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Historique des crises financières : une récurrence continue

Chapitre 1. Définition, détermination, anticipation et récurrence des crises

3. Historique des crises financières : une récurrence continue

Il peut convenir de décrire la fréquence des crises financières et notamment des crises de change au regard de leurs récurrences dans les économies. « Il n’y a pas d’économie de marché sans crises » (Kindleberger, 1978). De nombreux auteurs ont pu réaliser des études à partir des années 1800 jusqu’à aujourd’hui (Bordo, & al., 2001) (Boucher, 2002). Les crises semblent s’être intensifiées depuis ces dernières années, allant même jusqu’à être simultanées (on parle de crises jumelles). Le contexte actuel serait l’élément explicatif de l’augmentation de cette récurrence. L’amplification des échanges financiers notamment dans des pays peu développés et sans système de régulation important pourrait expliquer cette tendance (Brender, & al., 2001). L’ouverture des économies aux capitaux étrangers, le risque systémique, la faible rémunération des actifs dans les pays développés, l’abondance de la liquidité internationale, l’augmentation de l’endettement international, le risque d’instabilité des pays émergents, les effets de contagion et d’interdépendance, la volatilité des taux de change sont autant d’arguments venant conforter cette interprétation.

Les études ont littéralement explosé sur le sujet. Kaminsky, Lizondo et Reinhart (1998) mettent en avant 28 études réalisées entre 1950 et 1998. Aujourd’hui, il y a en plus du double. L’abandon du système de Bretton Woods en 1976, qui offrait l’opportunité de fixer les rapports entre les devises internationales, en serait l’une des raisons (Bordo, & al., 2001). Bordo, Eichengreen, Klingebiel, Martinez-Peria (2001) ont réalisé une étude sur 56 pays (développés et en voie de développement) sur une période de 120 ans (graphique 4). Il y est question d’une plus forte probabilité d’avoir des crises sur la période 1973-1997 que sur les périodes 1880-1913 et 1945-1971. Il n’y a que la période 1919-1939 qui fait exception (dû à l’instabilité de l’entre deux guerres). Les crises financières seraient d’une fréquence de 6% durant la période de Bretton Woods alors qu’elles atteindraient plus de 10% entre 1973 et 1997. Il s’agit alors surtout de la réapparition des crises bancaires et du retour des crises jumelles.

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Graphique 4. Fréquence des crises financières

L’analyse de Dehove (2003) (tableau 4) permet de mettre en parallèle la récurrence des crises financières avec quatre périodes différentes dans les règles d’émission de monnaie, de contrôle des capitaux et de la liberté bancaire issues des travaux de Bordo, Eichengreen, Klingebiel et Martinez-Peria, (Bordo, & al., 2001). Certains types de crises peuvent apparaitre pour ensuite disparaitre à chaque période sans pour autant témoigner d’une généralisation quant à la récurrence des crises financières. Lors de la période de l’étalon-or, les crises sont d’abord bancaires (2%) et faiblement de change (1%) ainsi que jumelles (1%). La période de l’entre-deux-guerres est sujette à de nombreuses crises de toutes natures : crises de change (5%), crises bancaires (5%) et crises jumelles (5%). Pendant les accords de Bretton Woods, les crises bancaires disparaissent totalement mais les crises de changes restent nombreuses (7%). La période des 30 années suivantes, l’après Bretton Woods, se caractérise par un retour aux crises bancaires (2%) et l’apparition des crises jumelles (2%) tout en gardant un taux de crises de change élevé (5%).

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Tableau 4. Fréquence par période de régulation internationale divergente

Source : (Dehove, 2003) Les signes (-) et (+) informent de l’intensité de la relation entre les crises et les périodes.

Le retour des crises bancaires au regard de la libéralisation des systèmes bancaires nationaux peut être interprété comme une relation d’interdépendance entre la régulation bancaire et les crises dans ce même secteur. Quant aux crises de change, elles n’apparaissent nullement dépendre d’un cadre d’analyse spécifique plutôt qu’une autre. La récurrence des crises financières ne semble pas plus importante depuis les 30 dernières années. L’analyse de Stone et Weeks (2001) confirme cette interprétation où, d’après une étude sur 49 pays, le nombre de crises financières n’a pas plus augmenté (graphique 5). Il y a surtout une augmentation des crises jumelles durant cette période.

Graphique 5. Fréquence des crises sur une période plus récente

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La poursuite de l’analyse de la récurrence des crises financières lors de l’après Bretton Woods met en avant dans la littérature une plus grande vulnérabilité vis-à-vis des pays en voie de développement (Bordo, & al., 2001), (Dehove, 2003), (Stone, & al., 2001).

Le graphique 6 montre l’Afrique avec une probabilité d’occurrence de crise moyenne d’une année sur deux contre l’Amérique Latine une année sur cinq, suivie de près par l’Asie et le Moyen-Orient. Les pays développés restent largement à l’écart au regard des pays en voie de développement avec en moyenne une crise par décennie (Stone, & al., 2001).

Graphique 6. Fréquence des crises par région

Source : (Stone, & al., 2001)

Quant au graphique 7, les crises dans les pays émergents y sont deux fois plus importantes durant la période 1973-1997 que durant les périodes 1919-1939 et 1945-1971 ainsi que cinq fois plus importantes durant la période de l’étalon-or : de 1880 à 1913.

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Graphique 7. Fréquence des crises dans les pays émergents par période

Source : (Bordo, & al., 2001) probabilité de crise en % par an

La différenciation de l’occurrence des crises financières entre les pays développés et les émergents s’interprète par l’insertion plus tardive de ces derniers dans la sphère financière internationale. Quant à la mise en parallèle du contrôle des capitaux et du contrôle bancaire au regard de l’historique des crises financières, elle ne semble pas apporter de réponse. Il est difficile d’y voir une tendance historique ni dans un sens (stabilisation progressive des marchés mise en avant par la théorie de l’efficience des marchés) ni dans l’autre (la libéralisation et la financiarisation des économies). Pourtant, les crises de change apparaissent toujours importantes quel que soit la période analysée. Ces deux caractéristiques, vulnérabilités des pays émergents couplées aux crises de change, dans un contexte de libéralisation et d’intégration forte des économies internationales, mettent en avant des spécificités qu’il faudra expliquer.

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Conclusion intermédiaire

Le présent chapitre a permis de décrire la notion de crise afin de retracer la dynamique et l’amplification de ce phénomène. Il y est question de rupture nécessaire afin d’adapter l’individu ou la société aux nouvelles contraintes auxquelles ils n’ont su se préparer. Dans le cadre spécifique de la finance, la fluctuation du prix des actifs, lors d’un retournement de conjoncture, est à l’origine de déséquilibres. Mais le marché financier n’en sera pas plus fort s’il n’a pas été capable de trouver les adaptations nécessaires à ces nouvelles tensions qui pourront revenir prochainement. Cet aspect est important puisqu’il est déjà équivoque au regard de notre problématique. Comment permettre à des marchés financiers, et plus spécifiquement dans les pays en voie de développement, d’apporter des éléments de réponses à des tensions pouvant être à l’origine d’une crise si elles ne sont pas dues à des vulnérabilités qui leurs sont propres ? La véritable question qui se pose, à partir du moment où il devient pertinent de prendre en compte ces caractéristiques, est de savoir si un pays devenant vulnérable au regard de l’incapacité de ses partenaires à apporter des solutions efficaces peut intervenir pour tenter de se protéger ?

La quantification du processus de détermination de crise afin d’anticiper d’éventuelles tensions pose le même genre de questionnement. Les méthodologies adoptées reposent sur l’obtention du différentiel de fluctuation de variables déterminantes par un comportement changeant d’avant, de pendant et d’après crise. Mais ces indices ne peuvent être définis de précurseurs que pour le retournement de la conjoncture du pays et nullement vis-à-vis d’effets de contagion internationaux. Elles n’ont aucun pouvoir dans le cadre de notre postulat de non vulnérabilité apparente des fondamentaux macroéconomiques et macro- financiers propres au pays. Ces techniques d’analyse apparaissent pertinentes si l’on suppose que la crise est le fruit d’une dégradation interne dont des signes précurseurs pourront témoigner de l’occurrence. Se pose de nouveau la question des effets de contagion pouvant rendre vulnérable le pays, à l’origine d’une crise potentielle, à un choc externe.

L’analyse a mis en avant la récurrence historique des crises financières sans pour autant témoigner de faits spécifiques importants au regard de la mondialisation et de la globalisation de la sphère financière récente. Pourtant, deux points importants sont à mettre

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en évidence : les crises de change sont toujours présentes à l’ensemble des périodes et les pays émergents sont a priori plus vulnérables que les pays développés. La poursuite de l’étude se devra d’en expliquer les raisons.

Le chapitre suivant aura pour ambition d’illustrer le contexte financier actuel pour déterminer de nouveaux éléments déterminants de la vulnérabilité des régimes de change au sein des pays en voie de développement. Une attention particulière sera évidemment orientée vers les notions d’interdépendance et d’effets de contagion au regard de leur rôle de plus en plus important de par la libéralisation financière internationale.

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