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Le contrôle public de l’aménagement du lieu de culte : forme d’intervention des

Chapitre 3 – Site religieux, site touristique : transformation du temple dans la nouvelle ère

3.1 La plus-value économique du temple : une ressource publique ?

3.1.1 Le contrôle public de l’aménagement du lieu de culte : forme d’intervention des

Au sujet du développement économique du temple, nous proposons de comprendre la relation entre l’Etat et les institutions bouddhistes comme une « alliance potentielle ». Nous chercherons ici à démontrer comment d’intérêts convergents on peut en arriver à des situations conflictuelles. Dès lors qu’une part de la puissance publique se met en désaccord avec les représentants religieux, il est difficile de renégocier une relation positive, vu le pouvoir détenu par les agents étatiques. Une organisation religieuse et une administration d’Etat se mettront d’accord sur l’idée d’investir dans le potentiel touristique d’un temple si les bénéfices qu’ils espèrent obtenir leur semble proportionnés aux efforts requis de la part de chacun. Cependant, une rupture d’équilibre peut survenir à tout moment du développement du projet, dès lors qu’un des deux partenaires remet en cause les moyens engagés ou l’objectif visé. Un projet d’investissement est un contrat validé par deux parties mais, comme dans tout contrat, des imprévus peuvent survenir et les non-dits des termes du contrat peuvent être utilisés pour renégocier la situation. Même lorsqu’un projet d’aménagement est entièrement conçu, organisé, financé par une institution religieuse, l’approbation du gouvernement est nécessaire et c’est au cœur de ces procédures d’approbation que se joue la négociation entre deux parties d’un contrat entièrement implicite. D’ailleurs, plus rares sont les projets d’investissement auxquels le gouvernement participe activement. Bien que d’autres formes de revalorisation d’un temple existent (refonte d’une interface internet, campagne publicitaire, etc.), nous nous concentrons ici sur les projets d’aménagement des lieux physiques, c’est-à-dire des projets de construction, reconstruction et rénovation d’un site religieux.

D’après nos lectures, en particulier plusieurs monographies du temple Bailin153 dans le

Hebei et du temple Nanputuo154 à Xiamen, ainsi que nos recherches sur le Temple du Bouddha de

Jade, nous avons pu distinguer différents moyens par lesquels le pouvoir étatique peut intervenir

153 Zhe Ji, « Mémoire reconstituée : les stratégies mnémoniques dans la reconstruction d'un monastère bouddhique », Cahiers

internationaux de sociologie, n° 122 (2007) : 145-164 ; Fenggang Yang et Dedong Wei, « The Bailin Buddhist Temple: Thriving under Communism », in State, Market and Religions in Chinese Societies, éd. Fenggang Yang et Joseph B. Tamney (Koninklijke Brill, 2005), 63-87

154 Yoshiko Ashiwa et David L. Wank, « The Politics of a Reviving Buddhist Temple: State, Association, and Religion in Southeast

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dans un projet d’aménagement, du plus passif au plus actif. Comme nous l’avons déjà mentionné, les agents des Bureaux des Affaires Religieuses ne sont pas les seuls à pouvoir intervenir. Ce sont aussi les agents des départements du tourisme, de l’héritage culturel et des reliques, et de l’aménagement territorial. La première forme d’intervention, cependant, relève uniquement des fonctions des Bureaux des Affaires Religieuses. Il s’agit de la simple autorisation d’un projet d’aménagement demandée par un groupe religieux, selon les procédures que nous avons vues dans la partie précédente (art. 24 des Régulations). Puisque nous nous intéressons à la question économique dans cette partie, notons que l’approbation d’un département gouvernemental à l’établissement d’un site religieux peut être motivé par les impôts anticipés. Comme les groupes et les écoles, les sites religieux sont soumis aux impôts prévus à l’article 59 des Régulations. Ceux- ci seront perçus par les différents gouvernements selon les provisions provinciales. Ensuite, l’intervention de la puissance publique peut passer par la présence d’agents de diverses administrations (affaires religieuses, sécurité publique, héritage culturel et patrimoine, aménagement territorial, etc.) aux cérémonies d’ouverture ou de clôture des travaux ; ou de façon plus informelle, à des occasions spontanées, pour suivre le progrès des travaux. Il s’agit dans ces cas-là d’une intervention de l’ordre du symbolique : le fonctionnaire représente l’Etat et sa seule présence est une sanction implicite de l’activité religieuse.

La présence d’agents de l’administration peut prendre une forme plus active lorsqu’ils seront ponctuellement invités à assister ou même participer à des réunions de travail. Encore plus actifs seront les agents invités à occuper des postes dans les comités supervisant le projet d’aménagement. Un exemple que nous avons déjà mentionné concerne la direction par M. Hu Wei155 du Comité

d’Ingénierie du projet de rénovation du Temple du Bouddha de Jade. Pour ces derniers cas, nous parlons d’ « invitation » de la part des institutions religieuses car aucune réglementation ne les oblige à donner un rôle aux agents de l’Etat pour le déroulement du projet, au-delà des premières enquêtes qui devront être menées avant l’approbation-même du projet. Nous devons comprendre que ces invitations relèvent d’une stratégie bien réfléchie de la part des organisations religieuses qui espèrent ainsi nourrir de bonnes relations avec l’autorité politique locale. Celles-ci pourraient se traduire par des procédures administratives facilitées, par exemple.

155 M. Hu Wei est actuellement directeur du Comité Permanent du 13ème Congrès Populaire de la Municipalité de Shanghai et

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Encore un cran au-dessus, on trouve des situations dans lesquelles des fonds sont directement alloués par l’autorité publique pour l’aménagement d’un site religieux. Le plus souvent, c’est au nom de la préservation d’un patrimoine culturel commun que se fait ce financement. Il est intimement conditionné aux relations déjà existantes entre l’administration et la communauté religieuse, et aux retours pécuniers anticipés. Ce type d’intervention peut prendre la forme d’un projet global de revalorisation du patrimoine culturel d’une localité. En 1983, l’Etat établissait pour la première fois depuis la fondation de la RPC une liste de 163 temples, dont 142 bouddhiques, qui devaient être rendus aux institutions religieuses dans les cinq années à venir. Cette liste était accompagnée d’aides financières pour la réouverture des temples. Par la suite, des gouvernements locaux ont suivi l’exemple en établissant des listes similaires, afin d’expliciter quels éléments du patrimoine méritaient l’attention des pouvoirs publics en priorité. Le plus souvent, ces déclarations prévoient l’allocation d’un certain budget, toujours au nom de la préservation culturelle. Il demeure encore rare qu’un gouvernement soutienne un projet d’aménagement d’un site religieux au nom de la protection de la religion elle-même. Le style architectural et les techniques artisanales locales sont très souvent mis en avant pour défendre l’exceptionnalité d’un temple, bien plus souvent que la renommée d’un maître spirituel ou l’ancestralité d’un texte scriptural conservé. Nous verrons en quoi il est toujours dans l’intérêt de l’Etat de promouvoir le temple non pas comme lieu de culte mais comme objet de curiosité historique et culturelle.

L’intervention la plus active que peut entreprendre l’autorité publique est la codirection d’un projet d’aménagement : dans ce cas de figure, le projet est conçu, organisé, financé et géré en partenariat avec un groupe religieux. C’est précisément au nom du développement de l’économie touristique qu’un tel projet peut exister. Sans cet objectif, une participation si active de la puissance étatique dans le domaine de la religion pourrait susciter la critique. Car si l’Etat reconnaît depuis les années 1980 qu’il peut exister une relation positive avec la religion, le discours officiel promeut avant tout une relation qui soit mutuellement bénéfique. Religion et socialisme doivent s’accommoder l’un à l’autre, dans l’intérêt de tous. La puissance publique ne peut investir dans le projet d’aménagement d’un lieu de culte qu’à condition d’anticiper un avantage pour toute la société, et non seulement pour la communauté religieuse. Ce sont particulièrement les « zones scéniques » ou « parcs

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scéniques » (jingqu, 景区)156 qui génèrent des revenus intéressants : il s’agit de larges espaces

entièrement dédiés au tourisme. Dans le cas de sites au sein desquels se trouvent des temples et monastères, on pourrait dire qu’ils sont aussi partiellement dédiés à la pratique religieuse. Ils seront généralement situés dans des milieux naturels d’une beauté remarquable. Dans le cas de sites religieux, l’isolement est également un critère d’exceptionnalité : plus un monastère est reculé dans la nature, plus l’on présumera d’une forte sacralité qui lui est inhérente. L’investissement requis pour créer ces parcs « scéniques » est toujours important : la taille du parc et la présence d’une multitude de sites à voir doit contrebalancer le trajet que devront faire les visiteurs, circulant sur des voies de communication souvent ad hoc au projet de développement d’un parc. Les dépenses initiales et le coût de l’entretien de tels espaces justifient des prix d’entrée très élevés. La seule entrée dans un parc scénique peut coûter entre 100 et 200 yuans, à laquelle s’ajoute le prix des nombreux services proposés à l’intérieur du parc (téléphérique, restauration, porteurs, costumes, encens, souvenirs, jeux, etc.), autant de revenus dont le gouvernement pourra réclamer une part, dès lors qu’il participe à l’établissement du lieu.