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Hypothèse spécifique à la complexité

Chapitre 1. Contexte théorique

1.4 Hypothèse spécifique à la complexité

Suivant les multiples observations confirmant la présence d’un traitement perceptif atypique dans l’autisme, des hypothèses plus spécifiques ont été élaborées. En effet, le modèle EPF décrit les particularités perceptives, sans toutefois proposer d’explications neurofonctionnelles sous-jacentes. Des études plus spécifiques servent donc à proposer des liens entre certains comportements atypiques et les mécanismes cérébraux les sous-tendant. Bien que les particularités de la perception semblent se retrouver à travers les différents niveaux de traitement dans l’autisme, c’est l’observation d’une dissociation de performance au sein de la perception visuelle de bas niveau qui a motivé la formulation de l’hypothèse spécifique à la complexité (« Complexity-specific hypothesis »; Bertone et al., 2005).

Spécifiquement, Bertone et ses collaborateurs (2005) ont observé que les personnes autistes obtiennent des performances supérieures pour discriminer l’orientation (horizontale ou verticale) de stimuli statiques de premier ordre (réseaux définis par la luminance, Figure 3A) et inférieures pour les stimuli statiques de deuxième ordre (réseaux définis par la texture, Figure 3A) par rapport à un groupe d’individus non autistes (Figure 3B).

Figure 3. (A) Exemple de réseaux de premier (gauche) et deuxième ordre (droite); (B) Seuil de discrimination de l’orientation des stimuli de premier (gauche) et deuxième ordre (droite) dans le groupe autiste (bandes blanches) et dans le groupe non autiste (bandes noires).

Premier-ordre Deuxième-ordre

Tel que précédemment expliqué, ces deux types de stimuli peuvent être définis comme étant, respectivement, simples et complexes en regard de l’étendue du réseau cortical requis pour les traiter. En effet, les mécanismes opérant au niveau de l’aire visuelle primaire (V1) suffisent à décoder les attributs de premier ordre, tandis que des opérations supplémentaires au niveau des régions non primaires V2 et V3 sont nécessaires pour analyser les attributs de deuxième ordre (Chubb & Sperling, 1988; Berton et al., 2003). Ainsi, les auteurs ont proposé l’hypothèse selon laquelle la capacité de traitement de l’information visuelle de bas niveau dans l’autisme puisse être dissociée selon l’étendue du réseau cortical impliqué. Cette hypothèse propose que les personnes autistes obtiennent des performances inférieures à celles des non autistes pour traiter les stimuli nécessitant l’implication d’un réseau d’aires corticales pour être entièrement décodés (i.e. V1, V2 et V3). Inversement, leur performance serait supérieure à celle des non autistes pour traiter des stimuli pouvant être entièrement décodés via des mécanismes limités au sein d’une région corticale fonctionnelle restreinte (i.e. V1).

Selon le modèle de Bertone et al. (2005), la complexité est définie en fonction d’un traitement hiérarchique de l’information visuelle, soit une limitation du traitement de stimuli simples au niveau des aires visuelles primaires et une extension de la réponse aux régions non primaires en réponse à des stimuli complexes. Un traitement fonctionnel hiérarchique de l’information sensorielle représente donc un postulat à la base de la formulation de l’hypothèse de la complexité.

Investigation des mécanismes

Deux avenues d’interprétation n’étant pas mutuellement exclusives ont été élaborées pour tenter d’expliquer la dissociation de performance observée pour le traitement de l’information visuelle de bas niveau dans l’autisme, soit des différences au niveau de mécanismes microscopiques (neuronaux) et macroscopiques (relation entre régions corticales).

Au niveau neuronal, les auteurs ont suggéré qu’une connectivité atypique au sein du système sous-tendant le traitement de l’orientation de stimuli visuels chez les autistes pourrait entraîner la dissociation de performance observée. Considérant que la capacité de détection de l’orientation au niveau de l’aire visuelle primaire (V1) est principalement

dépendante des interactions (connections) entre les colonnes de neurones (Andrews, 1965), un changement dans ces interactions pourrait affecter cette capacité. Les auteurs suggèrent que l’inhibition latérale soit le processus impliqué dans une telle dissociation. Chez les autistes, l’idée a d’abord été suggérée par Gustafsson (1997) qui propose qu’une organisation atypique des circuits neuronaux, principalement liée à une inhibition latérale excessive, pourrait expliquer les capacités supérieures de discrimination ainsi que les réponses atypiques à certains stimuli sensoriels. De manière plus spécifique, il propose qu’une augmentation de l’inhibition latérale au sein de l’aire visuelle primaire dans l’autisme puisse définir de manière plus circonscrite la réponse de chacune des colonnes de neurones à une orientation donnée. Ainsi, les autistes montreraient une capacité supérieure pour détecter l’orientation d’un stimulus et pour discriminer des différences d’orientation entre deux stimuli.

Considérant que les colonnes d’orientation de V1 sont spécifiquement sensibles aux changements de luminance (premier ordre; Chubb & Sperling, 1988), la détection de l’orientation des réseaux de premier ordre, comme ceux utilisés dans l’étude de Bertone et al., (2005), peut être réalisée au sein d’une colonne de neurone répondant à une orientation donnée. Une inhibition latérale excessive dans l’autisme entraînerait une sélectivité plus précise des colonnes à une orientation spécifique et, donc, des performances supérieures pour discriminer l’orientation des stimuli définis par la luminance. Par contre, la présence de connections latérales atypiques au sein de V1 pourrait entraver la capacité de discrimination de l’orientation de stimuli de deuxième ordre (définis par la texture) dont l’analyse requière une deuxième étape de traitement à une échelle spatiale plus grossière (V2/V3), et donc un circuit de connections neuronales plus complexe (Chubb & Sperling, 1988). La détection de l’orientation de tels stimuli nécessite une intégration de l’information analysée par des colonnes de neurones adjacents (Field, Hayes, & Hess, 1993). Ce processus pourrait être plus difficile à mettre en place si la réponse des colonnes à une orientation donnée est très spécifique étant donné que l’information devra être intégrée à travers un plus grand ensemble de neurones. En somme, Bertone et al. (2005) suggèrent que le même mécanisme, une inhibition latérale excessive au niveau de neurones du cortex visuel primaire, sélectif à l’orientation de stimuli définis par la luminance, entraîne deux conséquences inverses : une meilleure discrimination de ce type de stimuli

(premier ordre), ainsi qu’une entrave au traitement de stimuli plus complexes pour lesquels un réseau entre les aires primaires (V1) et non primaires (V2/V3) doit être mis en place. Récemment, des évidences empiriques supportant l’hypothèse de connections neuronales atypiques sous-tendant le traitement atypique de l’information visuelle de bas niveau ont été rapportées (Keita, Mottron, & Bertone, 2010; Vandenbroucke, Scholte, van Engeland, Lamme, & Kemner, 2008).

Au niveau du traitement cortical plus global, ou macroscopique, une des hypothèses de l’origine de la dissociation de performances rapportée par Bertone et al. (2005) stipule que les aires visuelles impliquées dans la réalisation de la tâche pourraient être plus efficaces en isolation qu’en synchronie. Selon cette hypothèse, les meilleures performances des autistes pour traiter les stimuli statiques de premier ordre pourraient s’expliquer par le fait que le traitement de ces stimuli n’implique que l’aire visuelle primaire V1. Inversement, les performances inférieures des autistes pour discriminer l’orientation des stimuli statiques de deuxième ordre pourraient provenir du fait que le traitement de ces stimuli implique des connections entre les régions visuelles primaire (V1) et non primaires (V2, V3). Une telle hypothèse est supportée par divers résultats démontrant une diminution de la connectivité fonctionnelle, par exemple entre les aires visuelles extra-striées (V3) et le sulcus temporal supérieur chez les autistes pendant la réalisation d’une tâche d’attribution d’états mentaux (« theory of mind ») bien que l’activation au niveau des aires visuelles extra-striées ne soit pas réduite (Castelli, Frith, Happe, & Frith, 2002). Les auteurs proposent que la région plus spécialisée pour la réalisation de la tâche (i.e. sulcus temporal supérieur) ne reçoive pas l’information nécessaire des régions corticales en amont (i.e. aires visuelles extra-striées) qui traitent les aspects les plus élémentaires des stimuli, ce qui expliquerait la réduction de l’activation au niveau plus spécialisé, mais l’activation typique des aires perceptives. Dans une autre étude, Just et ses collaborateurs (2004) rapportent que, chez les personnes autistes, il y a une réduction de la synchronie fonctionnelle (mesure de la corrélation entre le décours temporel de la réponse au sein des différentes régions cérébrales) entre des paires de régions impliquées dans le traitement syntaxique. Les auteurs ont donc suggéré une théorie proposant une baisse de la connectivité entre les différentes régions cérébrales dans l’autisme (« underconnectivity hypothesis »). Bien que les résultats soutenant cette hypothèse portent sur des processus cognitifs complexes (ex.

langage, attribution d’états mentaux), il est possible de penser que cette baisse de communication entre les régions puisse aussi se retrouver au sein des processus perceptifs de bas niveau.

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