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M. Kazemi, parlez-nous s‟il vous plaît de votre vie et de vos études. Etant donné que vous avez été des années professeur et directeur de lycées artistiques spécialisés (honarestân), que vous avez formé quantité de jeunes artistes, comment caractériseriez-vous cette période ?

A vrai dire, je ne pense pas que ma vie ne soit de quelque importance pour quiconque. Cela n‟apportera rien aux générations à venir. Peut-être que ce qui vaut la peine d‟être dit est ma méthode d‟enseignement dans les lycées spécialisés (honarestân) et à la faculté des arts décoratifs (dâneshkadeh honarhâ-ye tazini). Je pourrais formuler cette méthode en trois préceptes : découvrir des talents, aider l‟étudiant à les développer en conformité avec le bon goût (zowq) et son art et, enfin, ne pas lui imposer des avis ou le style des autres.

J‟ajouterais que si je rencontre une personne douée, je n‟interromps pas mon enseignement, même en-dehors de la classe ou de l‟université. De cette manière, certaines de ces personnes font partie aujourd‟hui des grands artistes de notre pays et j‟en suis très heureux.

Comment êtes-vous devenu épris de la peinture ? (tsheguneh delbâkhteh-ye naqqâshi shodin ?)

A partir de la troisième ou quatrième année de l‟école primaire (dabestân), je dessinais en m‟inspirant de livres ou de revues illustrées. Plus grand, ma famille m‟a dit avoir entendu l‟existence d‟une école du nom de Kamâl ol Molk, qui acceptait les élèves désireux d‟apprendre la peinture et que si j‟en avais envie, je pouvais y aller. Je suis parti et j‟ai appris la peinture. Dès cette époque de ma jeunesse, j‟avais une certaine répugnance à copier et à suivre les procédés de mes professeurs. Jusqu‟à ce que je devienne plus grand et que je me mette en route pour la faculté des beaux-arts (dâneshkadeh honarhâ-ye zibâ). Là, des professeurs étrangers m‟ont appris d‟autres procédés. L‟évolution de ma pensée et surtout la découverte de procédés et mondes nouveaux m‟ont permis de continuer la peinture avec une vision nouvelle. Surtout qu‟avec le style de la peinture moderne, je pouvais mieux donner une image au contenu de ma pensée.

Les motifs de vos œuvres sont proches de la nature. Vous peignez les montagnes, les arbres et le ciel à un tel point de stylisation que cela se rapproche de l‟abstrait (shiveh-ye tadjridi). Etes-vous toujours fidèle à ce style ?

Ce qui m‟a toujours occupé l‟esprit est la question du contraste/ de la dichotomie (tasâd). La dichotomie en tant que vérité et loi du monde, c‟est-à-dire en tant que guide des forces duales/ doubles, de tous les phénomènes du monde. Mon intention dans la peinture est de toujours rendre manifeste cette dichotomie, de manière consciente ou inconsciente, même dans le portrait. Au début et suite à mon séjour à Paris, j‟ai fait de la peinture abstraite (naqqâshi-ye entezâ‟i) mais après un temps, j‟ai compris que ce style ne satisfaisaient pas mes désirs intérieurs, que je n‟arrivais pas à ce que je voulais du point de vue de la couleur et de la composition. C‟est pour cela que je suis retourné à la peinture figurative (naqqâshi-ye figurâtiv).

A mon avis, la peinture abstraite (naqqâshi-e tadjridi) ne représente pas l‟apogée du XXème siècle. Parce que, si je puis me permettre, au début je pensais que la peinture abstraite (naqqâshi-ye âbstreh) pouvait mieux exprimer mes pensées et rendre manifeste la dichotomie du monde. Mais, avec le passage des années, j‟ai commencé à penser différemment et je suis retourné au style figuratif (be sabk-e figurâtiv bâz gashtam).

D‟une manière générale, j‟ai le sentiment que la peinture abstraite (naqqâshi-ye entezâ‟i) ne convient pas à l‟esprit (zehn) et au goût (zowq) iranien. Peut-être qu‟il serait mieux que dans le futur la peinture iranienne n‟acquiert pas une allure abstraite (entezâ‟i).

Votre environnement et vos relations, jusqu‟à quel point vous ont-ils influencé ? Quelles idées vous ont-ils insufflé ?

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Etre en contact avec la société et les autres influence beaucoup la peinture et représente même l‟ancrage de son développement. Mais ce qui est, à mon avis, le plus important est la relation qu‟entretient la peinture avec l‟humanité en général. Ce qui est remarquable, c‟est de réfléchir à l‟énigme de l‟homme et de l‟humanité et de refléter ces réflexions dans la peinture.

Avez-vous rejoint la direction des tendances modernes qui ont suivi l‟abstrait ?

En Occident, la période de l‟hyper-réalisme (hâyper-reâlism) et du futurisme (futurism) est peu à peu en train de s‟achever. En principe, je ne considère pas l‟avenir de ces tendances comme vraiment nécessaire.

Quelles sont les œuvres des peintres de votre génération que vous aimez ? Etant donné que vous connaissez les dispositions actuelles des peintres iraniens, quelles évolutions, à votre avis, peuvent advenir ?

La peinture contemporaine iranienne compte quelques artistes dignes d‟admiration. Parmi eux, j‟ai toujours eu une attirance spéciale pour l‟oeuvre de Sepehri. Du fait que j‟habite maintenant à l‟étranger, je ne suis pas vraiment informé de la situation actuelle de la peinture iranienne mais je peux dire que parmi les peintres en exil, certains sont dignes d‟éloges. Par exemple, les paysages de Dâvad Emdâdiân sont à nulle autre pareils et les dessins de Bahman Borudjani sont de vrais chef-d‟œuvres.

Maintenant que cela fait des années que nos peintres connaissent le langage pictural mondial et ses évolutions, pourquoi n‟ont-ils pas une place dans la culture de la peinture mondiale dont le centre est l‟Occident ?

Excepté les écoles et styles historiques anciens comme la miniature (miniâtur), le dessin à la plume (siâh qalam) et l‟école des maisons de café (qahvehkhâneh), la peinture iranienne n‟a, jusqu‟à présent, pas eu de place dans le domaine de la peinture mondiale. La raison en est peut-être qu‟à l‟époque nouvelle, le travail mondial n‟a pas été présenté. Son manque d‟identité et sa non-connaissance des évolutions de l‟art mondial sont les raisons de cette absence sur la scène mondiale de l‟art. Prenons l‟exemple du Shâhnâmeh de Ferdowsi. Le Shâhnâmeh est profondément iranien par le message et le contenu qu‟il véhicule. Il est ensuite mondial parce qu‟il traite des questions de l‟homme d‟une manière générale face aux luttes de la vie, c‟est la raison pour laquelle le Shâhnâmeh est connu dans le monde entier et a été traduit dans tant de langues. Nous, en peinture, nous n‟avons pas encore atteint ce niveau d‟expressivité de telle sorte que notre peinture ait à la fois une identité iranienne authentique et soit objet de débats de manière générale sur les luttes de l‟homme.

Jusqu‟à quel point la reconnaissance de la tradition artistique iranienne a eu un effet sur le développement de l‟art moderne iranien ? Comment conciliez-vous tradition locale et renaissance contemporaine ?

Travailler sans connaître les traditions, cela est léger, sans consistance. J‟ai toujours suivi la voie de la tradition pendant mes recherches picturales. Parce que c‟est seulement sous cette forme qu‟une oeuvre rare et nouvelle, aux bases solides, peut prendre corps. Ce que je voudrais dire aux jeunes du pays est de ne pas s‟égarer. En effet, ils représentent le capital de demain. Dans le cas de mes œuvres, si vous permettez, en guise de réponse, je vous renvoie à une de mes interviews publiée dans le journal Keyhân à l‟étranger car je pense que le plus important y est rapporté.

Mohammad ‘Ali Amir-Moezzi, « La peinture et le peintre se créent mutuellement », Albert Bordas, Gérard Gay-Barbier (dir.), Peinture et spiritualité, Noesis, Paris, 2002, pp.81-87 :

Sur quelle base et pour quelle raison ce changement dans votre style a-t-il eu lieu ?

Mon style était auparavant proche de l‟abstrait (âbstreh) et insistait sur la technique de l‟assemblage de quatre planches carrées. Avec l‟utilisation d‟une marge blanche ou de couleur pure sur le carton de la toile et

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avec le recours à différents matériaux comme le plâstufum ?, l‟acide, etc. Bien sûr, aujourd‟hui je prends encore en compte ces aspects techniques mais mon appui sur eux est devenu plus secondaire par rapport à avant. Le style de mon travail s‟est aussi de manière générale davantage orienté vers les figuratif. Ce qui m‟a toujours attiré est le thème de la dichotomie (tazâd). La dichotomie en tant que loi générale du monde que nous pourrions qualifier de mortier ou de pâte du levain de l‟existence. La dichotomie de la nature et de l‟homme. L‟orientation des forces duales/doubles de tous les phénomènes du monde. Je rends manifeste cette dichotomie par le biais de différents facteurs. Au départ, je séparais ces facteurs de l‟image mais ensuite j‟ai compris que leur harmonisation était le plus efficace. Le mélange et la démarcation de la lumière et de l‟obscurité, la pierre et la fleur, le rocher et la plante, le ciel et la terre. C‟est en référence à ce contenu que j‟ai compris que le style figuratif était le plus expressif. Dessiner se fait en même temps qu‟un penchant graduel pour la simplicité et la pureté et au cours d‟un effort bienfaisant et caressant pour les yeux. Le contenu de mon travail est toujours en rapport avec le thème de la dichotomie avec des variations au niveau de la forme et de la couleur.

Vous utilisez peu de couleurs, surtout celles du spectre du bleu et du violet, pourquoi ? Je n‟aime pas ce qui renvoie à carnaval ou aux bals masqués.

L‟Iran et ses paysages, quelle influence ont-ils sur votre travail ?

L‟Iran est toujours en pensée avec moi. Que je peigne ou non. Les paysages de l‟Iran sont gravés dans mon inconscient et tout ce que je trace au pinceau a involontairement la couleur et l‟odeur de l‟Iran. Je pense que volontairement ou non mon retour (bâzgasht) intellectuel ou imaginaire se tourne toujours vers l‟Iran, ses paysages et sa culture.

Vous parlez d‟un retour (bâzgasht). Si nous voulions résumer en une phrase le but du mysticisme (maqsud va qâyat-e „erfân), nous pourrions l‟exprimer comme la voie du retour vers ses origines. Si, pour vous, la peinture était une sorte de conduite (soluk), est-ce que vous auriez le sentiment que cette conduite vous entraîne en direction de votre propre origine et vérité ?

Peut-être inconsciemment. Considérons par exemple les plantes. Les plantes, sous des formes différentes sont à la base de mes travaux : le cyprès, la rose rouge, les arbres et l‟herbe… J‟ai avec les plantes un autre but que j‟ai déjà exprimé avant cela. Mais après le passage des années, après avoir expérimenté les textes mystiques et la littérature symbolique, j‟ai compris que la plante était pour moi une sorte de symbole inconscient du retour vers les origines. Nous avons une origine terrestre et une origine céleste. Or la plante par sa racine pousse de la terre et tend vers le ciel. Elle a deux origines, qui sont liées et leur dichotomie (tazâd) fusionne. Je prends un autre exemple. Cela m‟est déjà arrivé qu‟avant de finir une oeuvre, celle-ci devienne à mes yeux si belle et unique par son origine et sa propre vérité qu‟involontairement je pense qu‟il est nécessaire que je l‟efface et que je la recouvre de blanc. Je j‟ai déjà fait. Je ne sais pas comment je pourrais expliquer cet état. Peut-être que je pense que cette oeuvre doit être épurée de toute matière ou qu‟il est nécessaire qu‟aucun œil ne se pose sur elle ou peut-être qu‟en blanchissant le tableau, je pense que l‟oeuvre retourne à ses origines. Dans tous les cas, une force comparable à un instinct naturel me pousse à effacer/purifier le tableau (pâk kardan).

Comment voyez-vous l‟évolution de votre travail ?

La peinture comme tous les autres arts doit enseigner philosophiquement ce qu‟elle est pour l‟artiste et pour celui qui est amené à côtoyer cet art. Si la peinture crée un motif, le motif crée quelque chose de nouveau chez l‟artiste. Personnellement, quand je retourne en arrière, je comprends que mon travail est plus optimiste (khowshbinâneh) et rempli d‟espoir (omidbakhsh) qu‟auparavant. Je ne peux rien ajouter de plus.

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