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1 Effets générationnels sur la diffusion des usages

1.1 État des lieux quantitatif sur les formes d’usage chez les

aînés

D’après les études du CREDOC, notamment la plus récente datant de 2015, le taux d’équipement et d’usage tend à décroître avec l’âge. Prenons deux exemples révélateurs de ce phénomène. Le premier concerne l’équipement en micro-ordinateur à domicile. Alors qu’il atteint les 91 % chez les 18-24 ans, il décroît quelque peu chez les 25-39 ans, avec 88 %, pour continuer de baisser au fur et à mesure des classes d’âge, jusqu’à atteindre les 76 % chez les 60-69 ans et les 43 % chez les personnes de plus de 70 ans. Concernant la catégorie sociale des retraités, ce chiffre atteint à peine plus de la moitié avec 55 % (CREDOC, p. 34, 2015). La tendance se confirme avec la connexion Internet à domicile, en haut débit ou en très haut débit : 96 % chez les 12-17 ans, 88 % les 25-39 ans, pour décroître à 79 % chez les 60-69 ans et 45 % pour les plus de 70 ans. Ce chiffre atteint les 59 % pour le groupe des retraités (CREDOC, p. 144, 2015).

L’effet générationnel semble être prégnant dans l’appropriation des technologies numériques. Les cohortes d’âges utilisées par le CREDOC reflètent ce phénomène, avec une baisse de l’équipement et des usages au fil des ans. Ainsi, existerait-il, au sein de la cohorte d’étude un phénomène similaire ? Doit-on parler, concernant les technologies numériques, « du » groupe des retraités ou « des » groupes de retraités ? Effectivement, l’influence de l’âge et du passé des usagers pourrait amener à supposer que la diminution de l’appropriation se poursuit au sein même de la catégorie sociale des retraités.

Il existerait ainsi plusieurs cohortes distinctes d’usagers. Les « retraités » représenteraient alors une agglomération de profils hétérogènes et de particularités d’usages, propres à chacun de ces profils. Les études du CREDOC, au-delà des données statistiques, montrent des taux

d’appropriation disparates au sein des groupes d’âge composant la catégorie sociale des retraités. Ainsi, dans l’ensemble des résultats du rapport, les données révèlent un taux d’équipement et d’usage plus fort chez les 60-69 ans que chez les personnes de plus de 70 ans.

Ce phénomène est tout autant perceptible au sein des résultats du projet Risque Informationnel Chez les Seniors et Automédication (RICSA), porté par Olivier Le Deuff, sous l’égide de l’Université Bordeaux Montaigne, en partenariat avec la Fondation MAIF. L’un des axes d’enquête du projet a été de réaliser une enquête quantitative, sur l’ensemble du territoire français, destinées aux usagers des technologies numériques âgés de plus de 60 ans. La répartition choisie pour l’analyse permet de confirmer les résultats du CREDOC, tout en y apportant une vision plus fine de la répartition des usages en termes d’âge :

% Nombre de

réponses

Entre 60 ans et 65 ans 42,75 168

Entre 66 ans et 70 ans 33,84 133

Entre 71 ans et 75 ans 14,50 57

Entre 76 ans et 80 ans 6,36 25

Entre 81 ans et 85 ans 1,78 7

Entre 86 ans et 90 ans 0,25 1

Tableau 3 : Répartition des répondants à l’enquête RICSA par tranche d’âges de cinq ans

Ce tableau est révélateur du phénomène précédemment évoqué : l’avancée en âge va de pair avec la diminution du nombre d’usagers des technologies numériques. Les personnes âgées de 60 à 75 ans représentent plus de 90 % des répondants à l’enquête (91,09 %). Suivent les

personnes de 76 à 80 ans avec un peu plus de 6 %, eux-mêmes suivis des personnes de plus de 80 ans, qui peinent à atteindre les 2 %.34

1.2 Technologies numériques et retraités : identification

d’ensembles générationnels

« Les modes de consommation et les pratiques de loisir portent la marque du temps où ont été acquises les habitudes et les orientent » (Attias-Donfut, p. 146, 1988). Les individus sont ainsi influencés par le contexte, le milieu et les événements historiques dans lesquels ils grandissent et évoluent.

Or, après la Seconde Guerre Mondiale, les contextes économique et social français ont connu un fort essor, sous l’impulsion des Trente Glorieuses. Cette époque, comme nous l’avons présenté en partie introductive, est à l’origine d’une hausse du confort, accompagnée d’un changement profond des idéologies. C’est dans ce contexte que les plus jeunes des retraités actuels, âgés de moins de 75 ans et issus du baby-boom, ont passé leurs premières années de vie. « L’Après-Guerre symbolise l’espoir, des référents culturels forts et un changement d’air idéologique. Génération rebelle et contestataire dans le contexte d’abondance des Trente Glorieuses, elle prônera un idéal coloré par une libération des mœurs » (Pecolo, p. 23, 2011). Cette génération entre, dans une certaine mesure, en rupture avec la société de son époque et développe de nouvelles mœurs, de nouvelles croyances et de nouvelles convictions libertaires, qui marquent le début d’une nouvelle aire sociale et idéologique, dont l’effet s’avérera irréversible.

De ce fait, les enfants issus de cette génération, ayant grandi dans un confort croissant, tendent à s’inscrire dans un état d’esprit différent de leurs aînés, qui ont eu à souffrir des conditions rudes imposées par le conflit militaire : privation, carence, faible confort, crainte, etc. Avec un pouvoir d’achat grandissant, la démocratisation des études et la mondialisation,

34 Les résultats du CREDOC et du projet RICSA prennent en compte des personnes aussi bien actives que retraitées dans leur échantillonnage. Il nous semble nécessaire de les présenter, puisque, comme ne le verrons dans la partie consacrée à la méthodologie, notre échantillon d’étude comprend des usagers âgés de 62 à 78 ans. Le recours aux résultats par strate d’âge nous permet ainsi d’appréhender l’hétérogénéité de la diffusion des

ils grandissent avec davantage d’opportunités intellectuelles et économiques. Habitués à consommer, ils tendent à se tenir davantage au fait des évolutions technologiques que leurs aînés.

Comme en témoigne Jean-Paul Tréguer, les générations actuelles plus âgées ont des habitudes de consommation moins ancrées, puisqu’elles ont été influencées par un contexte économique difficile durant leurs jeunes années (Tréguer, p. 92, 2007). Aujourd’hui retraitée, la génération du baby-boom impose un « profil culturel de la nouvelle vieillesse » (Pecolo, p. 31, 2011), changeant radicalement les représentations et les paradigmes du vieillissement : elle est plus consommatrice, plus au fait des technologies et en meilleure santé que les générations précédentes. Ces « nouveaux vieux à l’esprit jeune » (Pecolo, p. 23, 2011), représentent un profil inédit de retraités. Ils tendent à faire évoluer les représentations sociales, tant liées à l’âge qu’à l’usage des technologies numériques, et ce de manière profonde, permanente et, surtout, irréversible.

1.3 Diffusion des usages : une appropriation inégale des

technologies numériques

Les générations nées avant le baby-boom, n’auraient pas disposé de la même acculturation aux technologies numériques que celle dont nous venons d’esquisser le portrait. Aux vues des résultats quantitatifs exposés ci-avant, nous avançons l’idée que ces générations d’individus n’ont que peu profité de la diffusion massive du numérique de la fin du XX siècle. «ᵉ Il est indispensable de réaffirmer que l’appropriation et l’utilisation des dispositifs techniques sont toujours le fait d’agents sociaux historiquement et personnellement situés. […] Ces singularités collectives structurent leur relation au monde et donc conditionnent aussi leur envie, leur manière ainsi que leur capacité pratique à faire usage des TIC » (Granjon, p. 31- 32, 2009). Ainsi, l’appropriation des technologies numériques n’est pas seulement le fait d’un individu isolé, mais s’inscrit dans un contexte historique et socioculturel propre à une époque, lequel conditionne le rapport des individus au monde et, en l’occurrence, leurs rapports aux outils techniques.

Nous suggérons une inégale initiation des groupes de retraités aux technologies numériques, dans le milieu de l’entreprise. « Sans doute la socialisation [des classes favorisées aux outils numériques] en milieu professionnel leur a-t-elle permis d’en découvrir les potentialités, et donc d’entrevoir le profit [que l’usager peut] en tirer » (Granjon, p. 94, 2009). Les opportunités de formation auraient favorisé l’acculturation d’individus occupant des postes élevés dans la hiérarchie, au détriment de ceux occupant des postes de moindre importance.

En conséquence, ces formations auraient créé une inégalité sociale dans la diffusion des technologies numériques. À ceci s’ajoute, toujours d’après notre idée initiale, un phénomène de simultanéité entre, d’une part, la démocratisation de l’usage des technologies numériques en entreprise et, d’autre part, le départ à la retraite des personnes actuellement âgées de plus de 76 ans35. « Le contexte professionnel de fin de carrière » (Bourdeloie & Boucher-Petrovic,

p. 144, 2014) serait déterminant dans l’appropriation des technologies numériques. La diffusion de ces dernières serait plus aisée chez les actuels retraités ayant bénéficié d’une initiation professionnelle durant les dernières années de carrière. Le rôle de la formation semble déterminant dans la diffusion des usages, puisqu’une personne arrivant à la retraite avec peu ou pas d’acculturation serait moins disposée à entrevoir les intérêts de s’équiper en technologies numériques.

1.4 Modèle centré « Partage »

La question du maintien du lien intergénérationnel est au centre des problématiques sociale et politique attachées aux retraités. Cette question est d’autant plus prégnante dans le contexte socioculturel actuel : éclatement des familles, éloignement des proches, fortes mobilités estudiantines et professionnelles, etc. Les innovations de la Silver Économie axées sur le lien social exploitent cette dimension sociale des usages. Les industriels multiplient les objets et les offres techniques destinées au maintien des liens sociaux des retraités avec les proches.

Ce constat est d’autant plus prégnant lorsque l’on considère, comme Fabien Granjon, que « la vieillesse est l’âge des relations de parenté » (Granjon, p. 65, 2009). Les individus, arrivés à

l’âge de la retraite, tendraient ainsi à investir le champ des relations intergénérationnelles auprès de leurs proches. « La sociabilité des anciens se resserre sur les relations de parenté, d’où leur attirance pour les médias qui favorisent les échanges intergénérationnels » (Pecolo, p. 30, 2011). Si, il y a peu de temps encore, les rencontres en face à face ou l’usage du téléphone prédominaient, nous avançons l’idée que la volonté de maintien des liens avec le noyau dur des relations sociales serait l’un des principaux moteurs de l’appropriation des technologies numériques. « En portant un intérêt sur les contextes sociaux d’usages, notamment à travers le prisme des relations grands-parents/petits-enfants […] le rapport aux nouveaux médias s’inscrit dans une perspective relationnelle. Les TIC […] contribuent […] à tirer un trait entre les [générations] » (Le Douarin, p. 254, 2012).

Les usages sociaux sur le Web, par le biais de plateformes telles que Facebook ou Skype, sont fortement développés par les jeunes générations, notamment celles allant de 12 à 30 ans. La littérature en sciences de l’information et de la communication connaît de très nombreux ouvrages traitant de ce sujet. Les études du CREDOC montrent également un taux d’équipement et d’usage social des technologies numériques dépassant les 90 % chez les jeunes générations (CREDOC, p. 34, p. 53, p. 57, 2015). Or, ces dernières représentent également les enfants et/ou les petits-enfants des retraités, dont il est question dans cette étude. Nous supposons que, dans un contexte de fort investissement du Web social par les descendants, les personnes retraitées, par mimétisme, tendent à s’adapter à ces nouvelles formes de maintien de lien social. Elles développeraient ainsi des usages similaires à ceux de leurs enfants et/ou de leurs petits-enfants, dans une volonté de socialisation et de maintien du lien intergénérationnel. Ainsi, motivés par leur volonté de maintien des liens sociaux, les retraités s’adaptent aux usages sociaux numériques de leurs proches et tendent, ainsi, à s’approprier les technologies numériques.

2 Sphère numérique et attentes sociales

2.1 État des lieux sur la sociabilité à l’âge de la retraite

« Tout vieillissement est à situer dans un contexte socio-économique, culturel, familial, individuel, à comprendre par rapport à l’histoire d’un sujet sans cesse en développement » (Rascle & Bouisson, p. 3, 2011). La vieillesse tend à porter une valeur individuelle forte, le processus de vieillissement pouvant être compris en portant attention aux trajectoires et aux contextes propres à chaque individu. Dans le même temps, chaque civilisation, en fonction de ses influences idéologiques et historiques, envisage différemment le processus de vieillissement. Ainsi, dans les civilisations orientales, comme au Vietnam, où l’aîné est respecté pour son âge, incarnation de la sagesse et de l’expérience (Vion & Brisset, p. 57-66, 2011). La compréhension et le vécu du vieillissement dépendent donc du plan individuel, puisqu’il dépend des trajectoires individuelles, mais également du plan collectif puisque son vécu et sa considération dépendent de la civilisation dans laquelle il prend place.

Dans les systèmes occidentaux, contrairement à l’exemple ci-dessus, les personnes vieillissantes sont quelque peu déshumanisées, au profit des problématiques économiques et sociales qui incombent à cette classe d’âge : paiement des retraites, gestion de l’autonomie, gestion des personnes dépendantes, etc. Les représentations sociales, en conséquence, se forment autour de ces approches et sont majoritairement négatives envers le vieillissement, avec la « litanie des dé- » (Bouisson, p. 67, 2011) : déprise, démence, décrépitude, etc. « La question du vieillissement est souvent traitée comme un fardeau social et économique à gérer » (Lagacé, Laplante & Davignon, p. 98, 2011), aussi bien pour les familles que pour la société en général. Dans cette vision priment les intérêts généraux du pays et du collectif, au point d’oublier que derrière les mots « vieillissement », « vieux » et « personnes âgées » se trouvent une multiplicité de situations sociales, de profils, de sensibilités, de trajectoires individuelles, en somme : d’êtres humains.

La littérature scientifique, notamment en sciences de l’information et de la communication et en sociologie du vieillissement, laissent entrevoir les effets de ces représentations collectives négatives du vieillissement. Elles investissent également la notion capitale de la gestion des

sociabilités à l’âge de la retraite. « La vieillesse reste toujours redoutée et majoritairement vécue comme un temps d’exclusion sociale » (Rascle & Bouisson, p. 31, 2011). Nous retrouvons ce constat chez de nombreux auteurs spécialisés sur la question du vieillissement : Guérin, Caradec, Chamahian, Rivière, Brugière, Pecolo, Bahuaud, etc.

« Dans l’emploi, les individus se définissent par rapport à un ensemble de dimensions liées au contenu du travail, au prestige éventuel du métier ou de la profession, voire du statut au niveau du revenu, à la qualité des relations sociales » (Boboc & Metzger, p. 47, 2013). L’occupation professionnelle est vectrice des jalons identitaires forts : statut occupé dans l’entreprise, niveau salarial, réseau professionnel, reconnaissance des compétences, etc. L’arrivée à la retraite pourrait ainsi apparaître comme une étape décisive du point de vue identitaire. L’individu doit alors faire face à sa dépossession d’éléments identitaires forts. Nous envisageons ces derniers aussi bien dans un contexte de rapport positif au travail (satisfaction de la carrière menée, reconnaissance par les pairs, etc.), que dans un rapport négatif à ce dernier (insatisfaction de la carrière menée, sentiments négatifs envers le poste occupé, manque de reconnaissance, pénibilité de l’emploi, etc.). Ainsi, un individu pourrait aussi bien être soulagé par cette entrée dans l’âge de la retraite, qu’être inquiété par la perte de ses jalons identitaires professionnels.

« Le passage de l’activité professionnelle à la retraite conduit à une importante réorganisation de l’existence » (Caradec, p. 85, 2011). Ceci s’applique d’autant plus lorsqu’on l’on tient compte de l’allongement de la vie en bonne santé. La retraite est alors porteuse de potentialités d’investissements, laissant possible l’élaboration d’un projet de vie. Le passage à la retraite est « un moment de réinterprétation possible des acquis du passé, de prise de distance par rapport au présent et de bifurcations du parcours de vie en vue d’un avenir repensé, émancipé » (Boboc & Metzger, p. 45, 2013). La retraite offre aux individus la possibilité de repenser le rapport au passé et, de ce fait, le rapport à soi. Prolonger l’expérience, entrer en rupture avec son passé, développer des projets laissés de côté durant la vie active, investir les liens de sociabilité, sont autant de voies possibles pour le développement d’un projet de vie à la retraite.

Il existerait ainsi divers enjeux forts liés à la retraite : gérer la transition identitaire, gérer les liens sociaux, construire un projet de vie, etc. Nous envisageons notre présente hypothèse

dans un contexte d’interpénétration de ces trois dimensions. La transition identitaire se ferait ainsi en s’appuyant sur la dimension sociale, au sein de l’élaboration d’un projet de vie de retraité(e), en continuité ou en rupture avec la vie et l’identité passées.

Nous pouvons ainsi envisager les usages numériques de nos retraités comme des « pratiques visant plus ou moins directement à permettre à un individu de prendre en charge un besoin social n’ayant pas trouvé de réponses par ailleurs » (Chambon, David & Deverey, p. 8, 1982). Comme évoqué précédemment, les enquêtes scientifiques mettent en exergue la notion d’exclusion sociale à l’âge de la retraite. Effectuer de nouvelles rencontres, rester en lien avec les proches, les amis et les anciens collègues, sont des problématiques prépondérantes dans le maintien des retraités dans l’univers social. Or, les opportunités d’interactions et de liens sociaux perdent de leur intensité. Les attentes sociales des retraités ne peuvent toujours trouver réponse dans leur environnement quotidien.

Les technologies numériques semblent être en mesure de répondre à ces besoins, à ces attentes. En témoignent les résultats du CREDOC pour l’année 2015 concernant les activités des retraités sur les réseaux sociaux, avec, comme principal usage, le maintien des liens sociaux (CREDOC, p. 161, 2015). Les plateformes numériques sembleraient s’imbriquer dans la stratégie sociale et identitaire des usagers à la retraite.

Nous envisageons notre hypothèse d’intégration des technologies numériques dans les attentes sociales selon deux points de vue. La première vision s’attache aux populations dont les attentes sociales s’orientent davantage dans une démarche de continuité entre la vie passée et la vie à la retraite. La seconde vision appréhende les groupes d’usagers intégrant les technologies numériques dans un processus de rupture identitaire, au sein du quel les attentes sociales se structurent autour d’une volonté de changement et de réinvention du soi social.

2.2 Les technologies numériques comme moteur de rupture

identitaire

Le désamour et l’abandon social seraient, de notre point de vue, moteur d’usages de rupture identitaires. Nous avons, dans l’hypothèse précédente, insisté sur la fonction identitaire de la vie active. Cette période de la vie conditionne effectivement un grand nombre d’éléments

identitaires. Le ressenti de la vie dépend de « différentes formes de capitaux accumulés tout au long du parcours biographique (santé, compétences et relations professionnelles, structure familiale) » (Boboc & Metzger, p. 44, 2013). Or, un parcours biographique n’amassant pas ces capitaux pourrait être vécu comme décevant et amener l’individu à tenter de se détacher de ce parcours insatisfaisant, en développant de nouvelles attentes sociales et de nouveaux usages sociaux.

Dans un contexte de faiblesse du lien social et des opportunités d’engagement, les technologies numériques apparaîtraient comme une solution à la fois efficace et pratique pour réinvestir ces champs. « Pour transformer [les tensions] en dynamique de constructions identitaires (reconnaissance de sa propre valeur), les individus ont recours à des repères temporels flexibles, notamment, en développant des usages raisonnés des TIC » (Boboc & Metzger, p. 42, 2013). Par la multiplicité de ses offres et de ses services, les technologies numériques permettraient de répondre à une attente sociale et, surtout, aideraient à (re)donner un sens au quotidien de l’usager. Effectivement, l’anonymat du Web permettrait une mise en abyme de l’identité « physique », « réelle », au profit d’une identité « numérique » permettant à l’usager de façonner une image qui corresponde à ses attentes, tout en tentant de satisfaire ses attentes sociales, par le biais des plateformes spécialisées. « La capacité à inventer de nouvelles combinaisons de sens » (Boboc & Metzger, p. 42, 2013) verrait sa mise en action à travers les usages numériques, qui offriraient une alternative au monde physique et à son manque d’opportunités. L’individu serait ainsi en mesure de recomposer, de recombiner les différents éléments de sa vie afin de parvenir à façonner une image de lui-même qui le satisfasse. Ceci permettrait de résoudre la tension de l’identité, entre « être et avoir été », dans le but d’entrer dans un « rapport positif à soi » (Caradec, p. 89, 2011).

2.3 La continuité biographique à travers les usages en ligne

« La mémoire établit un lien entre passé, présent et futur » (Attias-Donfut, p. 179, 1988). Cette notion de mémoire est particulièrement importante dans le contexte de notre étude. Si le lien établi par la mémoire peut pousser des individus vers une rupture identitaire, il peut, au

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