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Chapitre 3 – Site religieux, site touristique : transformation du temple dans la nouvelle ère

3.1 La plus-value économique du temple : une ressource publique ?

3.2.1 Histoire du temple : un siècle de résistance

Vers le début des années 1880, le moine Huigen (慧根), résidant dans l’un des monastères de l’île de Putuo 普陀寺, part en pèlerinage pour le Tibet. Au retour de son voyage, il passe par l’Inde puis traverse la Birmanie, actuel Myanmar, où il rencontre M. Chen Jun-Pu, un homme d’affaires d’origine chinoise. Ce dernier lui remet une importante donation, qui doit permettre au moine de faire sculpter, dans le jade de la meilleure qualité qu’il puisse trouver, cinq statues de Bouddha. A son retour en Chine, le maître Huigen s’arrête à Shanghai, où il choisit de fonder un temple pour accueillir deux des statues. L’une est un Bouddha assis, l’autre est un Bouddha allongé. En bordure de Shanghai, dans le district de Jiangwan (江湾), le temple est achevé en 1882 et peu de temps après, le maître Huigen décède. Pendant deux décennies, les statues de jade attirent les fidèles et l’activité religieuse se développe sans obstacle majeur. La situation bascule au tournant du 20ème siècle, lorsqu’éclatent les premières révoltes contre l’autorité impériale. En 1911, le temple est réquisitionné par un groupe des forces rebelles républicaines, qui l’occupera pendant plusieurs années. Les moines et fidèles constatent une grave dégradation des lieux et commencent à les vider de leurs reliques et pièces précieuses. Ainsi, les deux statues de jade sont mises à l’abri pendant cette période. En 1918, un incendie se déclare et, déjà fragilisé par son occupation forcée, le temple est entièrement détruit.

L’abbé Kecheng (可成, quatrième abbé, de 1917 à 1932) décide alors de faire reconstruire le temple, cette fois-ci sur un autre site, légué par M. Sheng Xuanhuai (盛宣怀, 1844-1916) membre de l’ancienne cour impériale. Les travaux durent dix ans et c’est finalement en 1928 que le temple réouvre sur le site que nous connaissons aujourd’hui, situé dans le district de Putuo. Jusqu’à l’avènement de la République Populaire de Chine, il semblerait qu’aucun évènement majeur ne se soit produit qui ait mérité mention, vu l’absence d’information que nous avons sur cette période. En 1952, des réparations de fond sont autorisés et, à cette occasion, le site est entièrement rénové.

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En 1956, l’Association Bouddhiste de Chine choisit ce site pour accueillir les célébrations du 2500ème anniversaire de l’illumination du Bouddha Siddhârta Gautama. Il fait également l’objet de plusieurs visites officielles de cadres du Parti, comme le Premier ministre Zhou Enlai qui s’y rend le 8 janvier 1963, en compagnie de Mme Bandaranaike, Première ministre du Ceylan (actuel Sri Lanka). Dans les deux premières décennies de la RPC, la politique de l’Etat-parti envers les religions est encore favorable à la tolérance. Malgré des épisodes localisés de tensions, les relations sont globalement « cordiales ». Les bases du contrôle de l’activité religieuse sont établies mais on n’est encore loin d’une approche ouvertement répressive.

Tout cela change avec la Révolution Culturelle, pendant laquelle l’Etat-parti se lance dans une politique d’hostilité envers la religion. Sa disparition n’est plus un objectif lointain, et des moyens sont mis en place pour assurer que cela se réalise dans un calendrier fixé par les pouvoirs publics. A cette période, les moines prennent à nouveau l’initiative de vider le temple du Bouddha de Jade de ses objets de valeur. Les statues de jade, surtout, sont mises à l’abri pendant cette période troublée. Pour sauver le temple de la violence des Gardes Rouges, ils décident de coller des affiches de Mao sur l’ensemble de l’enceinte extérieure : ainsi les Gardes Rouges ne pouvaient s’en prendre aux lieux sans défigurer le portrait de leur leader. A Shanghai, il sera ainsi le seul temple bouddhique à être entièrement préservé. Il est cependant fermé au public pendant toute la décennie et les moines qui réussissent à s’y maintenir se tournent vers l’artisanat à subvenir à leurs besoins. En 1978, le Temple du Bouddha de Jade (yufo chansi, 玉佛禅寺) est réouvert au public. L’année suivante, le nouvel abbé, maître Zhenchan (真禅, dixième abbé, de 1979 à 1995), entreprend sa restauration mais ce n’est qu’à partir de 1981 que le temple reprend réellement ces activités religieuses. En 1983, sous la direction de l’Association Bouddhiste de Shanghai, l’Institut Bouddhique de Shanghai est créé et placé dans l’enceinte du Yufo chansi. Il reprend les activités du Collège Bouddhique, initialement fondé en 1942 par l’abbé Yuanchen (远尘, cinquième abbé de 1932 à 1942) mais qui, dans une période turbulente, n’avait jamais pleinement fonctionné. A nouveau, il est difficile de trouver des informations pour la période allant de sa réouverture à la fin des années 70 à sa dernière rénovation, débutée en 2014. Dans le hall réservé au Bouddha de

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jade en position assise167, un mur est dédié aux nombreuses personnalités politiques, venues du

monde entier rendre hommage à la statue. De l’Occident, sont venues, par exemple, Mme Reagan, ancienne Première dame des Etats-Unis, et la reine Margaret du Royaume-Uni. D’Asie, les invités les plus notables sont certainement Norodom Sihanouk, roi du Cambodge, et sa femme Norodom Monineath, et le prince Maha Vajiralongkorn, actuel roi de Thaïlande. Les photos de leurs visites sont les seuls signes de l’activité du temple que nous avons trouvé pour cette longue période. A mesure que le pays s’ouvre, le tourisme chinois et international se développe. Yufo chansi entre dans la longue liste des lieux à visiter à Shanghai et, aux côtés du temple Jing’an et du temple Longhua (龙华寺), un des plus grands sites bouddhiques de la ville.