• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 6 - DISCUSSION GENERALE

3. E VOLUTION PEDOGENETIQUE A MOYEN ET LONG TERME DES SOLS CONSTRUITS

3.2. Hypothèses d’évolution des sols construits

En se basant sur notre approche de modèle formel qui permet de décrire un sol construit comme un ensemble de compartiments interagissant entre eux, nous pouvons émettre des suppositions sur l’évolution probable des différents paramètres (Figure 76).

3.2.1.EVOLUTION DES PHASES MINERALES

Les résultats des tests en colonne nous permettent d’affirmer de manière assurée qu’à court terme (dizaine d’années) les minéraux « fragiles », comme le gypse et les sels comme la halite, seront entièrement altérés et lixiviés. Nous pouvons supposer qu’une part significative de la silice amorphe devrait connaître la même évolution à moyen terme. Cependant, cette évolution va dépendre des modifications des conditions physico-chimiques au sein des profils. Si l’altération de cette phase siliceuse a été, durant la période de suivi, la plus intense dans la modalité « témoin », l’acidification progressive de ce profil, qu’aucun pouvoir tampon ne va contrarier (comme dans les deux autres modalités), peut ralentir ce phénomène ou du moins le réduire progressivement à la partie basse du sol. Dans les modalités « éponge végétale » et « profil élémentaire + confinement », ces conditions risquent de faire évoluer la silice, mobilisée depuis les phytolithes ou résultant de l’altération des silicates, en gels silico-alumineux insolubles qui empêcheraient toute perte de silice (Duchaufour, 1983). Dans ce cas, nous pouvons nous interroger sur la possibilité de néoformations de phyllosilicates (en l’occurrence kaolinite). Ce processus extrêmement discuté (Tardy, 1969 ; Duchaufour, 1983) serait de toute façon limité, à moins que le pH n’ait baissé drastiquement.

En faisant l’hypothèse d’une alternance de phénomènes de réduction et d’oxydation à cause de conditions d’hydromorphie ponctuelles, le Fe provenant des oxydes continuera, à court et moyen terme, à subir des transferts essentiellement sur de très faibles distances (mouvements inter-agrégats), et sera plus rarement lixivié hors des profils.

La décarbonatation des profils va se poursuivre dans le temps à une vitesse potentiellement légèrement croissante au fur et à mesure que le pH baissera. D’après nos calculs, de 1 à 3 % de la calcite présente dans les

de suivi, en intégrant l’évacuation de l’eau résiduelle fortement chargée en carbonates. Partant de là, une prospective sommaire indiquerait que le délai d’altération de l’ensemble de cette phase sera supérieur à 100 ans selon une intensité croissante dans le temps (Figure 76). L’évaluation du délai nécessaire pour achever le même processus dans le profil « témoin » est différente et plus complexe. En effet si la quantité de carbonate est plus faible, les conditions initiales (pH élevé, saturation de la solution en CaSO4) dans ce sol ont conduit à une réaction très limitée et seul 0,5 % de la calcite aurait été dissoute pendant cette période. Sachant que le pH semble décroître régulièrement dans le temps selon un front qui prend naissance en surface, nous pouvons supposer que les carbonates vont subir des réactions de dissolution / reprécipitation au long du profil, avant que les produits de l’altération puissent être évacués du profil. Ce processus qui pourra être plus court dans le temps que pour les autres modalités devraient tout de même durer plusieurs dizaines d’années.

3.2.2.EVOLUTION DES MATIERES ORGANIQUES

Après 3 années d’évolution, les matières organiques du compost sont majoritairement stabilisées. Nous avons vu que le rapport C/N avait significativement baissé, pour se rapprocher de celui d’un humus forestier et les observations ont montré que la fraction grossière, qui était initialement peu dégradée, a été largement fractionnée et minéralisée par l’activité biologique. En conséquence, le compost devrait connaître une évolution contrôlée principalement par le climat (évolution cyclique de l’activité des micro-organismes) et les apports de matières organiques fraîches par la végétation proche de l’équilibre.

Même imparfaite, notre connaissance de la composition en matières organiques de la terre industrielle traitée nous laisse à penser qu’elles sont fortement condensées et qu’elles devraient par conséquent connaître une évolution limitée. Cependant, l’alimentation en Corg soluble depuis le compost, puis la redistribution au sein de l’horizon pourraient se poursuivre jusqu’à ce que les conditions physico-chimiques (en particulier la baisse du pH) limitent ces mouvements.

Il n’est pas aisé de pronostiquer la nature de l’évolution qui va toucher les matières organiques du sous-produit papetier pur. En effet, elles sont en théorie susceptibles d’être fortement dégradées par les micro-organismes mais, d’une part, l’imbrication des phases organiques et minérales diminue fortement son accessibilité et, d’autre part, les conditions au sein des horizons hydrique et de confinement ne sont pas optimales pour favoriser l’activité biologique et donc la minéralisation. Donc, nous pouvons supposer qu’elle va connaître une période de relative stabilité à court et moyen terme, de manière similaire à ce qui a été observé sur les sites historiques (Annexe 1) (Figure 76). Pour l’horizon de mélange, la situation est plus complexe. L’action des végétaux entraînera, par le biais d’une structuration avancée et de l’altération des phases carbonatées, une augmentation de la disponibilité de cette matière organique qui sera susceptible d’être minéralisée. Même si le taux de minéralisation sera en théorie croissant dans le temps, les teneurs initiales en matières organiques étaient très élevées.

3.2.3.EVOLUTION DE LAGENCEMENT

d’évolution brutale et suivre simplement les modifications entraînées par les évolutions des phases minérales et organiques. Le processus attendu devrait être la poursuite de la structuration des sols à l’échelle de l’agrégat et de la motte en conduisant, après la baisse de la macro-porosité, à une augmentation de la méso et de la micro-porosité (Rossignol, communication personnelle).

Un phénomène d’accumulation relative de particules fines à la base des horizons ou des profils a été constaté. Ce mécanisme a eu pour origine l’équilibrage initial, mais également l’altération physico-chimique des particules grossières. Nous pouvons supposer qu’avec l’acquisition progressive d’une structure complexe, les transferts de particules devraient se limiter. Par conséquent jusqu’à ce que les sols construits aient connu une décarbonatation complète l’évolution texturale devrait être limitée et continue, car la phase argileuse sera fortement floculée par la présence de Ca. Au-delà, nous pouvons supposer que les argiles vont connaître un transfert au sein du profil, comme cela est observé dans les sols lessivés.

Cependant, ces modifications physico-chimiques envisagées ne prennent pas en compte les transformations initiées par l’activité biologique. En effet, une implantation croissante de terriers et des phénomènes de bioturbation de plus en plus nombreux ont été observés et devraient se poursuivre. Nous pouvons suggérer que ces mécanismes vont engendrer en premier lieu une redistribution de particules entre les matériaux constitutifs des différents horizons, mais également dans une certaine mesure, certains écoulements préférentiels. En ce qui concerne l’incorporation de matériaux différents au sein des horizons, dans l’état actuel de nos connaissances, nous ne pouvons pas en évaluer les conséquences.

3.2.4.EVOLUTION DE LETAT HYDRIQUE

Les premiers stades de la pédogenèse des sols construits se sont traduits par une évolution rapide du fonctionnement hydrique. La première phase correspondait en quelque sorte à une mise en eau du système pour atteindre la capacité au champ du sol, ensuite nous avons observé une baisse sensible de la réserve en eau utile à la suite du tassement des sols. Faisant suite à la structuration évoquée ci-dessus la réserve en eau utile devrait augmenter à nouveau (Gros et al., 2004). Ensuite, dans une large mesure, les sols construits seront stabilisés, ainsi que leur état hydrique. La prospective nous amène à supposer que : dans le cas de la modalité « témoin » le sol restera très filtrant ; en ce qui concerne la modalité « éponge végétale », la fréquence des phénomènes d’hydromorphie baissera et l’horizon sous-jacent de sous-produit papetier jouera un rôle de réserve hydrique

durant plusieurs dizaines d’années (Figure 76) ; de la même manière le confinement devrait demeurer efficace

pendant une large période de temps. Cependant pour être plus affirmatif sur ces deux fonctionnalités, des études plus poussées seraient nécessaires.

3.2.5.EVOLUTION DE LACTIVITE BIOLOGIQUE

Selon l’itinéraire technique qui a été appliqué sur le dispositif expérimental in situ, nous avons pu constater 3 phases de développement végétal : i) développement spontané de graines contenues dans les matériaux parents, ii) semis et développement d’espèces choisies Poacées / Fabacées, iii) dissémination et implantation durable d’espèces locales. La dynamique d’évolution envisagée tendrait à une augmentation des espèces végétales et animales locales. Ce processus devrait se poursuivre nettement jusqu’à un appauvrissement des

ressources nutritives des sols construits, à ce moment une baisse progressive de la densité et de la diversité biologique pourrait être observé.

Figure 76 : Processus pédogénétiques observés et envisagés du sol construit « éponge végétale »

3.2.6.PROCESSUS PEDOGENETIQUES

Une fois la décarbonatation entièrement achevée, deux cas de figures peuvent se présenter en fonction des modalités considérées.

D’un côté les modalités « éponge végétale » et « profil élémentaire + confinement » au sein desquelles les quantités théoriques d’argiles minéralogiques seraient suffisantes pour permettre un processus de brunification. L’association intime d’oxydes de fer hydraté, d’humus et d’argiles dans un complexe absorbant floculé pourrait alors être intervenir de manière similaire à ce qui est observé dans les sols naturels. Au-delà, des phénomènes de lessivage d’argile pourraient avoir lieu, une fois le Ca évacué, qui conduirait à une différenciation drastique en sous-horizons au sein de l’horizon de mélange notamment. Nous pouvons alors supposer l’émergence d’un profil typique de sol brun lessivé. L’horizon de surface de type A constituerait, d’une part, le reliquat de l’horizon de compost et, d’autre part, le reflet du fonctionnement du sol. L’horizon de mélange sous-produit papetier / terre industrielle traitée pourrait donner naissance à 2 sous-horizons principaux que nous nommerions, par défaut, E et (BT) pour décrire le phénomène de lessivage qui interviendrait au sein du profil. Enfin, nos résultats suggèrent

solubilisation de la halite solubilisation de la silice amorphe échange d’ions

solubilisation du gypse

solubilisation de la calcite solubilisation des oxydes de fer

tassement

structuration / agrégation lessivage d’argiles

prospective

t0 t1an t2ans t3ans

échelle de temps in te n s it é d e s p ro c e s s u s t100ans

que les horizons de sous-produit papetier, chaulé ou non, seront présents pendant une période de temps supérieure à 100 ans, nous pouvons les nommer Ma (a pour anthropique). Un sol brun lessivé présentant un profil de type A/E/(BT)/Ma correspondrait alors à l’évolution probable de ces deux modalités de sols construits. N’ayant pas pu identifier d’argiles minéralogiques dans la terre industrielle traitée, le compost de déchets verts constitue la seule source d’alimentation en phases argileuses de la modalité « témoin ». Ce déficit contrarie une évolution simple de type brunification / lessivage comme dans le cas précédent. Bien que l’alternative logique serait que ce sol, une fois la décarbonatation achevée et présentant alors une large proportion de quartz, subisse une podzolisation progressive. Mais, cette hypothèse est conditionnée à la fois par les teneurs en cations lourds comme le Fe, potentiellement libérés par les oxydes, et par une perméabilité adaptée (Duchaufour, 1970) et il est probable que le Fe se complexe avec les molécules humiques provenant de l’horizon supérieur et empêchant ainsi la podzolisation. Cette complexation pourrait alors donner naissance à une pseudo-brunification. Un travail supplémentaire est nécessaire pour évaluer plus préciser les processus qui toucheraient ce matériau parent original sans équivalent direct dans la nature.

3.2.7.EVOLUTION DU NIVEAU DE FONCTIONNALITES DU SOL CONSTRUIT

Nous avons constaté durant les 3 premières années de suivi une augmentation sensible de la fertilité globale des sols construits. En effet, la fertilité chimique était initialement élevée (fortes concentrations en Corg et en nutriments majeurs) et les teneurs en Ntot ont augmenté. La fertilité physique a globalement augmenté du fait du tassement des sols construits, qui a permis une meilleure implantation des racines, et des phénomènes d’agrégation.

Par la suite, compte tenu du stock d’éléments apportés par les matériaux parents, la fertilité chimique devrait rester stable pour plusieurs décennies et décroître légèrement une fois la décarbonatation achevée (lixiviation des cations majeurs). Une inconnue subsiste et concerne la concentration en Nminéral. Elle a augmenté jusqu’à présent, par l’activité fixatrice de la luzerne et son évolution va maintenant dépendre largement de l’activité biologique. La fertilité physique devrait logiquement augmenter encore sensiblement avec la structuration du sol, mais au fur et à mesure de la décarbonatation et de la minéralisation des matières organiques, le volume de sol devrait diminuer, alors que la densité apparente augmentera pouvant rendre plus difficile l’exploration par les racines. Pour un usage de végétation extensive, un seuil critique pourrait potentiellement être atteint à cause d’un déficit de volume de sol explorable par les racines, dans plusieurs dizaines d’années.