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Chapitre I - Etude bibliographique

4. Les matériaux à base de chitosane

4.1. Hydrogels de chitosane

4.1.1. Gélification du chitosane

Un gel est un réseau tridimensionnel continu retenant un solvant entre ses mailles. Le solvant est présent en grande quantité, généralement majoritaire. Dans le cas des hydrogels, ce solvant est l’eau.

Le gel est un matériau mou qui possède les propriétés viscoélastiques d’un solide. Ce sont des « solides visco-élastiques » [84]. Selon Burchard et Ross-Murphy, le module élastique G' d’un gel doit afficher un plateau sur une large gamme de fréquences. G' doit également être au moins dix fois supérieur au module de dissipation G" (autrement dit, tanδ < 0,1) sur une gamme de fréquence de plusieurs décades [85]. Il n’est enfin pas exigé d’un gel qu’il possède un temps de relaxation infini [86].

Le chitosane, comme une grande partie des polysaccharides, est connu pour conduire à la formation de gels dans certaines conditions. Il y a communément deux voies pour obtenir un hydrogel de chitosane : la voie « chimique » et la « voie physique ». Dans le premier cas, la réticulation permettant d’obtenir un réseau 3D repose sur la création de liaisons covalentes. Ce sont donc des structures irréversibles (de surcroît non thermoreversibles ni solvoreversibles). Dans le deuxième cas, la réticulation repose sur des interactions de faibles énergies (liaisons hydrogène, forces de van der Waals,…) ou sur la formation de conformations stabilisées par la présence d’interactions ioniques, par exemple avec des ions métalliques.

4.1.2. Différentes voies de gélification 4.1.2.a. Gélification chimique

La réticulation se fait par réaction chimique entre un agent réticulant, notamment le glutaraldéhyde [87,88] ou l’épichlorhydrine [89], et deux fonctions amine nucléophiles. L'utilisation de tels agents réticulants, connus pour être cytotoxiques [90,91] dans le cas du glutaraldéhyde ou mutagène dans le cas de l'épichlorhydrine, peut constituer un obstacle à des

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applications médicales. L'utilisation de la génipine, un agent réticulant naturel, utilisé dans la médecine traditionnelle chinoise, peut s'avérer être une bonne alternative. Plusieurs équipes de recherche se sont en effet intéressées depuis le début des années 2000 [92] à cet agent di-fonctionnel comme réticulant du chitosane, présentant une toxicité nettement moindre que les réticulants classiques [93,94].

Figure 10. La génipine (à gauche) réagit avec deux fonctions amines primaires d'unités

GlcN du chitosane. Reproduit de [94].

4.1.2.b. Gélification physique

Les hydrogels physiques sont réticulés par des interactions de type liaisons ioniques, liaisons hydrogène, interactions de van der Waals ou effets hydrophobes, qui sont qualifiés comme étant de faible énergie. En effet, leur énergie de cohésion est de l’ordre de l'énergie thermique kT [95], ce qui, dans le cas notamment des gels basés sur des interactions de type liaisons H, les rend souvent thermoréversibles [96]. Les points de réticulation ne sont plus aussi localisés que pour les hydrogels chimiques, mais ils peuvent s’étendre sur de nombreuses unités de répétition, constituant des domaines compacts plus ou moins grands, dans un ensemble amorphe et enchevêtré. Il a également été montré dans le cas des gels de chitosane la présence de cristallites, structures cristallisées de chitosane à grande échelle [97,98].

Plusieurs modes d’obtention d’hydrogels de chitosane ont été proposés dans la littérature. Nous reporterons ici les deux principales techniques utilisées dans notre équipe, qui reposent toutes deux sur une modification de la solubilité du chitosane. Ces deux modes de gélification physique présentent la particularité de conduire à des hydrogels de chitosane pur,

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25 contrairement à d'autres modes, notamment ceux basés sur des interactions ioniques (avec des polyphosphates ou des organophosphates [99,100], des ions métalliques (Mo(VI) [101], Cu [102]), des acides organiques (acide oxalique[103], thioglycolique[104],…)). Ces procédés sont également valorisables en tant que procédés "eco-friendly", dès lors qu’ils nécessitent uniquement l'utilisation d'eau et de constituants tels que l'acide acétique et l'alcool ou l'hydroxyde d’ammoniaque, relativement sûrs et facilement retraitables.

i) Procédé par voie hydro-alcoolique

La première condition pour former un gel est d’avoir une concentration en polymère dans la solution qui soit supérieure à la concentration critique d’enchevêtrement, C*, définie comme étant l'inverse de la viscosité intrinsèque [η] du polymère [105–107]. Ainsi, les nœuds d’enchevêtrements pourront jouer le rôle de jonctions physiques, et donner lieu à l’apparition d’un réseau réticulé tridimensionnel. En dessous de C*, le nombre d’enchevêtrements des chaînes et de zones de jonctions physiques reste insuffisant pour permettre la gélification du système.

La balance des interactions hydrophiles-hydrophobes a également une influence importante sur la formation des gels de chitosane. Dans cette voie, la première étape est d’élaborer une solution hydro-alcoolique de chitosane. L'alcool choisi doit avoir une pression de vapeur saturante inférieure à l'eau et une température d'ébullition supérieure. Par une évaporation progressive de l’eau et de l'acide au sein de la solution, la constante diélectrique du milieu diminue, ce qui a pour effet de réduire la dissociation des sels d'ammonium. Les répulsions électrostatiques sont ainsi amoindries, ce qui, au fur et à mesure de l'évaporation de l'eau, favorise l'établissement de liaisons hydrogène et d'interactions hydrophobes entre les chaînes de chitosane et entraîne progressivement la formation de nœuds de réticulation qui forment in fine le gel [107]. La formation de ces nœuds de réticulation peut être suivie en diffusion de la lumière statique, dans la mesure où l'intensité diffusée est directement reliée à la taille des clusters en formation. Finalement, le gel est neutralisé et lavé pour éliminer l'alcool et les sels formés. Les travaux d’A. Montembault ont montré qu’il était ainsi possible d’obtenir un hydrogel physique de chitosane, quel que soit son DA [30].

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ii) Procédé par voie aqueuse

Les mêmes auteurs ont également démontré la faisabilité d’un hydrogel physique à partir d’une solution aqueuse de chitosane sur une large gamme de DA, sans avoir recours à un solvant organique [108]. Le mécanisme repose sur les mêmes facteurs que ceux précédemment évoqués: une concentration en polymère supérieure à C*, et une modification de la balance des interactions hydrophiles-hydrophobes, via un changement physico-chimique du milieu. Dans la voie aqueuse, le changement est une augmentation de pH, en mettant en contact la solution de chitosane avec un flux d'ammoniac gazeux. L’augmentation du pH entraîne une neutralisation des fonctions amine, protonées jusqu’alors dans la solution acide. Cette diminution de la densité de charge apparente des chaînes de chitosane fait diminuer les répulsions électrostatiques entre les chaînes et favorise l'établissement de liaisons hydrogène et d’effets hydrophobes. En outre, cela provoque un changement dans le comportement du polymère en solution : d’une configuration de chaîne polyélectrolyte semi rigide en solution acide, les chaînes vont devenir plus flexibles avec l’augmentation de pH et la diminution de densité de charge. La mobilité moléculaire s’en trouve ainsi améliorée, ce qui favorise la formation de liaisons hydrogène et d’effets hydrophobes. Les auteurs ont également proposé l’existence d’une concentration critique C**, au-delà de laquelle les chaînes s’assembleraient en nano-agrégats [98,108], favorisant une construction plus rapide du réseau tridimensionnel du gel. Une fois formés, les gels sont lavés à l'eau pour éliminer les sels d'ammonium et diminuer le pH jusqu’à un pH neutre.

Montembault et coll. ont de plus constaté que ces gels n’étaient pas détruits sous l’effet de la chaleur, d’une agitation ou avec l’ajout d’eau, ce qui semblerait confirmer la présence d’autres interactions que les liaisons hydrogènes, comme les interactions hydrophobes [30].

Le procédé de gélification par voie aqueuse ne fait donc appel à aucun réticulant chimique ni solvant organique toxique. C'est une méthode particulièrement simple à mettre en œuvre, qui permet d'obtenir rapidement des matériaux constitués essentiellement de polysaccharide biosourcé et d'eau. Il répond en cela aux préoccupations actuelles d'obtenir des matériaux par des techniques respectueuses de l'environnement, qui limitent l'utilisation de solvant et valorisent la biomasse.

27 4.1.3. Quelques exemples d'application du chitosane sous forme d'hydrogel

Boucard N. et coll. ont mis au point un matériau permettant d’améliorer la cicatrisation de brûlures du 3ème degré et qui repose sur le principe de leurre des milieux biologiques évoqué précédemment. Le pansement consiste en un hydrogel physique de chitosane bicouche mimant la structure de la peau native (voir Figure 11) : la première couche d'hydrogel (derme), constitue un matériau souple en contact direct avec la plaie, s’adaptant parfaitement à la géométrie de la zone brulée ; la deuxième couche est plus rigide, joue le rôle de l'épiderme, protège la zone et assure une bonne résistance mécanique au pansement. Les études de Boucard N. et Dupasquier F. montrent que ces biomatériaux accélèrent la cicatrisation des brûlures, tout en améliorant l'aspect visuel des cicatrices [109–111].

Figure 11. Hydrogel physique bicouche de chitosane. (a) : phase destinée à être en

contact avec la plaie, (b) : couche externe [111].

Les hydrogels de chitosane font également l'objet de nombreuses études en tant que scaffold ou de matériaux leurres [57] dans le domaine de la régénération du cartilage [70,112]. Il ressort de Montembault et coll. que des chondrocytes de lapin ou humains mélangés à des broyats d'hydrogel de chitosane ne colonisaient pas ces derniers, mais s'aggloméraient à leur surface. En comparaison aux chondrocytes mis en culture sans biomatériaux, les chondrocytes mélangés à des hydrogels de chitosane ont produit significativement plus de matrice extracellulaire, et les cellules ont conservé leur phénotype pendant au moins 21 jours [57].

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Les travaux de S. Ladet [113,114] ont conduit à la réalisation de matériaux multi-membranaires à base de chitosane. Ces matériaux ont montré leur intérêt dans le domaine de la culture cellulaire, jouant le rôle de bioréacteurs : des chondrocytes ont ainsi pu être cultivés dans un "oignon" multi-membranaires de chitosane, et ont proliféré tout en produisant de la membrane extracellulaire en grande quantité et en conservant leur phénotype durant toute la durée de l'étude (45 jours) [115]. Les cellules sont restées confinées dans l'espace inter-membranaire, indiquant que l'hydrogel empêchait toute diffusion des cellules, mais qu’il permettait cependant la diffusion de macromolécules. Le procédé a également été décliné afin de réaliser des tubes multi-membranaires pour la reconstruction de vaisseaux sanguins par exemple [116,117].