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CHAPITRE 2 : LA FORMATION D’UN GENRE

2.4. Un sous-genre ancré dans la violence

La violence a toujours été un point central dans les slashers. Il est vrai qu’elle l’est aussi à différents niveaux pour un bon nombre de genres. Cependant, contrairement à la grande majorité de ces films de genre, la violence et les meurtres dans les slashers ne sont pas perpétrés par les représentants des bonnes valeurs ou par une autorité qui protège les innocents. Cette violence est commise par un monstre, un tueur sadique. Ce dernier n’est en aucun cas en situation d’autodéfense; il est l’agent de l’agression du film. Tous ses actes sont perçus comme des attentats, des agressions dont la violence qui en découle est en tout point injustifiable. James Kendrick rapporte que:

Thus, violence in westerns and combat films could be more explicit and there could be more of it because “it was typically presented as a kind of righteous violence, carried out by heroes of strong moral purpose” (33). Violence in the horror genre is typically anything but “righteous” and is usually described as “gratuitous,” “excessive,” or “sadistic,” marking it as socially unacceptable in polite circles (2009a, p. 146-147).

C’est bien parce qu’ils défendent les couleurs de leur pays et ses idéologies que les soldats américains qui utilisent la violence sont bien vus ou, du moins, supportés par le public dans des films comme Saving Private Ryan (Steven Spielberg, 1998). Dans ce type de film, les soldats ne sont pas considérés comme les agresseurs, ils veulent simplement sauver un des leurs ou leur vision du monde; la violence qu’ils perpètrent ne découle pas de leur choix, elle n’est qu’une conséquence des actions de l’ennemi à leur égard. Il y a cette ligne qui qualifie, jusqu’à un certain point, l’utilisation de la violence comme un acte justifiable et légitime provoqué par une agression. Cette ligne serait la même qui sépare l’agresseur de la victime. Dans un slasher, la violence du monstre, donc de l’agresseur, est toujours considérée gratuite alors que celle de la final girl est légitime considérant son statut de victime qui doit se défendre pour survivre.

Il est possible de considérer les slashers comme des prétextes pour montrer de la violence gratuite : ils n’existeraient que par et pour cette dernière. Certes, la violence de la

final girl est légitime, mais elle est secondaire. La violence principale qui perdure durant tout le film qui fait de nombreuses victimes et avec laquelle le gore est associé est celle de l’agresseur. Cette dernière est gratuite en tous points. Or, Steffen Hantke propose une autre façon de voir le slasher, qu’il nomme l’« Elimination Plot », (l’intrigue d’élimination), où la violence remplie une fonction. Voici comment il décrit la forme:

After this initial introduction of the group, its members are eliminated through violent means, one by one. Since the story progresses along a series of irrevocable eliminations of characters from the group, and thus from any further event on the course of the plot, death enters into the story with each further character removed. As, incrementally, the group is reduced in size, each elimination constitutes a significant moment (and movement) in the narrative, just as it confirms the stark principle operating behind the larger plot (Hantke 2009, p. 22).

Selon Hantke, la narration serait ici centrée autour de l’élimination des personnages. Chaque fois qu’un protagoniste est éliminé, l’histoire avance, laissant alors moins de concurrents dans la course aux rescapés. Dans ce type d’intrigue, le spectateur doit tenter de déterminer la suite des événements, l’ordre des victimes, la final girl. L’intrigue d’élimination permet une participation active des spectateurs au jeu. Cette façon de faire rappelle ces émissions télévisées où le public est appelé à voter pour sauver un concurrent de l’élimination. Selon le concours, l’ultime participant, celui qui a été choisi pour son talent par le public (ou simplement par popularité), gagne. La violence aurait donc un sens dans les slashers alors que chaque élimination rapproche les spectateurs du but ultime. Il ne s’agit plus d’un spectacle pour un spectacle, mais de séquences obligatoires qui mènent ultimement au dénouement du récit.

Les slashers ont toujours été considérés comme des films violents. Toutefois, la représentation de violence qui en découle a bien changé, les actes devenant de plus en plus graphiques. La stratégie de refouler l’assassinat dans le hors-champ ou de le cacher à l’écran fut la technique la plus employée au tout début du slasher. Avec un titre comme The Texas Chainsaw Massacre, tout spectateur potentiel pouvait, avec raison, s’attendre à une représentation « sanglante ». Pourtant, on n’y retrouve point de membres décapités et de sang giclant partout; dans la totalité du film, il n’y a présence que de quelques goutes de sang tout

ou plus. Cette croyance, comme quoi ce long-métrage est l’un des plus sanglants de tous les temps, reste à tort ancrée encore aujourd’hui dans la culture. Détenant un budget modeste pour réaliser son film, Tobe Hooper avait plutôt opté pour dissimuler les résultats des actes violents de la vue des spectateurs. Lors de l’exécution de Franklin, le réalisateur a fait en sorte de positionner sa caméra derrière le personnage, le monstre lui faisant face avec sa tronçonneuse. Il était alors impossible pour le spectateur de voir l’arme blanche transpercer le corps de Franklin. L’acte de violence se déroule bien à l’écran, mais l’horreur, elle, survient dans la tête du spectateur qui comprend la situation et se l’imagine dans ses détails les plus terribles.

John Carpenter a lui aussi adopté cette esthétique de l’évitement en réalisant Halloween. Dans ce film, il n’y a aucune lame qui touche directement la chair et le sang est aussi rare que dans The Texas Chainsaw Massacre. Comme le décrivent Jean-Baptiste Thoret et Luc Lagier : « L’intérêt d’Halloween ne réside pas dans l’aspect démonstratif de l’horreur pure, mais plutôt dans une mise en scène très sophistiquée et précise » (1998, p. 80). Il y aurait deux types de slashers : un qui mise sur l’atmosphère, la peur et dans lequel l’horreur se forme dans la tête du spectateur, par exemple Halloween, et d’autres qui comptent sur l’horreur pure, pour reprendre les mots de Thoret et Lagier, c’est-à-dire qui tend à tout montrer tel le cas de Friday the 13th (1980).

Cunningham, le réalisateur, a inséré le gore dans le sous-genre. Le spectateur n’a plus besoin de relier les éléments, de s’imaginer quoi que ce soit, tout est directement visible à

l’écran. Cette citation de Laura Wyrick explique bien le phénomène qui en a découlé: « Instead of violence meant to force the viewer to look away, violence became the excuse for

elaborate special effects – effects that may have been intended to disgust, but were just as much intended to fascinate » (1998, p. 122). Ainsi, avec tous les effets spéciaux qui se développent à grande vitesse pendant les années 80, il était peu probable que le slasher en ressorte inaffecté. En fait, ce type de film présente le scénario idéal pour l’amateur et le concepteur d’effets spéciaux : un nombre de victimes important dont chaque exécution est personnalisée; une sorte de spectacle qui ponctue le film de moments forts. Une nouvelle représentation de la violence va en émaner. Le gore n’en était pas à ses débuts dans le cinéma, il a tout de même eu une très grande influence sur la façon dont ce sous-genre fut développé.

Toutefois, il faut savoir que la violence en général n’a pas eu un ancrage aussi important dans l’horreur lors des décennies précédentes. Lors des années 30 et 40, alors que le Production Code était en vigueur (le code Hayes)9, les majors d’Hollywood s’en tenaient plus à des films d’horreur dont l’épouvante primait avant tout. Des classiques tels Dracula (Karl Freund, Tod Browning, 1931), The Mummy (Karl Freund, 1932) et The Wolf Man (George Waggner, 1941) peuvent en témoigner. Il faut préciser que ces films s’éloignent aussi de l’horreur de The Texas Chainsaw Massacre élaborée plus haut. La violence présente dans ces films était très minime, l’horreur tournait beaucoup plus autour de l’atmosphère donnée au film que de la violence graphique à laquelle les spectateurs d’aujourd’hui sont habitués. C’est ce que confirme Steven Jay Schneider en mentionnant que:

Violence within a context of fright and terror has not always been so central to the genre, as a look at the relatively genteel productions of earlier decades demonstrates. Accompanying the escalation of violence has been a shift in the nature of the form’s fright-inducing elements (2004, p. 244).

Or, de là provient toute cette problématique entourant la violence présente dans les slashers. Les meurtres sont d’une importance capitale, car le scénario basé sur une intrigue d’élimination est conçu à cet effet. Puis, Schneider indique que :

The graphic violence of contemporary horror has given the depiction of physical injury, victimization, and death considerable focus, emphasis, and screen time. These depictions induce anxiety because of the perceived dangers to characters in the enacted scenes. Slasher films, which typically feature lengthy stalking sequences, devote extensive attention to the spectacle of fear and physical endangerment (ibid., p. 245).

Les moments forts des films d’horreur contemporains sont marqués par la violence. Pascal Bonitzer souligne très bien cette nouvelle tendance qui s’est appropriée le champ, celle du tout voir et tout montrer : « c’est la malédiction de l’époque des effets spéciaux : le “on peut montrer” se transforme automatiquement en “on doit montrer” » (dans Dufour 2006,

p. 102). Bonitzer délimite vraiment ce qui est devenu la norme, une façon de faire qui n’est peut-être pas la meilleure, mais qui domine, car maintenant que l’on peut, on doit. Ne pas le faire viendrait à l’encontre de l’évolution, de la technologie et de la mode d’aujourd’hui. Il est impératif pour un film de suivre le mouvement de ses contemporains. Il doit être réalisé selon les normes de son époque afin d’attirer le plus de spectateurs.