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Historique et généralités sur la modélisation de l’écoulement des glaces terrestres

Introduction générale

1.1 Historique et généralités sur la modélisation de l’écoulement des glaces terrestres

Le processus de formation des glaces terrestres, du glacier alpin à la calotte polaire, est relativement similaire. Les précipitations de neige s’accumulent du fait

Accumulation Zone

Equilibrium Zone

Ablation Zone

Figure 1.1: Illustration schématique des différentes zones d’un glacier de montagne et du champ de vitesse. Image adaptée de [36]

d’une fonte insuffisante (voire inexistante) due à de basses températures. Sous l’effet de son propre poids et de celui d’éventuelles couches supérieures, la neige perd ou comprime les bulles d’air qu’elle contient. Il s’ensuit une densification de la couche de neige et sa transformation en glace. Sous les effets conjugués de la déformation et d’un éventuel glissement basal, la glace se met en mouvement.

On distingue schématiquement trois zones dans un glacier de montagne (voir Figure 1.1). La zone de haute altitude (la plus froide), appelée zone d’accumulation, est le lieu de formation de la glace par accumulation des précipitations. Dans cette zone, la température est telle que la quantité de neige accumulée est supérieure à la quantité de neige sublimée ou fondue. La zone d’ablation correspond à la zone de basse altitude, plus chaude, où a lieu une perte de masse : l’apport des précipitations est inférieure à la fonte. Une zone intermédiaire de transport présente une ablation limitée qui contient la ligne d’équilibre du glacier qui sépare la partie à bilan de masse positif (zone d’accumulation) de la partie à bilan de masse négatif (zone d’ablation). L’écoulement gravitaire du glacier a pour effet de transporter la masse de la zone d’accumulation vers la zone d’ablation sous l’effet de la pression, contribuant à maintenir un certain état d’équilibre.

Le processus, bien que similaire, présente certaines différences dans le cas des calottes polaires. Le principal apport de masse demeure celui provenant des précipi-tations, bien que le regel de l’océan puisse amener une augmentation de masse dans certaines zones des parties flottantes. L’ablation estivale de surface est une compo-sante négligeable de la perte de masse en Antarctique et significative au Groenland (voir [164]). En revanche cette perte de masse a lieu par d’autres processus que celui de l’ablation estivale. La composante supplémentaire essentielle dans le bilan de masse a lieu au niveau des glaces flottantes, transportées au-delà de la ligne de côte. L’érosion sous-glaciaire, due à un océan plus chaud, observée sporadiquement,

1.1. Historique et généralités sur la modélisation de l’écoulement des glaces terrestres représente 30 à 60% de la perte de masse des langues et plateformes flottantes. Vient ensuite le vêlage d’icebergs par les glaciers émissaires ou fleuves de glaces, corres-pondant à la séparation de la glace flottante du continent.

Un fleuve de glace est une partie d’une calotte polaire pour laquelle l’écoulement de la glace est plus rapide que la glace environnante et non nécessairement dans la même direction. L’existence de ces glaciers rapides est connue depuis longtemps (voir e.g. [163]).

Le processus de vêlage (voir Figure 1.2) peut se résumer comme suit. Les gla-ciers émissaires et fleuves de glace s’écoulent rapidement en direction de la côte, se réjoignent éventuellement, pour converger vers une baie ou plus généralement une échancrure côtière pour finir par déborder au-delà de la côte. La glace va alors se mettre à flotter. La partie du glacier reposant sur l’eau est appelée langue de glace ou plateforme de glace (selon la configuration) ou plus simplement glace flottante. La zone de transition entre glace posée et glace flottante est appelée zone d’échouage et la limite théorique séparant la glace reposant sur le socle rocheux de la glace flot-tante est appelée ligne d’échouage. En termes d’écoulement, cette ligne représente un changement de condition limite se traduisant, entre autres, par une réduction importante du frottement basal. La glace reposant sur le continent et la glace flot-tante font parties intégrantes d’un même écoulement et donc de la masse totale de glace considérée.

La perte de masse a lieu lorsque les langues de glace finissent par se séparer du continent sous la forme d’icebergs. Ce processus de vêlage d’icebergs représente une composante majeure du bilan de masse des calottes polaires. Cette décharge de masse des calottes dans l’océan est majoritairement contrôlée par un nombre re-lativement réduit de glaciers côtiers émissaires. On en dénombre une trentaine au Groenland et une cinquantaine en Antarctique (voir Figure 1.5).

Les plateformes de glace sont très caractéristiques de l’Antarctique, en ce qu’elles représentent plus de 10% de la surface du continent, seulement 2.5% du volume de la calotte, et qu’ elles supportent 80% de la décharge de la glace posée (voir e.g. [129]).

La figure 1.3 représente une vue tridimensionnelle du glacier émissaire Mertz situé en Antarctique (voir figure 1.5) et de sa topographie environnante. Un profil vertical d’une ligne d’écoulement du glacier Mertz obtenu par un radar aéroporté dans le cadre du programme américain ICECAP en 2010 (voir [67]) est largement utilisé dans la suite de ce travail pour la simulation numérique.La figure 1.4 montre une vue satellite du glacier Mertz sur laquelle est représentée la ligne d’écoulement suivie par l’avion pour l’extraction du profil radar ainsi que la ligne d’échouage. Ce glacier est un exemple typique de glacier émissaire.

Icebergs Sea ice

Evaporation from ocean

Bedrock Grounding line Ocean Ice sheet (resting on bedrock) Sea Level Ice shelf (floating in sea) Snow accumulation Ice Stream within ice sheet

Figure 1.2: Illustration schématique du processus de vêlage et des différents écoulements mis en jeu. Avec la courtoisie de Kevin Hand, Scientific American. Image adaptée de [15]

En termes de modélisation, le processus global de vêlage (voir figure 1.2) permet de distinguer trois situations principales d’écoulements de la glace sur les calottes polaires : la glace posée, les langues de glace ou glace flottante (ice-shelf ) et les

fleuves de glace (ice-streams). Bien qu’une nuance existe entre les terminologies de

glaciers émissaires et de fleuves de glaces, attachée à la présence (ou à l’absence respectivement) d’une topographie “canalisant” l’écoulement (voir e.g. [16]), le type d’écoulement résultant en termes de géométrie et de vitesse est similaire et on se restreindra à l’utilisation de la deuxième par la suite.

Il est commun de distinguer les glaciers à partir de leurs caractéristiques ther-miques. Ces trois situations d’écoulement de glaces polaires appartiennent à la caté-gorie des glaciers froids dont la température est inférieure à 0°C pour l’ensemble du fluide sauf éventuellement pour une couche limite basale au point de fusion. L’autre grande catégorie thermique de glaciers est celle des glaciers tempérés pour lesquels la glace est à une température de 0°C sur toute son épaisseur sauf dans une couche de surface sensible aux températures extérieures. Tout glacier qui n’est pas tempéré est un glacier froid.

Si ces différents écoulements ne se distinguent pas par leur classification ther-mique, une distinction majeure peut être faite en termes de conditions basales. La glace posée est un écoulement lent plutôt représentatif d’une base gelée, en adhérence ou friction très forte avec un socle rocheux rigide. L’écoulement est alors principale-ment cantonné à la déformation plastique. À l’opposé, les langues de glace, nourries par les fleuves, avancent directement sur l’eau et la friction entre les deux milieux

1.1. Historique et généralités sur la modélisation de l’écoulement des glaces terrestres

Figure 1.3: Image drapée sur le DEM-SPIRIT du glacier Mertz (voir [102]). ©CNES 2008 / Distribution Spot Image.

est alors extrêmement réduite.

L’écoulement très rapide des fleuves de glace (10 à 100 fois plus rapide que la glace posée) est dû à une combinaison de facteurs complexes dont les principaux éléments sont des conditions basales variables spatialement et temporellement et amenant globalement une contribution positive importante à l’écoulement vers la côte. Une variabilité de l’état du socle est également observée pour des glaciers de montagnes notamment à travers les phénomènes de crues glaciaires ou surge (voir l’exemple du glacier Variegated traité en section 3.5.2). Les différents processus mis en jeu dans la modélisation du glissement basal sont détaillés en section 2.5.

Le tableau 1.1 donne des grandeurs caractéristiques pour chacun de ces écoule-ments ainsi que pour celui associé à un glacier alpin (voir e.g. [69, 143]). On introduit

Figure 1.4: Image ModIS (Moderate resolution Imaging Spectroradiometer) obtenue par le satellite américain Terra le 16 novembre 2007. L’échelle de couleur de la ligne de vol suivie par le radar aéroporté indique l’épaisseur de glace en mètres. Le trait bleu représente la ligne d’échouage déterminée par interférométrie radar (voir section 3.4.1). Le domaine de calcul et sa discrétisation, obtenus à partir de ce profil, sont représentés sur la figure 4.6 pour la partie posée (en amont de la ligne d’échouage). Le domaine incluant la partie flottante en aval de la ligne d’échouage est représenté sur la figure 7.3.

1.1. Historique et généralités sur la modélisation de l’écoulement des glaces terrestres

Grandeur Glace posée Fleuve de glace Glace flottante Glacier alpin

[L] 106 105 5.105 104 [H] 103 103 5.102 102 [U] 10−6 10−5 10−5 10−7 [t]=[L]/[U] 1012 1010 5.1010 1011 ε 10−3 10−2 10−3 10−2 Re 10−14 10−13 5.10−14 10−16 F r 10−16 10−14 2.10−14 10−17

Table 1.1: Estimation des ordres de grandeur des dimensions et vitesse caractéristiques pour les différents type d’écoulements de glace (en unités S.I.) et nombres adimensionnels résultants

alors les grandeurs adimensionnelles classiques suivantes : Rapport d’aspect : ε = [H]

[L] (1.1)

Nombre de Froude : F r = [U]2

g[H] (1.2)

Nombre de Reynolds : Re = ρ[U][H]

η (1.3)

(1.4) où g ∼ 10m.s−2 désigne l’accélération de la pesanteur, ρ ∼ 103kg.m−3 désigne la masse volumique de la glace et η sa viscosité apparente. La définition de la viscosité pour des fluides non-newtonien peut varier. Pour le présent calcul on prendra une valeur de référence η = 1014Pa.s. On rappelle que le nombre de Reynolds quantifie le rôle relatif des effets inertiels par rapport aux effets visqueux et le nombre de Froude celui de l’énergie cinétique par rapport à l’énergie potentielle.

Les valeurs résultantes sont également donnés dans le tableau 1.1. Une valeur plus exacte du nombre de Reynolds généralisé aux écoulements en loi de puissance est donnée en section 4.8.2.

L’écoulement d’un glacier de montagne, de par ses dimensions plus modestes, présente les plus faibles Reynolds et F roude. Les écoulements côtiers que sont les fleuves de glace et glaces flottantes arborent des régimes très similaires en termes de Froude du fait de leur vitesse élevée. La glace posée, représentative des écoulements à l’intérieur de la calotte, présente les plus grandes dimensions pour une vitesse plus réduite (voir Figure 1.5).

Les différents régimes présentés ont tous en commun une viscosité très élevée at-tachée à de grandes dimensions géométriques. Les nombres de Reynolds et de Froude

Velocity (m/a)

(a) Vitesses de surface en Antarctique en mètres par an

Velocity (m/a)

(b) Vitesses de surface au Groenland en mètres par an

Figure 1.5: Vitesses de surface mesurées, compilation d’observations satellitaires sur plus de 20 ans réalisées par des techniques d’interférométrie radar et de correlation complexe d’images, données issues de [144] pour l’Antarctique et de [95] pour le Groenland