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Historique et concepts

B.1.

Après la découverte de la radioactivité spontanée par Becquerel en 1896, il a été observé que des substances chimiques identiques pouvaient présenter différents modes de désintégration radioactive. En 1913, Soddy proposa le mot «isotope» pour décrire ces subs-tances chimiques identiques, parce qu’elles se trouvaient à la même place dans le tableau périodique. En 1919, Aston fabriqua son premier spectrographe de masse. Avec celui-ci, il démontra l’existence des isotopes pour les éléments non radioactifs. En 1922, il publia son premier livre rapportant l’abondance isotopique de 27 éléments dont le mercure. Peu avant, le futur prix Nobel Bronsted et son collègue Hevesy (1921) rapportaient avoir séparé les isotopes du mercure par des processus d’évaporation se basant sur la mesure des densités de la vapeur et du liquide (les systèmes d’évaporation et de mesure sont présentés en figure 12). Dans une seconde communication (1922), ils rapportaient avoir déterminé les isotopes 199, 202 et 204 du mercure en accord avec les résultats d’Aston. Dans le même temps Mulliken et Arkins (1922) avaient achevé

des expériences identiques et présentaient les isotopes 197, 200, 202 et 204. En 1925, après avoir construit son second spectrogra-phe de masse avec une résolution deux fois supérieure à celle du premier, Aston (1925) rapporta les abondances isotopiques du mer-cure pour les isotopes 198, 199, 200, 201, 202 et 204, suggérant que d’autres isotopes avec une abondance plus faible pouvaient exister. Avec la mesure précise de la masse de cet élément, il détruisit ainsi le mythe de la production d’or à partir de mercure.

C’est avec la seconde guerre mondiale que la science des isotopes progressa rapide-ment. Des centaines de chercheurs à travers les Etats-Unis étaient réunis autour du projet Manhattan afin de développer la bombe atomique. Parmi ces scientifiques, Harold Urey, futur prix Nobel, travailla sur la séparation isotopique de l’uranium utilisé dans la bombe. D’un autre coté, Alfred Nier développa les spectromètres de masse nécessaires pour mesurer les isotopes de l’uranium. Ces deux personnages contribuèrent fortement à l’établissement des concepts fondamentaux de la science des isotopes et surtout de la géochimie isotopique telle Figure 12 : schéma des appareils utilisés pour réaliser la séparation des isotopes du mercure par Mulliken and Harkins (1922). Le picnomètre était l’instrument utilisé pour mesurer très précisément les variations de densité du liquide. Les deux appareils encadrant le picnomètre sont des systèmes d’évaporation.

qu’elle est pratiquée aujourd’hui. En 1950, Nier publia les abondances isotopiques relatives des sept isotopes du mercure: 196 (0.15%), 198 (9.9%), 199 (16.8%), 200 (23.1%), 201,

(13.1%), 202 (29.8%) et 204 (6.9%). Dans la seconde moitié du 20ème siècle, les isotopes

du mercure ont été étudiés du point de vue de la séparation isotopique afin de produire des composés enrichis en un isotope ayant des propriétés physiques spécifiques.

Du fait de sa masse molaire élevée (200.59 g.mol-1) et de sa faible dispersion en masse

(∆m/m = 3% entre le 198Hg et le 204Hg), le mercure était supposé ne présenter que pas ou

peu de variation des abondances isotopiques dans la nature. Il a fallu attendre le début des années 2000 pour voir apparaître les premières mesures de composition isotopique dans des échantillons naturels montrant des variations significatives de plusieurs pour mille (‰)

pour le rapport 202/198Hg. En effet, ces mesures ont été rendues possible grâce aux

dévelop-pements analytiques réalisés sur les spectromètres de masse à source plasma et à détection multi isotopique simultanée (multicollector inductively coupled plasma mass spectrometer: MC-ICP-MS). Comparés aux autres types d’ICP-MS, les MC-ICP-MS possèdent une trans-mission accrue ainsi qu’un système de séparation magnétique des isotopes et une détection en multicollection. Ces trois caractéristiques permettent d’obtenir une meilleure sensibilité et une mesure simultanée des abondances de chacun des isotopes d’un élément, rendant ainsi la mesure d’un rapport isotopique très précise.

En 2000, Jackson et al., reportaient des variations des rapports absolus 199/201Hg et

202/204Hg dans des carottes de sédiments. Néanmoins ces mesures avaient été réalisées sur un

ICP-MS quadripolaire engendrant des commentaires motivés de la part de la communauté scientifique. Le premier résumé de conférence présentant la technique analytique date de 2000 (Klaue et al., 2000). Cette technique consiste à introduire le mercure dans le MC-ICP-MS sous forme gazeuse à la suite d’une réduction du Hg(II) en Hg(0) gazeux (Cold-Vapor MC-ICP-MS). Ce système d’introduction est à l’heure actuelle le plus utilisé pour mesurer la composition isotopique du mercure (les détails techniques sont fournis dans le chapitre 2). La première publication sur les isotopes du mercure par CV-MC-ICP-MS date de 2001 (Lauretta et al., 2001) et reportait la composition isotopique des chondrites Murchinson et Allende. Ils ont ainsi pu montrer que ces matériaux extraterrestres avaient des compositions similaires au mercure terrestre et ne comportaient pas d’anomalie de fractionnement isotopique comme précédemment déterminé par des méthodes de mesure par activation neutronique. À l’heure actuelle, près d’une cinquantaine de publications ont été réalisées sur les isotopes du mercure comme présenté en figure 13a.

De 2001 à 2006, les principaux travaux publiés portaient sur la technique analytique et les variations de composition isotopique dans les échantillons géologiques (roches, cina-bre, charbon). Tous ces travaux reportaient des variations associées à des fractionnements

dépendants de la masse (en anglais «mass dependent fractionation» ou MDF). En 2007, une contribution théorique (Schauble, 2007) et une expérimentale (Bergquist and Blum, 2007) ont mis en évidence que les isotopes

impairs 199Hg et 201Hg pouvaient dévier des

fractionnements de masse. Le mercure était donc sujet au fractionnement indépendant de la masse (en anglais «mass independent fractionation» ou MIF). Ce type de fraction-nement (MIF) n’est pas commun dans les systèmes isotopiques. L’oxygène (O) et le soufre (S) sont deux éléments soumis à des MIF de forte amplitude pour lesquels ils ont de nombreuses applications en géochimie. Peu d’autres éléments présentent des MIF de forte amplitude facilement identifiables dans les échantillons naturels. Le mercure présente des amplitudes de MIF de plusieurs ‰ aisément identifiables dans de nombreux échantillons naturels (voir la figure 13b qui reporte le nombre de travaux dans lesquels les MIF ont été mesurés). Ces MIF viennent ouvrir une seconde dimension pour interpré-ter les variations de composition isotopique du mercure dans l’environnement. De plus, le mercure est soumis à deux types de MIF, chacun d’entre eux étant identifiable.

Ce chapitre s’intéresse d’abord à décrire les fractionnements isotopiques dépendants de la masse, le système isotopique du mercure et présente les différentes méthodes de détermination de l’amplitude des fractionnements isotopiques. Ensuite, il s’intéresse aux fractionnements isotopiques indépendants de la masse et présente les différents types de fractionnements connus pour les isotopes du mercure. Puis, il s’attache à décrire les dif-férentes réactions qui engendrent des fractionnements isotopiques, et enfin à présenter les variations de composition isotopique mesurées dans l’environnement. 0 5 10 15 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 MIF MDF # articles Year 0 5 10 15 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 Samples Experimental Theory Analytical Review # articles Year

Figure 13 : Nombre d’articles publiés sur les isotopes du mercure entre 2001 et 2010 en fonction des proportions d’articles rapportant a) des compositions isotopiques dans des échantillons, des expériences, des travaux théoriques, analytiques et les revues de la littérature b) des fractionnements dépendants (MDF) ou indépendants de la masse (MIF).

a)

Fractionnement dépendant de la masse