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PARTIE 4 HIPPOCAMPE ET DEPRESSION

2. Mécanismes physiopathologiques

2.1. Hypercortisolémie et atrophie neuronale hippocampique

Les patients présentant une dépression sévère ont, par rapport aux sujets sains, une cortisolémie élevée, ainsi que des variations nycthémérales de cortisol peu importantes. Cette découverte a conduit à développer le Dexamethasone Suppression Test (DST). Ce dernier reflète la fonctionnalité de l’axe Hypothalamo-Hypophyso-Surrénalien (HHS), et pourrait être un marqueur de dépression (Carroll et coll. 1968). Une résistance au DST (non-suppression au DST, soit des taux plasmatiques de 11-hydroxy-corticosteroid (11-OHCS) non abaissés après administration de Dexaméthasone) serait corrélée à la sévérité de la dépression, alors que la rémission d’une dépression serait associée à un retour à une réponse normale au DST (Carroll et coll. 1981 [26] ; Fink M. 2005 [57]). En effet, l’étude de Sheline et coll. 1999 [166], précédemment détaillée au § 4.1.1, met en évidence que les patientes présentant un trouble dépressif récurrent en phase d’euthymie n’ont pas d’hypercortisolémie ou d’anomalie persistante de l’axe HHS (mais présentent malgré tout une atrophie de la substance grise de l’hippocampe qui est corrélée à la durée passée en dépression, et à la persistance de trouble de

mémoire déclarative verbale). De plus, Carroll et coll. 2007 [25], montrent que l’hypercorticisme est fortement associé au caractère mélancolique de la dépression, en étudiant 17 patients déprimés, dont 8 mélancoliques, en comparaison à 22 sujets contrôles. Des dosages des taux de cortisol et de l’hormone adrénocorticotrophine (ACTH) sont réalisés avec un cathéter toutes les 10 minutes sur 24 heures chez tous les sujets. Les patients présentant un hypercorticisme étaient 7 des 8 patients mélancoliques, et 6 patients présentant une dépression à caractéristiques psychotiques. L’étude de Yerevanian et coll. 2004 [191], va plus loin en trouvant qu’une non-suppression au DST serait également prédicteur de suicidalité (en terme de suicide et d’hospitalisation pour tentative de suicide) chez les patients déprimés unipolaires. Dans une autre étude de Coryell W. en 2001 [35] le risque suicidaire est évalué, sur une période de 15 ans, à 27 % chez les patients ayant un DST perturbé, comparé à 3 % chez les patients ayant un DST normal.

Cependant, le DST n’est pas utilisé de nos jours en psychopharmacologie clinique. Dans son éditorial de 2005, Fink M. [57] remet en question cette non-utilisation des tests neuro- endocrinologiques qui permettrait selon lui une meilleure fiabilité des diagnostics de mélancolie, ainsi qu’une meilleure orientation thérapeutique de ces patients.

L’hippocampe est la cible cérébrale la plus importante des glucocorticoïdes surrénaliens via de nombreux récepteurs. Il exerce une influence inhibitrice sur l’activité corticosurrénalienne et participe au rétrocontrôle par les glucocorticoïdes (Sapolsky et coll. 1984 [159]). Différentes hypothèses ont été émises pour expliquer le lien entre l’hippocampe et la dysrégulation de l’axe corticotrope (HHS).

Dans une étude sur des rats de Salposky et coll. 1984 [159], les auteurs observent qu’une hypersécrétion de glucocorticoïdes engendre au niveau de l’hippocampe une diminution du nombre de récepteurs aux glucocorticoïdes, et qu’inversement ce déficit en récepteurs se normalise après correction de la sécrétion de glucocorticoïdes. Leur hypothèse est qu’une exposition prolongée au stress entraînerait une perte de sensibilité aux corticoïdes des neurones hippocampiques, une diminution du nombre de récepteurs hippocampiques aux glucocorticoïdes, et bloquerait alors le rétrocontrôle négatif de l’axe HHS par l’hippocampe qui ne détecterait plus des doses élevées de cortisol. Dans une revue de la littérature de Brown et coll. 1999 [8], les auteurs font quant à eux l’hypothèse que ce serait l’atrophie de l’hippocampe qui lèverait le rétrocontrôle négatif par l’hippocampe sur la sécrétion de cortisol, accentuant ainsi l’hyper-sécrétion de cortisol.

Figure 9: Représentation de la relation entre l’hippocampe et l’axe Hypothalamo-Hypophyso- Surrénalien (HHS) dans la réponse au stress. L’activation de l’axe HHS entraîne une élévation du

cortisol et de possibles dommages au niveau de l’hippocampe. Cette atrophie de l’hippocampe interrompt l’influence inhibitrice de l’hippocampe sur l’hypothalamus, provoquant en retour une augmentation du taux de « corticotropin-releasing factor » (CRF) ou CRH sécrété par l’hypothamamus, ainsi qu’une augmentation de l’« adrenocorticotropic hormone » (ACTH) sécrétée par l’hypophyse (« Pituitary »), et du cortisol sécrété par la surrénale (« Adrenal »). (Sheline YI. 2000 [163])

L’étude de Gould et coll. 1992 [74], met en évidence que l’administration de glucocorticoïdes surrénaliens entraîne une diminution de la neurogénèse hippocampique, indiquant que l’activation de l’axe HHS et la libération de glucocorticoïdes sont à l’origine d’une sous-régulation de la neurogénèse dans la réponse au stress. D’autres études reprises dans celle de Sapolsky (2000) [157], montrent que l’exposition à un stress prolongé, c’est-à-dire à des glucocorticoïdes (sécrétés par la surrénale au cours notamment d’une dépression majeure, d’un état de stress post-traumatique, d’un syndrome de Cushing), a un effet sur l’hippocampe, en réduisant son volume par un effet neurotoxique, par le biais d’une hyperexcitation par un neurotransmetteur : le glutamate. Cela engendre alors des troubles de la neurogénèse et de la plasticité neuronale de l’hippocampe, et cliniquement des troubles mnésiques notables.

Ces troubles de la neurogénèse et de la plasticité neuronale hippocampique sont mises en évidence dans différentes études pré-cliniques. Une étude de Gould et coll. 1998 [75], s’intéresse à la prolifération des cellules granulaires de l’hippocampe chez des primates exposés à une situation de stress, afin de voir si l’inhibition de la prolifération des précurseurs des

cellules granulaires du gyrus denté suite à une exposition à un stress observée dans de précédentes études pré-cliniques chez le rat se retrouvaient chez ces singes. Les résultats montrent qu’une simple exposition à une situation stressante entraîne également une réduction significative de ces cellules précurseurs. Une étude de Czéh et coll. 2006 [37], a également examiné l’influence d’un stress psychosocial au long court sur la quantité et la morphologie des astrocytes de l’hippocampe, dans un modèle animal (« tree shrews »). Après 5 semaines d’exposition à ce stress, diverses techniques immunocytochimiques, dimensionnelles, et quantitatives ont été utilisées afin d’estimer le nombre et le volume des astrocytes hippocampiques (en s’intéressant à la « Glial Fibrillary Acidic Protein » (GFAP)). Les résultats montrent une diminution du nombre (-25 %) et du volume (-25 %) de l’astroglie, effets corrélés avec l’atrophie hippocampique induite par le stress. La plasticité de l’astroglie hippocampique en réponse au stress pourrait donc avoir un rôle dans la physiopathologie du trouble dépressif.

Précisant ces résultats, McEwen a montré dans une revue de la littérature de 1999 [123], ainsi que Campbell et MacQueen en 2004 [23], que l’hippocampe était une région particulièrement plastique et vulnérable, cible des hormones du stress. Un stress répété aurait des effets importants sur la morphologie des neurones de l’hippocampe, avec une diminution de l’arborisation dendritique et une atrophie des neurones pyramidaux de la région du champ ammonien 3 (CA3) de l’hippocampe. Un stress aigu ou chronique entraînerait une suppression de la neurogénèse des cellules granulaires dans le gyrus denté de l’hippocampe. Les glucocorticoïdes, des acides aminés excitateurs (notamment le glutamate), ainsi que les récepteurs au N-methyl-D-aspartate (NMDA), seraient impliqués dans ces deux formes de plasticité de l’hippocampe, comme nous allons le détailler dans le paragraphe suivant.

Cette atrophie sélective de l’hippocampe, en lien avec une dysrégulation de l’axe HHS, joue un rôle important dans la physiopathologie de la dépression (Sapolsky RM. 2004 [158]), notamment sévère ou à caractéristiques mélancoliques, et s’accompagne de déficits de la mémoire déclarative.

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