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I.3. Caractéristiques et évolutions de la matière organique

I.3.2. Processus d’évolution de la matière organique

I.3.2.2. Humification

Les substances dites humiques, d’une manière générale, proviennent de l’évolution lente des composés organiques qui, pour des raisons de stabilité chimique élevée (récalcitrance) ou de faible bioaccessibilité, échappent à une biodégradation rapide et complète. C’est le cas notamment des complexes ligno-cellulosiques de la biomasse végétale. L’étude de ces substances et de leurs possibles voies de formation a permis, dans un premier temps, d’établir un modèle dit d’humification, basé sur plusieurs voies possibles. Dans un deuxième temps, d’autres modèles ont été proposés sur la base d’hypothèses alternatives: modèles de préservation sélective, de décomposition progressive ou encore de continuum du sol ([Figure I.9). Ces modèles sont décrits dans la suite de ce chapitre.

[Figure I.9] Représentation schématique de quatre modèles d’évolution de la matière organique proposés dans la littérature : (I) modèle classique d’humification, (II) théorie de préservation sélective, (III) théorie de la décomposition progressive et (IV) modèle conceptuel du

I.3.2.2.1. Modèle d’humification (I)

Dans le modèle d’humification qui est décrit en 1er dans la Figure I.9 ci-dessus et qui est le plus généralement considéré, quatre voies principales ont été envisagées dans la formation des substances humiques: la voie ligneuse (A), les voies polyphénoliques (B et C) et la voie de condensation amino-sacchareuse (D) (Stevenson, 1982; Stevenson, 1994). Les processus d’humification sont décrits d’une manière générale par une succession de phases de décomposition et de réassemblage des fragments produits afin de former des composés plus complexes et plus aromatiques (Zech et al., 1989; Zech et al., 1992).

Voie ligneuse (A)

Cette première voie considère la formation des substances humiques (Fischer & Schrader, 1921; Waksman, 1936) à partir de la lignine selon les transformations suivantes :

perte des groupements méthoxyles au profit de groupements carboxyliques, oxydation des groupements aliphatiques terminaux au profit de groupements carboxyliques et aldéhydes.

La lignine ainsi « modifiée » s’associerait ensuite avec des composés azotés d’origine protéique, issus par exemple de fragments cellulaires. Les composés ainsi obtenus sont des humines (molécules de haut poids moléculaire). Leur oxydation et recombinaisons progressives entraineraient la formation des acides fulviques et humiques (Felbeck, 1971).Cette théorie est basée sur les similitudes de structures et propriétés entre la lignine et les substances humiques (récalcitrance à la biodégradation, solubilité aux pH alcalins et sensibilité à l’hydrolyse alcaline, présence de groupements méthoxyles).

Voies polyphénoliques (B et C)

Contrairement à la voie A qui considère que la lignine n’est que partiellement modifiée avant de servir de précurseur aux substances humiques, la voie polyphénolique est basée sur une dégradation plus complète de la lignine (voie B) et/ou des polysaccharides, tels que la cellulose et les hémicelluloses (voie C). Il en résulte la formation de opolyphénols puis de quinones par l’oxydation des groupements OH, -COOH, -OCH3 et -CHO, par des enzymes spécifiques. Ces composés nouvellement formés sont ensuite auto-polymérisés ou recombinés avec des composés azotés pour former les acides fulviques, puis si ces mécanismes se poursuivent, former des acides humiques puis de l’humine (Stevenson, 1994).

Cette voie de formation a été proposée par Maillard (1913). La différence notoire entre cette voie et les autres est que le composé précurseur à la formation des substances humiques ne serait pas la lignine, mais les polysaccharides et les acides aminés. Ces composés se polymériseraient par condensation abiotique et subiraient une polymérisation non enzymatique pour former des substances humiques aliphatiques (Jokic et al., 2001). Cette voie de synthèse pourrait expliquer la formation des substances humiques dans des milieux pauvres en lignine. Mais elle reste contestée car elle nécessite des pH et des températures élevés en particulier dans les milieux aquatiques. Elle peut être accélérée dans les sols par la présence d’oxydes de fer ou de manganèse (Jokic et al., 2001).

Ces voies peuvent être considérées comme des voies probables de formation des substances humiques, mais il reste difficile de privilégier une voie plutôt qu’une autre (Schnitzer & Khan, 1978) car elles dépendent du type du milieu étudié ou encore des conditions environnementales (Matynia, 2009).

D’autres théories ont été établies à partir de ce modèle largement détaillé dans la littérature et de ses voies principales.

I.3.2.2.2. Modèle de la préservation sélective (II)

Selon le modèle de la préservation sélective proposé par Sollins et al. (1996), la matière organique entrante est ici divisée en deux compartiments : labile et récalcitrant. La fraction dite récalcitrante est dans un premier temps considérée comme préservée car elle ne serait consommée par les microorganismes qu’après épuisement de la fraction labile. Au sein de la fraction récalcitrante, la lignine et ses dérivés, et d’autres polymères aliphatiques, ainsi que des polyesters naturels (cutines et subérines) conduisent à la formation de macromolécules complexes. Il n’y aurait pas de processus de néoformation de substances de haut poids moléculaire tels que les substances humiques. En effet, cette synthèse secondaire exigerait des investissements énergétiques qui n’ont pas de logique thermodynamique selon les auteurs (Burdon, 2001). Les macromolécules peuvent ensuite être partiellement hydrolysés sous l’effet d’exo-enzymes, puis éventuellement minéralisés.

I.3.2.2.3. Modèle de décomposition progressive (III)

Ce modèle considère que l’ensemble des constituants de la matière organique fraiche est soumis au processus d’évolution quelle que soit leur structure (Burdon, 2001). La suite du modèle est relativement similaire au précédent. La dégradation progressive des macromolécules issues de la MO initiale entraine partiellement la formation de monomères qui sont assimilables par les microbes pour être minéralisés.

I.3.2.2.4. Modèle « continuum du sol » - Théorie des supramolécules (IV)

Comme dans les deux modèles précédents, les substances dites humiques ne sont pas spécifiquement considérées comme une catégorie chimique distincte mais plutôt comme un mélange complexe de biopolymères microbiens et végétaux et de produits issus de leur dégradation (Kelleher & Simpson, 2006). Le caractère récalcitrant à la décomposition de ces structures serait à tempérer selon certains auteurs (Gramss et al., 1999), qui rapportent une bio-évolution non négligeable. La spécificité du modèle dit des supramolécules est de considérer que les structures chimiques formées interagissent entre elles et avec des molécules organiques plus simples ainsi que des constituants minéraux pour former des supra-structures encore appelées agrégats (Lehmann & Kleber, 2015; Piccolo, 2001). Ces processus permettent de protéger physiquement les molécules individuelles de la dégradation microbienne en diminuant leur biodisponibilité c’est-à-dire leur accessibilité aux enzymes et aux réactifs abiotiques.

I.3.2.2.5. Synthèse générale sur les processus de maturation de la matière

organique

La description des processus d’évolution de la matière organique dans les milieux naturels et anthropisés ne fait pas totalement consensus chez les scientifiques du domaine. Cependant, les convergences des différents modèles élaborés sont plus nombreuses que leurs divergences. Tous les modèles considèrent que cette évolution conduit à la formation de substances qui deviennent progressivement protégées des agressions chimiques et biochimiques par leur structure physique et/ou chimique. La plupart d’entre eux qualifie ces substances d’humiques et même si certains auteurs ne leur attribuent pas de structures chimiques spécifiques, on retrouve largement le concept d’humification dans la littérature. Les modèles biochimiques considèrent que la structure chimique est prépondérante dans la stabilité de ces composés, alors que les modèles d’agrégation, développés plus récemment, accordent un rôle plus important à la structure physique. La formation des substances dites humiques pour certains auteurs reposent sur un ensemble de processus complémentaires qui sont plus ou moins privilégiés par les différents modèles. Mais globalement, les auteurs considèrent une dégradation de la matière organique initiale en des molécules plus réactives et une fraction résiduelle plus récalcitrante. Chaque fraction peut ensuite interagir pour former des suprastructures complexes qui impliquent également les composés minéraux du milieu. Cependant, il est difficile de s’accorder sur la prépondérance d’un mécanisme plutôt qu’un autre et d’envisager une théorie plutôt qu’une autre, tout comme il est également difficile de s’arrêter sur une structure précise et unique des substances dites humiques.

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