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Hydrosystèmes karstiques

Chapitre 5. Prévision des crues rapides du Lez à Lavalette

5.1 Hydrosystèmes karstiques

Chapitre 5

Prévision des crues rapides du Lez à Lavalette

5.1 Hydrosystèmes karstiques

Les hydrosystèmes karstiques sont des structures géomorphologiques complexes tant par leur forme que par leur fonctionnement. Ce sont des formations géologiques, dites aquifères, en raison de leur capacité à stocker et à laisser circuler d’importants volumes d’eau. En effet, ces entités hydrogéologiques sont composées de nombreux drains et cavités, permettant une infiltration rapide et un stockage important des eaux. Leur transmissivité, définie par le débit d’eau pouvant circuler dans l’aquifère, par unité de surface, sous l’effet d’un gradient hydraulique, est importante à l’échelle du système. Cette capacité influe fortement sur leur comportement hydrodynamique qui peut ainsi varier sensiblement selon l’état de remplissage de l’aquifère. Ce comportement non-linéaire, particulièrement observé lors de sollicitations pluvieuses intenses, conditionne la genèse des crues rapides sur ce type de système. Par ailleurs, l’importante capacité de stockage des systèmes karstiques ainsi que les infiltrations rapides qui s’y produisent, leur confèrent la capacité d’écrêter des crues lorsque les conditions hydriques y sont favorables, notamment en fin de période estivale en région méditerranéenne, en retirant d’importants volumes d’eau au ruissellement de surface.

Nous proposons dans cette section de présenter les éléments indispensables à la compréhension du fonctionnement d’un système karstique et des difficultés inhérentes à son étude et à sa modélisation. Le lecteur intéressé par une description plus détaillée de ces hydrosystèmes est invité à se reporter à Ford and Williams (1989), Jeannin et al. (1998) et Gilli (2011). Nous décrivons ici, de manière synthétique, les systèmes karstiques à travers 3 composantes : leur formation (i.e. la karstogénèse), leur structure hétérogène et leur fonctionnement hydrodynamique non-linéaire.

5.1.1 Karstogénèse

Les karsts sont le produit de l’érosion hydrochimique et hydraulique de formations géologiques solubles (e.g. roches carbonatées telles que les calcaires). Ces roches peu ductiles sont, dans un premier temps, fissurées sous l’effet des contraintes tectoniques. En raison de la très faible perméabilité des roches carbonatées, les précipitations s’infiltrent préférentiellement à la faveur des failles et des fractures constituant des zones de faiblesse (Bakalowicz, 2005). Les eaux précipitées, rendues acides par le dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère et les matières organiques contenues dans le sol, dissolvent la matrice soluble (e.g. la roche carbonatée). Les fractures sont ainsi peu à peu creusées pour former des réseaux de drains et des cavités. Les eaux infiltrées peuvent aussi circuler préférentiellement au niveau des joints de stratification, constituant d’autres zones de faiblesse. Les forçages climatiques jouent un rôle important dans le processus de karstification puisqu’ils fournissent au système l’eau, moteur de l’érosion souterraine, et la température, modulant les réactions de dissolution.

Notons que d’autres processus d’érosion peuvent être observés. Les karsts hydrothermaux, par exemple, sont formés par des circulations d’eau et de vapeur chaudes (i.e. autour de 40°C) riches en soufre, permettant la formation de conduits aux structures spécifiques (e.g. cheminées aux parois perlées) et à la précipitation de dépôts caractéristiques tels que du gypse et du soufre (Hobléa et al., 2010). Par ailleurs, la karstification dans la zone saturée peut se faire par érosion hydrochimique au sein de la matrice, retirant progressivement la matière soluble et laissant en place uniquement la matière peu ou pas soluble : l’altérite (Quinif and Bruxelles, 2011). Ce résidu forme alors un squelette qui conserve le volume initial de la roche et que l'on appelle fantôme de roche. Lorsque le niveau de base diminue, ce squelette, n’étant plus soutenu par l’eau, s’écroule sous son propre poids, laissant place à une cavité partiellement comblée d'altérite.

Le transport des matières dissoutes par l’eau est rendu possible par le gradient hydraulique conditionné par le gradient altimétrique entre la zone d’alimentation (i.e. zone d’infiltration des eaux) et le ou les exutoires du système. Ce gradient dépend notamment du niveau de base sensible aux oscillations eustatiques, particulièrement dans le cas des systèmes karstiques côtiers (e.g. hydrosystème du Lez). Ainsi, la crise messinienne, présentée à la Section 2.3.1, ayant touché le bassin méditerranéen il y a environ 5,5 millions d’années, a fortement impacté le développement karstique sur le pourtour méditerranéen suite à l’importante régression marine. En effet, certains des systèmes karstiques du pourtour méditerranéen, dont les aquifères étaient directement en contact de la mer, ont subi un surcreusement en profondeur engendré par la mise en équilibre des réseaux de drainage avec les nouveaux niveaux de base. A l’inverse une diminution du gradient d’altitude engendre une réduction des vitesses d’écoulement, favorable au dépôt des matières transportées par l’eau. Ces dépôts peuvent colmater des anciens drains et donc modifier la hiérarchie des circulations d’eau. La succession des phases de dépôts et d’érosion, de même que les conditions climatiques favorables ou non à la karstification, engendrent la formation d’un système karstique polyphasé, aux réseaux de drainage et de cavités particulièrement intriqués.

Enfin, la karstogenèse est un phénomène rapide à l’échelle des temps géologiques. Un karst peut se développer en quelques dizaines ou centaines de milliers d’années selon les conditions environnantes (Salomon, 1999).

5.1.2 Structure hétérogène

La karstogenèse est donc un processus dépendant d’une multitude de facteurs variables dans le temps et dans l’espace et parfois interdépendants aboutissant à la formation de structures hétérogènes complexes. Il est considéré que ces structures sont généralement constituées d’une matrice (e.g. du calcaire) stratifiée et/ou fissurée, au travers de laquelle sont formés des drains et des cavités de dimensions très variables, du millimètre à la dizaine de mètres. Les drains sont organisés selon le sens d’écoulement préférentiel des eaux qui dépend des discontinuités (e.g. fractures, joints de stratifications) et des gradients hydrauliques locaux. Les drains principaux évoluent en fonction des différentes phases de colmatage et d’érosion qui se succèdent. Ils présentent ainsi une organisation hiérarchisée et anisotrope.

Selon l’échelle spatiale considérée, la perméabilité d’un système karstique varie donc considérablement. À l’échelle de la matrice le système est très peu perméable alors qu’à plus petite échelle l’influence des différents niveaux de drains est prise en compte. Il est possible d’observer une relation entre la perméabilité du système considéré et son échelle spatiale. Mangin (1994) a ainsi montré qu’une organisation de type fractal pouvait être mise en évidence dans les systèmes karstiques. L’auteur suppose donc que la karstogenèse serait un processus global, auto-organisé.

Par ailleurs, une organisation verticale de cette structure peut être généralement observée pour les karsts de formation classique (i.e. par érosion liées aux circulations gravitaires), avec la mise en place de zones saturée et non-saturée, auxquelles peut s’ajouter un épikarst selon l’état d’avancement du processus de karstification.

L’épikarst correspond à la partie superficielle du système qui est paradoxalement la moins bien identifiée. Il est généralement défini comme une zone de forte porosité (i.e. 5% à 10%), pouvant s’étendre sur plusieurs mètres en profondeur (Bakalowicz, 1996). Cette porosité, constituée principalement des fracturations de la matrice élargie par dissolution, favorise les échanges verticaux entre l’atmosphère, le sol et les parties souterraines du karst. Il est le lieu d’une importante production en dioxyde de carbone permettant l’acidification des eaux infiltrées (Bakalowicz, 2005). De plus, l’épikarst est parfois capable de stocker d’importants volume d’eau, constituant une zone tampon entre la surface et la réserve souterraine. Cette zone tampon permet de préserver les eaux souterraines d’éventuelles pollutions en retardant l’infiltration des eaux. Notons que les volumes d’eau stockés dans l’épikarst peuvent parfois être plus importants que ceux stockés en profondeur (Lastennet and Mudry 1997 ; Perrin et al., 2003).

La zone non-saturée est une zone de transition entre la surface et la zone saturée. La circulation des eaux y est majoritairement verticale. Sa porosité est généralement moins importante que celle de l’épikarst, de l’ordre de 1 à 2% (Bakalowicz, 1996 ; Mangin, 1998).

Enfin, la zone saturée, ou zone noyée, est celle où la porosité du karst est la plus développée, pouvant atteindre 15% (Mangin, 1998). La circulation des eaux y est ici essentiellement subhorizontale, permettant un drainage jusqu’à l’exutoire.

Une compartimentation horizontale peut aussi être observée à l’échelle du système entier. Les différentes entités peuvent être connectées ou déconnectées en fonction des conditions piézométriques (i.e. évolution des lignes de crêtes piézométriques). De la même manière, 2 systèmes karstiques considérés distincts, car fonctionnant la majorité du temps de manière indépendante, peuvent entrer en connexion selon l’état de remplissage de chacune des entités.

5.1.3 Fonctionnement hydrodynamique non-linéaire

L’organisation hiérarchique des drains et les différences de perméabilité observées en fonction des échelles spatiales engendrent une anisotropie des écoulements d’eau souterrains et donc un comportement différent selon la zone d’infiltration des eaux. De plus, selon le niveau piézométrique, le comportement hydrodynamique du système karstique est conditionné par la mise en fonction d’éventuelles sources de trop-plein induisant des effets de seuils. Par ailleurs les évolutions structurelles rapides des systèmes karstiques affectent leur fonctionnement hydrodynamique engendrant des non-stationnarités observables à l’échelle humaine, tels que le déplacement de remplissages obstruant ou désobstruant des drains. Il découle de ces différents processus un comportement hydrodynamique fortement non-linéaire des systèmes karstiques, difficile à modéliser en l’absence de descriptions géométriques fines des réseaux de drains et de cavités.

Principalement 2 approches conceptuelles ont été proposées pour décrire le fonctionnement de la zone saturée. La première suppose que le stockage se fait dans les porosités matricielles (Drogue, 1974). La seconde postule la présence de cavités connectées au réseau de drainage, appelées systèmes annexes au drainage (Mangin, 1975). L’aquifère est donc représenté, dans les 2 cas, par des unités des stockages reliées à un réseau de drains, qui se remplissent à la suite d’évènements pluvieux et se vident en périodes sèches. Le schéma fonctionnel du karst, proposé par Mangin (1975) et illustrant cette approche conceptuelle, est représenté à la Figure 39.

Les descriptions structurelles et fonctionnelles des systèmes karstiques font apparaître toutes les difficultés soulevées pour la modélisation et la prévision de leur comportement hydrodynamique, particulièrement lorsqu’ils sont soumis à des évènements pluvieux intenses tels que ceux à l’origine des crues rapides. De plus, compte tenu de l’aspect évolutif du processus de karstification, chaque système karstique est unique et en évolution permanente. Ces structures uniques engendrant des fonctionnements distincts, les observations effectuées sur l’un de ces systèmes ne peuvent généralement pas être transposées aux autres.

Figure 40. Schéma fonctionnel du karst selon Mangin (1975).