, le diabète de type 2, le syndrome des ovaires multikystiques, diverses maladies endocriniennes ou lors de maladies génétiques rares, les états infectieux) mais aussi physiologiques lors de la puberté, de la grossesse et du vieillissement. La sensibilité à l’insuline est aussi modifiée sous l’influence de médicaments (corticothérapie, stéroïdes sexuels, thiazolidinediones, etc.). Enfin, l’insulinorésistance pourrait constituer un facteur de risque cardiovasculaire dans le cadre du syndrome métabolique associant hypertension artérielle, hypercholestérolémie, obésité essentiellement abdominale, hyperinsulinémie et hyperglycémie 164. Compte tenu, d’une part du développement des méthodes d’évaluation de l’insulinorésistance, et d’autre part des enjeux de santé publique incitant à reconnaître précocement le phénomène d’insulinorésistance, préfigurateur d’états pathologiques cardiovasculaires, l’insulinorésistance suscite un intérêt croissant bien au-delà de la diabétologie.

5.1. METHODES D’EVALUATION DE L’INSULINORESISTANCE EN DEHORS DE LA REANIMATION

Les méthodes d’évaluation de l’insulinorésistance sont actuellement, soit très simples, accessibles à tout clinicien, basées sur des mesures anthropométriques (telles le rapport tour de taille/tour de hanche en position debout compte tenu de la relation supposée stricte entre distribution androïde de l’obésité et insulinorésistance) mais ne permettant pas de décrire précisément le phénomène d’insulinorésistance, soit complexes, reposant sur des évaluations biologiques réalisées dans des centres spécialisés.

5.1.1 LE CLAMP EUGLYCEMIQUE HYPERINSULINEMIQUE

La mesure in vivo de la sensibilité à l’insuline est évidemment rendue difficile en raison de la boucle de rétroaction entre le glucose et la mise en jeu d’hormones de contre régulation lors de l’hypoglycémie. Dès 1939, Himsworth et Kerr furent les pionniers de l’estimation de la sensibilité à l’insuline en perfusant simultanément glucose et insuline sans

disposer de méthode de mesure de l’insulinémie. Divers tests, basés sur la sensibilité à l’insuline exogène ou la suppression de la sécrétion d’insuline endogène, furent développés par la suite pour apprécier la sensibilité à l’insuline mais c’est à De Fronzo et al que nous devons la technique de référence, décrite en 1979, dite technique du clamp euglycémique hyperinsulinémique 165. Cette technique repose aussi sur une perfusion simultanée d’insuline et de glucose : l’insuline est perfusée à débit constant de façon à créer un hyperinsulinisme stable (en général, à différents débits, de manière séquentielle, pour atteindre différents niveaux d’insulinémie) ; le glucose est perfusé à débit variable adapté aux mesures itératives de la glycémie. La quantité de glucose perfusé, notée M exprimée en mg/kg/min, qui doit être stable durant les trente dernières minutes d’une perfusion d’insuline à débit constant, reflète l’action de l’insuline mais peut encore dépendre de la production endogène de glucose.

Pour des insulinémies élevées (> 100 mUI/L), correspondant à un débit d’insuline de 1 mU.kg-1.min-1 selon le protocole classique, la production de glucose endogène est supprimée totalement et la quantité de glucose perfusé représente donc la quantité de glucose utilisée sous l’action de l’insuline. Une courbe dose-réponse à l’insuline de la quantité de glucose perfusé peut être construite grâce aux mesures réalisées aux différents niveaux d’insulinémie permettant de déterminer l’action maximale de l’insuline (Vmax) et l’insulinémie pour laquelle est obtenue la moitié de l’action maximale de l’insuline. L’avantage principal de cette technique réside dans le fait qu’elle fournit un résultat quantitatif sans nécessité d’analyse mathématique mais son inconvénient qui en limite naturellement son utilisation est la lourdeur de réalisation, contraignante pour le sujet et nécessitant un personnel médical et infirmier entraînés.

5.1.2 AUTRES METHODES D’EVALUATION BIOLOGIQUE DE LA SENSIBILITE A L’INSULINE

D’autres méthodes d’évaluation de l’insulinorésistance ont été développées, et notamment reposant sur la stimulation de la sécrétion insulinique endogène. Parmi celles-ci figurent les méthodes d’évaluation biologique dynamique (telles l’hyperglycémie provoquée par voie intraveineuse modélisée selon la méthode du Minimal Model, développé par Bergman et al 166 ou le CIGMA test 167) et les méthodes plus simples d’évaluation biologiques à l’état basal utiles sur un plan épidémiologique, conduisant à déterminer divers index normalisés tels le HOMA-R 168 ou le Firi 169.

Le Minimal Model repose sur l’administration intraveineuse de glucose (selon une dose de 0,3 g/kg), en moins de 3 minutes de telle manière à provoquer une stimulation endogène d’insuline. Cette injection est suivie de prélèvements itératifs réalisés durant une période de 180 minutes afin de mesurer glycémie et insulinémie (le protocole initial décrit par Bergman comportait 25 prélèvements). Le modèle mathématique permet de déduire de l’ensemble des mesures les trois composantes majeures du métabolisme glucidique, la réponse précoce d’insuline au glucose, mesurée par la somme des valeurs d’insulinémie aux premières et troisième minutes, la sensibilité à l’insuline SI, et l’assimilation glucidique

indépendante de toute variation de l’insulinémie (Sg). Diverses variantes au protocole originel ont été décrites, avec des doses de glucose supérieures (0,5g/kg), moins de prélèvements pour le simplifier, et en association avec l’administration d’un bolus d’insuline (0,03 UI/kg) à la vingtième minute. La reproductibilité du Minimal Model est satisfaisante et comparable à celle du clamp euglycémique hyperinsulinémique et permet d’appréhender deux phénomènes, sensibilité à l’insuline et capacité du glucose à promouvoir sa propre utilisation, avec un seul test au lieu d’utiliser deux clamps distincts. Ses principales limitations sont les suivantes : impossibilité de distinguer à partir de la détermination du paramètre global SI les effets de

l’insuline sur le foie de ceux exercés sur les tissus périphériques et notamment sur les muscles squelettiques (qui expliquent 85 % de la sensibilité globale à l’insuline) ; sous-estimation de la sensibilité à l’insuline SI avec des valeurs proches de zéro chez des patients diabétiques de

type 2 voire chez des patients non diabétiques, en raison d’un simplification du modèle initial monocompartimentale ; surestimation du paramètre d’assimilation glucidique Sg.

Le Cigma test ou perfusion continue de glucose avec modélisation mathématique repose comme son nom l’indique sur une perfusion continue de glucose par voie intraveineuse (5 mg/kg de poids idéal durant 60 minutes) provoquant une hyperglycémie et une réponse insulinosecrétoire jusqu’à l’obtention d’un état d’équilibre caractérisé par un plateau d’hyperglycémie et d’hyperinsulinémie. Un modèle mathématique permet de déterminer, à partir des valeurs de glycémies et d’insulinémie au plateau, l’insulinorésistance et l’insulinopénie à l’aide de ce seul test. Cette méthode très simple ne permettrait pas d’obtenir une discrimination suffisante entre sujets normaux, obèses et diabétiques de type 2 en comparaison avec les méthodes plus élaborées.

Le HOMA (HOmeostasis Model Assessment) est basé sur le même modèle mathématique que celui utilisé dans le Cigma test, adapté aux valeurs de la glycémie et d’insulinémie à l’état basal. Il s’agit d’une des méthodes d’évaluation biologique à l’état basal

effet, toute diminution de la sensibilité à l’insuline entraîne un hyperinsulinisme compensatoire pour maintenir l’homéostasie glucidique. Cependant cette corrélation négative entre hyperinsulinémie et sensibilité à l’insuline n’est valable que pour les sujets dont la tolérance au glucose est normale : en cas d’hyperglycémie basale même modérée, il existe toujours un déficit relatif d’insulinosecrétion conduisant à sous-estimer le niveau d’insulinorésistance. Ainsi, le simple dosage de l’insulinémie à jeun constituerait un test de dépistage dans une large population (avec une valeur seuil supérieure à 18 mUI/mL associée à une valeur de glycémie à jeun dans les limites de la normale orientant vers un état d’insulinorésistance marqué) tandis que des index normalisés, prenant en compte le déficit de la fonction insulinosecrétoire, permettraient d’appréhender l’insulinosensibilité en cas d’hyperglycémie : c’est le cas de l’index HOMA-R ou plus récemment d’un nouvel index le Firi (Fasting Insulin Resistance Index), produit de l’insulinémie (en mUI/L) et glycémie (en mmol/L) basales, divisé par 25 (facteur correspondant aux valeurs considérées normales d’insulinémie de 5 mUI/L et de glycémie de 5 mmol/L) : une valeur du Firi supérieure à 1 permettrait de suspecter un état d’insulinorésistance ; le Firi, validé chez des sujets présentant une tolérance au glucose normale et chez des patients diabétiques de type 2, s’est avéré un bon index de dépistage d’insulinorésistance et les grandes études épidémiologiques pourraient constituer sa meilleure indication.

5.2. APPLICATIONS AUX PATIENTS DE REANIMATION

Si la glycémie de sujets sains peut être maintenue dans des limites relativement strictes, c’est bien grâce au prix d’adaptations répétées et complexes face aux multiples facteurs « perturbateurs » de la vie quotidienne avec par exemple des transitions entre jeûne et alimentation ou des activités physiques variables qui constituent de véritables défis énergétiques et qui vont nécessiter l’intervention de diverses hormones, au premier rang desquelles l’insuline et le glucagon mais aussi les incrétines, le système nerveux central et périphérique, des substrats biochimiques (dont les acides aminés et les acides gras), des réserves énergétiques mobilisables (triglycérides stockés), la composition corporelle, les habitudes alimentaires, etc.

Dans le cas d’un patient de réanimation, caractérisé à l’admission par un niveau d’insulinorésistance dépendant de l’agression subie l’ayant conduit avec un délai variable en réanimation, ces facteurs extérieurs « perturbateurs » sont encore plus nombreux et particulièrement difficiles à caractériser et à prévoir, notamment sous des influences

pharmacologiques ou nutritionnelles, en comparaison avec le sujet sain, et ce d’autant plus que l’état basal (avant l’admission en réanimation) est le plus souvent inconnu. Il existe ainsi un contraste entre la seule méthode actuellement utilisée en réanimation pour contrôler la glycémie, c’est-à-dire maintenir la glycémie dans des limites « acceptables » par l’administration d’insuline intraveineuse en perfusion continue selon les recommandations d’experts, et l’ignorance que nous avons du niveau actuel d’insulinorésistance des patients de réanimation. A l’évidence, si les causes et mécanismes de l’insulinorésistance, et son évaluation continue ou semi-continue était possible, un contrôle glycémique efficace en réanimation devrait prendre en compte ce niveau d’insulinorésistance, ne serait-ce que pour adapter plus efficacement les doses d’insuline en perfusion continue nécessaires pour maintenir la glycémie dans la cible souhaitée sans générer de variabilité glycémique, mais aussi pour moduler les apports glucosés et leurs voies d’administration, ou à terme pour agir sur des facteurs extérieurs. La réponse par l’infirmière à une élévation de la glycémie qui consiste à augmenter le débit d’insuline selon un protocole qui ne prend en compte que des valeurs de glycémies passées, ou parfois mais de manière arbitraire et simpliste, les apports glucosés, traduit en fait l’ignorance des réanimateurs et leur impuissance à suivre l’insulinosensibilité des patients de réanimation les obligeant à se contenter de la méthode la plus simple possible et, partant, objet de délégation aux infirmiers.

Cependant une étude récente conduite auprès de 164 patients de réanimation soumis au protocole d’insulinothérapie intensive SPRINT TGC (SPecialized Relative Insulin Nutriton

Table for Tight Glucose Control) a mis en évidence une variabilité de la sensibilité à

l’insuline durant les quatre premiers jours d’hospitalisation en réanimation 170. Le protocole SPRINT TGC est dérivé d’un contrôleur basé sur un modèle prédictif permettant de moduler aussi bien le débit d’insuline que les débits d’apports nutritionnels ; il nécessite des mesures répétées toutes les heures ou toutes les deux heures. Durant cette étude, l’utilisation d’un modèle pluricompartimentale du système glucose insuline permettait de calculer le paramètre SI représentant la sensibilité à l’insuline globale de l’organisme. Une valeur de SI était

déterminée pour chaque période, et en cas d’intervalle entre deux mesures glycémiques supérieur à une heure, une extrapolation linéaire était réalisée pour la détermination horaire du paramètre SI. La variabilité à l’insuline était déterminée par le pourcentage de changement

de SI entre deux périodes horaires consécutifs. Aussi bien l’analyse de SI de l’ensemble de la

cohorte que l’analyse par patient a révélé une insulinosensibilité plus faible à J1 augmentant significativement dès J2 par apport à J1. L’analyse par patient ne montrait pas d’augmentation

l’insulinosensibilité, celle-ci était significativement plus élevée à J1 par rapport aux jours suivants ; une analyse par blocs de 6 heures mettait en évidence que ce phénomène d’hyper variabilité intervenait durant les 12-18 premières heures du séjour en réanimation. Les auteurs en concluaient que les patients de réanimation présentaient une sensibilité à l’insuline diminuée durant les premières 24 heures de réanimation ainsi qu’une augmentation de la variabilité de l’insulinosensibilité ; ces résultats, potentiellement à l’origine d’une augmentation de la variabilité glycémique et du risque d’hypoglycémie, deux facteurs associés à un mauvais pronostic, inciteraient pour le premier jour d’hospitalisation en réanimation, à mettre en œuvre une surveillance glycémique plus rapprochée, à choisir une cible glycémique plus élevée, à privilégier des débits d’insuline plus constants, et à moduler les apports en hydrates de carbone afin d’atténuer le risque de variabilité glycémique.

Force est de constater qu’une telle optimisation des protocoles d’insulinothérapie et d’apports nutritionnels ne peut être réalisée avec les protocoles-papier classiques de contrôle glycémique.

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