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CHAPITRE 3 : L’ÈRE DU REMAKE

3.3. Une histoire de famille

Bien que le tueur et ses agissements soient désormais rationalisés, l’appel à des séquences explicatives produit néanmoins un déplacement du blâme de la tragédie sur deux niveaux comparativement à l’Âge d’or : le premier, du tueur à sa famille, puis le second, de la famille des victimes à celle de l’agresseur. Il semble que tout soit une question de famille, une question d’éducation, élément majeur en ce qui a trait à l’origine du mal. Ainsi, la nouvelle ère des slashers concède aux spectateurs une partie de l’intimité du tueur en le montrant dans son entourage familial (mis à part Freddy qui est un cas particulier). Dans les premières versions, ces meurtriers détenaient un lien familial difficile à établir pour le spectateur : Jason n’est jamais vu avec sa mère alors que les parents de Michael n’arrivent qu’à la fin de la scène où il assassine sa sœur, sans plus. Pour les deux autres, Krueger et Billy, il n’y a tout simplement aucune mention d’une famille quelconque (Billy semble parler de sa mère lors de ses appels, mais le tout reste très vague). De leur côté, les remakes exposent les familles dysfonctionnelles des meurtriers.

Néanmoins, l’exception à cette règle se retrouve dans The Texas Chainsaw Massacre (1974), dont la famille de Leatherface était déjà présente en partie : les parents sont absents comparativement aux grands-parents et aux enfants. Il est à noter qu’ici, la dysfonction de cette famille ne passe pas simplement par le cannibalisme et les disputes à répétitions, l’absence de la figure maternelle a de grandes répercussions :

The absence of a real woman to guide and moderate this all-male family is grotesquely in evidence in the dinner scene, and perhaps this helps to explain why Sally, as the only “real” woman in the house, is treated as a bizarre “guest of honor,” seated in a literal “arm chair” at the head of the table (Magistrale 2005, p. 155).

Dans sa version de 2003, Marcus Nispel a inséré dans la diégèse plusieurs personnages féminins qui viennent compléter la famille. Ceci renverse donc la dysfonction familiale présente dans l’ancien The Texas Chainsaw Massacre pour présenter aux spectateurs une famille de meurtriers totalement fonctionnelle et unie. Cela semble être une erreur de considérer les Hewitt (et non plus les Sawyer) comme étant fonctionnels et unis, où il semble n’y avoir aucun problème. Le fait est que la dysfonction n’est pas présente entre eux directement, mais bien dans la relation qu’ils entretiennent avec la société. C’est bien ce qu’il y a de terrifiant ici : toute la famille est unie dans les mêmes mœurs, où les assassinats et le cannibalisme sont acceptés et encouragés. De plus, c’est l’autorité maternelle, par le passé absente, qui a le contrôle de ce groupe. C’est elle qui dicte ses ordres aux autres membres, prenant même les décisions importantes, comme le sort qui attend Erin. Par ailleurs, la toute fin du film révèle un portrait de famille qui transmet toute l’horreur de cette alliance alors qu’ils sont tous enjoués autour d’un petit enfant enlevé qu’ils considèrent comme leur progéniture. Ce qui semble mal aux yeux des spectateurs ne l’est pas pour les Hewitt.

Pour leur part, il serait impertinent d’élaborer une fois de plus sur les cas de Michael et Billy dont les nombreux sévices qu’ils ont subis par leur famille respective ont été exposés au commencement de ce chapitre. Je crois qu’il est déjà possible dans ces multiples sections de voir à quel point la responsabilité de ces familles est élevée. Cependant, contrairement aux Hewitt, ces familles sont dysfonctionnelles, non pas au travers de la société, mais bien dans les relations que chaque membre entretient avec les autres. La menace ne sévit pas de l’extérieur, mais bien de l’intérieur de la famille.

Aussi, la dysfonction intergénérationnelle présente du côté des victimes lors de l’Âge d’or est toujours retrouvée dans les remakes, que ce soit par la présence des parents qui engendrent la plupart du temps des altercations ou par toute autre personne qui représente

symboliquement la vieille génération. La différence réside dans le fait que les remakes proposent un monstre créé par sa propre famille alors que les orignaux prônaient un monstre produit par le conflit générationnel. Il s’agissait d’un monstre punisseur qui éliminait tous adolescents qui contrevenaient aux règles dictées par leurs aînées comme le rapporte Williams :

Common knowledge of dysfunctional family creation of the adult monster leads to renewed attention to the monster’s social origins. The family motif again becomes explicit. Eighties horror films serve as allegories to their adolescent audience stressing vulnerability to parents, the adult world, and monstrous punitive avatars whether Jason, Michael, or Freddy (dans Grant 1996, p. 173).

Ainsi, en un peu plus de vingt ans, il y a un décalage concernant la production des monstres; celle-ci passe d’un problème de société, d’un conflit intergénérationnel commun à l’ensemble de l’Amérique, à un problème plus personnel, plus isolé, qui découle d’une responsabilité familiale. Dans les remakes, le système de valeurs dominant semble être laissé de côté, inutile et vulnérable dans une nouvelle société où chacun, où chaque famille est isolée dans leur demeure : à l’abri des regards, à l’écart de tout. Le monstre punisseur avancé par Williams utilisait de multiples objets tranchants pour faire disparaître une génération de jeunes qui contrevenait au système de valeurs dominant. C’est sans surprise que les jeunes sexuellement actifs, qui consomment drogue et alcool étaient ceux qui devaient trouver la mort. Bien que ceux-ci subissent toujours le même sort dans les remakes, il semble qu’ils payent plus pour les torts commis à l’égard du tueur que pour leurs propres fautes. Ceci est d’autant moins surprenant, alors que la société actuelle qui accueille la sortie des remakes a évolué vers un mouvement de relâchement en ce qui a trait à la sexualité des jeunes et à l’usage de drogues.

De plus, lors de l’Âge d’or des slashers, c’étaient les parents des victimes qui avaient provoqué la faute qui a mené le monstre à sa folie meurtrière. Que ce soit la fermeture de l’usine dans The Texas Chainsaw Massacre, le meurtre de Freddy ou l’insouciance des moniteurs qui entraînent la noyade de Jason, dans tous les cas, il s’agit d’un évènement passé

qui hante la nouvelle génération. Gill mentionne que: « What is striking about most of these films is the notable uselessness of parents, their absence, physically and emotionally, from their children’s lives » (2002, p. 17). En effet, aucune protection des parents ne peut être perçue dans ces films. Les jeunes sont laissés à eux-mêmes prenant inconsciemment la place de la génération précédente. Que ce soit en raison de leurs comportements prohibés par leurs parents ou d’une faute commise par ces derniers, dans tous les cas, ces jeunes sont punis en lieu et place des générations précédentes. Par conséquent, la famille serait toujours le lieu de départ de la violence et de l’horreur qui se déroule dans ces films; le monstre sera à tout coup la création d’une famille ou d’une autre. À cet effet Williams souligne que: « If we follow Freud’s conclusions and apply them to horror film, the undeniable conclusion follows that all horror films, in one way or another, are family horror films » (dans Grant 1996, p. 168). La différence provient de la famille qui est à blâmer, les nouveaux slashers optent pour celle du tueur.