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Si l’affaire du sang contaminé entre 1982 et 1991 a été essentiellement suivie par un petit groupe de journalistes spécialisés dans la médecine, son déclenchement a élargi le type de journalistes mobilisés. Confiné d’abord dans les quelques rubriques médicales de la presse écrite nationale au printemps 1991, ce problème a pris progressivement une dimension médiatique considérable en s’imposant régulièrement à la « une » de tous les médias omnibus nationaux, tout particulièrement entre 1991 et 1993. Il est couvert par des journalistes médicaux et/ou scientifiques mais aussi progressivement par des journalistes généralistes des services « Informations générales », « France » ou « Société » - appelés dans le milieu « reporters », « grands reporters », voire pour certains « journalistes d’investigation » -, des chroniqueurs judiciaires et enfin des journalistes politiques ou des éditorialistes. On pourrait ajouter de manière plus marginale les journalistes économiques, qui ont pu traiter parfois de la gestion du CNTS et des opérations financières de Michel Garretta, ou les critiques de télévision, qui ont été amenés à rendre compte et à annoncer des émissions sur le sujet. L’intervention de différents types de journalistes n’est pas une spécificité du « scandale du sang contaminé » mais caractérise de nombreux événements importants de l’histoire du sida en France compte tenu des différentes dimensions de la pathologie.

A l’inverse de la démarche qui consiste à juger les choix rédactionnels1, l’analyse sociologique du champ journalistique vise à comprendre les raisons pour lesquelles ce sont tels journalistes ou tels autres qui couvrent l’événement. La « compétence » constitue un premier axe de différenciation entre les professionnels. S’opposent sous ce rapport les journalistes « spécialisés » - on insistera essentiellement sur les journalistes médicaux - et les journalistes « généralistes ». Cette tension entre le primat donné aux compétences professionnelles générales ou à la connaissance des sujets traités est visible à travers l’analyse des trajectoires scolaires et professionnelles des journalistes ayant couvert le « scandale ». Au-delà du simple constat de la poursuite, dans les années 80, de l’augmentation des effectifs de la profession en général et de la montée du capital scolaire, le recrutement des médias omnibus nationaux est marqué par un double mouvement. L’arrivée d’une nouvelle génération de journalistes se traduit, dans certaines rubriques, par le poids croissant des journalistes « experts » ayant suivi un cursus universitaire très spécialisé. L’exemple des journalistes médicaux illustre assez bien l’ambiguïté de la position de ces journalistes qui mettent en avant leurs compétences de « spécialistes » mais qui demandent aussi à leurs confrères de les considérer comme des journalistes « comme les autres ». Parallèlement, le recrutement de jeunes journalistes, particulièrement dans les services les plus généralistes, se caractérise aussi dans ces médias par une forte augmentation de la part des diplômés des trois

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Ainsi, Antoine Garapon, magistrat secrétaire général de l’Institut des hautes études sur la justice, conteste implicitement dans un article (« Justice et médias : une alchimie douteuse »,

Esprit, n°4, 1995, p. 21) certains choix rédactionnels, qui ne sont pas de surcroît aussi tranchés

qu’il l’affirme comme on essayera de le montrer dans ce chapitre, quand il explique : « L’affaire du sang contaminé a été suivie dans de nombreux journaux jusqu’à l’audience par la rubrique

principales écoles professionnelles : le Centre de formation des journalistes à Paris (CFJ), l’Ecole supérieure de journalisme de Lille (ESJ) et le Centre universitaire d’enseignement du journalisme à Strasbourg (CUEJ). Cette homogénéisation tend à montrer que le diplôme d’une école est un passage quasi obligé pour entrer dans les principaux services des grands médias, et donc que le recrutement dominant favorise le capital professionnel accumulé dans une formation spécialisée plutôt que « sur le tas » comme autrefois.

La rencontre entre différents types de journalistes à propos du « scandale du sang contaminé » constitue aussi un révélateur des hiérarchies internes au champ journalistique sous le rapport des rubriques. La question de savoir le type de journaliste qualifié pour suivre un tel événement (médical, judiciaire, politique, etc.) est un enjeu de concurrence dans chaque rédaction. Elle est en fait moins réglée par le simple rubriquage ou le jeu des circonstances (vacances, congés maternité, etc.) que par les positions occupées. Ainsi, les journalistes médicaux ont été pour la plupart dépossédés, totalement ou en partie, de la couverture du sujet, d’une façon variable selon les rédactions, au profit des journalistes occupant des positions souvent plus prestigieuses comme les grands reporters généralistes, les journalistes politiques et les éditorialistes. Le degré d’importance journalistique de l’« affaire » détermine donc largement le type de journaliste qui va la traiter. Le « scandale », qui avait été constitué au printemps 1991 en grande partie comme une « affaire médicale », en prenant une dimension médiatique plus large, perd donc sa spécificité initiale. Plus l’événement prend de l’importance plus ce sont des journalistes polyvalents ou généralistes qui le traitent. Cette

médecine. Certaines manipulations par les avocats n’auraient pas eu lieu si l’affaire du sang avait été suivie dès le début par des chroniqueurs judiciaires ».

division du travail journalistique a fortement contribué à transformer son traitement, notamment en le politisant.

1. Les définitions de l’excellence journalistique (« spécialiste » et/ou « généraliste » ?) : les transformations récentes du recrutement

Le double mouvement de recrutement de journalistes « experts », analysé ici dans le domaine médical, et de journalistes « généralistes », essentiellement issus des écoles professionnelles, s’inscrit dans un processus plus large de transformations morphologiques de la population des journalistes au sens large, et non pas seulement de ceux qui travaillent dans les médias omnibus nationaux. La première est l’expansion rapide des effectifs des journalistes « professionnels », qui s’est accélérée dans les années 80. Les offres de postes, du fait du développement de certains médias - comme la télévision, ou la presse spécialisée grand public et, dans une moindre mesure, la radio -, ont considérablement augmenté. Le nombre des titulaires de la carte professionnelle a été multiplié par 4,3 (27 869 en 1995 contre 6 467 en 1948). Les différentes enquêtes sur le sujet font apparaître que les périodes de croissance forte se situent dans les années 602 (+ 47%) mais surtout les années 80 (+ 60%) alors que la croissance de la population active a été beaucoup moins forte durant cette même période : entre les recensements de 1982 et 19903, la population active a augmenté de 1,5 million, passant de 21,8 à 25,3 millions, soit 185 000 actifs par an en moyenne. Cette

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Aux Etats-Unis, d’après une étude citée par Michaël Schudson (The Power of News, Cambridge, Massachussets, Harvard University Press, 1995, p. 149), le nombre d’étudiants suivant des études en journalisme et communication a connu une forte progression dans la seconde moitié des années 60.

croissance était plus forte entre 1968 et 1982 (+ 225 000 par an en moyenne). La forte augmentation du nombre de journalistes dans les années 80 s’inscrit plus largement dans celle des professions de l’information et de la communication comme le montrent les statistiques de l’INSEE pour le recensement de 19904. Les professions de « l’information, des arts et des spectacles » ont augmenté de 48,2% entre 1982 (102 728) et 1990 (152 232). Le nombre de femmes exerçant ces professions a davantage progressé (+ 52,75% contre + 45,07% pour les hommes).

La croissance continue du capital scolaire parmi les journalistes est une autre évolution marquante des années 80. L’élévation du niveau moyen de diplôme des actifs français se confirme dans ce secteur. La part des journalistes qui ont suivi des études supérieures a augmenté de plus de 80% entre 1964 et 1990, passant de 38% à 68,7%5. Ce sont surtout les plus jeunes (26/30 ans) qui ont eu un cursus dans l’enseignement supérieur (85%). Une enquête de 1990 fait apparaître clairement ce passage entre une situation dominée par des journalistes dont le diplôme n’allait guère au-delà du secondaire, ou alors dans les premières années des études supérieures, à une situation dans laquelle les journalistes, pour la plupart, ont suivi des études supérieures. Ceux-ci restent toujours plus diplômés

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Ces chiffres sont extraits des documents de l’INSEE sur la population active relatifs au recensement de 1982 et 1990.

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Elle regroupe les « journalistes, secrétaires de rédaction », les « auteurs littéraires, scénaristes, dialoguistes », les « bibliothécaires », les « archivistes conservateurs de la Fonction publique », les « cadres de la presse, de l’édition, de l’audiovisuel et des spectacles », les « cadres artistiques des spectacles », les « cadres techniques de la réalisation des spectacles vivants et audiovisuel », les « artistes plasticiens », les « artistes professionnels de la musique et du chant », les « artistes dramatiques, danseurs », les « professeurs d’art (hors établissements scolaires) » et les « artistes de variété ».

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Les chiffres de ce passage sont tirés de plusieurs enquêtes : Commission de la carte d’identité des journalistes, Enquête statistique et sociologique. Liste des titulaires de la carte professionnelle

au 1er juillet 1966, Paris, CCIJP, 1967 ; « Les journalistes, étude statistique et sociologique de la

profession », Dossiers du CEREQ, n°9, juin 1974 ; CCIJP, 50 ans de carte professionnelle. Profil

que l’ensemble de la population active : en 1990, 75,4% sont détenteurs du baccalauréat ou d’un diplôme de l’enseignement supérieur contre 60% des actifs environ. Seuls 10% d’entre eux n’ont aucun diplôme tandis qu’ils sont 48,4% à être titulaires d’un diplôme de niveau bac + 2 à bac + 5. Les femmes sont plus nombreuses à avoir un diplôme d’études supérieures que les hommes (64,1% contre 51,2% en 1990). D’autre part, les journalistes restent majoritairement issus des disciplines les moins prestigieuses de l’enseignement supérieur dont l’ordre n’a guère varié puisque les lettres (20%), qui attirent une forte proportion de femmes, devancent respectivement les écoles de journalisme (19,5%), les études de droit et de science politique (17,4% dont 8,42% diplômés des instituts d’Etudes Politiques) et les sciences humaines (16,5%). Les journalistes des médias audiovisuels, en moyenne plus jeunes, sont aussi dans l’ensemble plus diplômés (55,4% sont diplômés de l’enseignement supérieur) que ceux de la presse écrite (52,2%). En revanche, pour les plus diplômés (bac + 5), c’est l’inverse (9,1% contre 5,1% dans l’audiovisuel). Les jeunes journalistes (moins de 31 ans) sont en moyenne plus diplômés que leurs prédécesseurs : 48,7% d’entre eux ont au moins le niveau bac + 3. L’intensification de la concurrence a eu probablement pour effet de favoriser les détenteurs de capital scolaire et donc de réduire les possibilités d’accès aux entreprises de presse les plus prestigieuses d’une fraction de jeunes journalistes non-diplômés ou titulaires du baccalauréat.

Il est significatif que les stages d’été rémunérés dans des journaux de la presse quotidienne régionale par exemple - dont le niveau de recrutement est tendanciellement plus bas que celui des médias nationaux -, qui peuvent contribuer à l’embauche ou à l’obtention de collaborations régulières, sont réservés uniquement aux étudiants d’écoles spécialisées ou, au minimum, aux titulaires d’un diplôme obtenu deux ou trois ans après le baccalauréat. Le type de capital scolaire, et notamment le passage par une école, est donc de plus en plus déterminant quand on va vers les positions hautes occupées par les

Françoise Lafosse, Jean-Pierre Marhuenda et Rémy Rieffel, Les journalistes français en 1990,

journalistes de la presse nationale grand public, y compris dans des spécialités moins prestigieuses. Le niveau d’études des journalistes reporters d’images (JRI), capables pour certains d’entre eux d’assurer les images, le montage et le commentaire, dans les télévisions est actuellement sans commune mesure avec ceux des cameramen des générations précédentes6. L’« élite » des jeunes JRI est souvent issue des instituts d’études politiques et des écoles de journalisme.

Tableau 1 : évolution de la répartition des journalistes titulaires de la carte par niveau d’études de 1966 à 1990 1964 1990 Primaire 6,8 1,2 Technique 6,6 7,3 Secondaire 47,4 20,5 Supérieur 37 68,8 NC 2,2 2,1

Enfin, les années 80 se caractérisent par un rajeunissement de la population des journalistes professionnels. La proportion des journalistes âgés de moins de 46 ans est de 73,8% en 1990 contre 55,9% en 1953. Elle s’explique par l’arrivée massive de jeunes journalistes, particulièrement à partir des années 60 : le pourcentage de nouveaux titulaires de moins de 31 ans entre 1966 et 1971 est passé de 68% à 73% pour les hommes et de 55% à 66% pour les femmes. En 1990, plus de 40% des professionnels ont moins de 35 ans et la majorité sont titulaires de la carte professionnelle depuis moins de 11 ans. En 1990, les quatre classes d’âges les plus représentées sont les 26-30 ans (18%), les 31-35 ans (17,1%), les 36-40 ans (16,6%) et les 41-45 ans (17,1%) qui représentent 68,8% des journalistes. En 1964, la proportion des 35-44 ans était fortement sur- représentée dans le journalisme par rapport à la population active française (32,8% contre 23,2%). Dans les années 80, les principales évolutions sont l’augmentation de la tranche des 26-30 ans (15,4% en 1983 et 18% en 1990), des

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Le travail de doctorat est mené sur ce sujet par Jacques Siracusa à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) sous la direction de Jean-Claude Combessie.

36-45 ans (29,8% et 33,7% en 1990) et la diminution corrélative à la fois des 31- 35 ans (17,1% contre 23,2%) et des plus de 46 ans (26,1% contre 28%).

Du point de la structure selon le type d’entreprises, l’écart qui existait entre la presse écrite, qui avaient des effectifs plus âgés, et l’audiovisuel a été quasiment réduit à néant en 1990. Il existe peu de différences entre les moins de 31 ans et le reste de la profession si ce n’est qu’ils sont sous-représentés dans la presse quotidienne régionale (14,6% contre 19,2% pour l’ensemble des journalistes) et sur-représentés dans les télévisions privées - par opposition à la télévision publique qui a des effectifs plus âgés - ainsi que la presse spécialisée technique et professionnelle. Ces deux types de médias, qui ont connu un fort développement, particulièrement dans les années 80, ont fourni l’essentiel des débouchés des nouveaux entrants. Bien évidemment, leurs salaires sont en moyenne plus faibles parce qu’ils occupent des positions hiérarchiquement moins élevées.

Mais ces transformations morphologiques générales informent finalement peu sur celles qui sont intervenues dans les médias omnibus nationaux. L’analyse des trajectoires de deux types de journalistes - ceux qui travaillent dans des rubriques médicales et dans des services « généralistes » -, qui ont couvert le « scandale du sang contaminé », est une première manière de préciser ces transformations et de comprendre leur signification sous le rapport de l’excellence professionnelle.

Le journalisme médical entre compétence professionnelle et connaissance spécifique

La tension entre journaliste « spécialiste » et journaliste « généraliste » se retrouve dans les différents sous-champs que constituent les rubriques du journalisme. Elle traverse ainsi l’histoire du recrutement des rubriques médicales de la presse nationale d’information générale et politique. Jusqu’au début des années 80 à quelques exceptions - par exemple Médicus à France Soir ou Claudine Escoffier Lambiotte au Monde - les journalistes, chargés des rubriques médicales, sont des journalistes « généralistes » qui, à une période donnée, se sont (provisoirement parfois) spécialisés dans ce domaine. Il n’existe pas en effet de formations proprement spécialisées pour le journalisme médical si ce n’est un diplôme marginal de maîtrise à l’université René Descartes de Paris. Ceux qui

avaient suivi, voire terminé des études de médecine étaient rares et quelques médecins assuraient, en marge de leur activité professionnelle, des chroniques régulières dans des radios périphériques ou certains journaux (chapitre 3). Parmi la nouvelle génération arrivée dans les années 70 et surtout 80, on retrouve cette trajectoire scolaire et professionnelle7 : il s’agit de journalistes « généralistes » qui ont suivi des études universitaires non scientifiques, ou sont le plus souvent passés par des grandes écoles, et qui ont été formés sur le tas ou dans des écoles professionnelles.

Si on retient les principaux journalistes médicaux en activité en 1991 au moment du déclenchement du « scandale », plusieurs d’entre eux ont fait, après des études supérieures, deux des écoles les plus prestigieuses de la profession : soit le Centre de formation des journalistes (CFJ) comme Madeleine Franck (Le Point), Lucie Soboul (TF1), Michèle Bietry (Le Figaro) ou encore Hélène Cardin (France Inter), soit l’Ecole supérieure de journalisme de Lille pour Brigitte Benkemoun (Europe 1). D’autres ont suivi des études universitaires, comme Françoise Parinaud (lettres) de RTL, ou l’IEP Paris, comme Marie- Ange d’Adler (L’Evénement du Jeudi) et Alain Guédé (Le Canard Enchaîné)8, voire des écoles spécialisées comme l’IDHEC pour Pierre Li (TF1). La trajectoire de Gérard Badou est à cet égard marginale par rapport à ses confrères puisque, après des études de lettres, il a passé l’essentiel de sa carrière professionnelle dans divers titres de la presse professionnelle (Medical, Médecin de France, Le Quotidien du Médecin, Le Quotidien du

Pharmacien) avant de devenir plus tard grand reporter à L’Express.

Avant de prendre en charge une rubrique médicale, la plupart ont commencé le journalisme dans les services « Informations générales » des médias nationaux ou régionaux qui occupent une position basse dans la hiérarchie journalistique et donc, de fait, recrutent souvent les jeunes entrants. Cette trajectoire professionnelle est très classique dans les médias omnibus. Les « généralistes » devenus « spécialistes », quand ils sont entrés dans les années 80, sont plus fortement présents dans les médias les plus « généralistes » et/ou là où le

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Les renseignements biographiques mentionnés dans cette partie sont issus des entretiens mais aussi d’articles de presse et d’annuaires : annuaires des anciens élèves du CFJ Paris et de l’ESJ Lille, biographie de la Société Générale de Presse (1995).

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La spécialité de ce journaliste est cependant relative compte tenu des effectifs réduits de l’hebdomadaire qui obligent ses journalistes à couvrir plusieurs spécialités.

personnel est généralement plus faible, notamment dans les radios périphériques, les chaînes de télévisions « généralistes » et les quatre newsmagazines. On peut faire l’hypothèse que la mobilité interne y est plus forte en raison de la polyvalence réclamée par ces structures de production. C’est ainsi qu’Europe 1 a eu, en l’espace de trois ans (1991-1993), trois « rubricardes » différentes en médecine, ce qui n’est pas seulement dû à des congés maternité. La spécialisation de ces « généralistes » tient à plusieurs facteurs comme les affinités entre journalistes, les changements de postes dans leurs rédactions ou encore à une plus grande proximité sociale et familiale avec la médecine (« il se trouve que, dans ma famille, il y a beaucoup de médecins », dit par exemple une journaliste spécialisée9).

Un autre type de trajectoire possible, plus marginal aussi parmi les « rubricards » médicaux, est celui des journalistes ayant suivi des études scientifiques. Après un cursus universitaire, ils ont eu une expérience dans la presse spécialisée avant d’intégrer une rubrique médicale ou de traiter de la médecine dans un média omnibus national. Ces trajectoires scolaires et professionnelles sont répandues parmi les journalistes scientifiques des médias nationaux d’information générale. Par exemple, Martine Allain-Régnault, journaliste médicale à la télévision depuis 1977, après avoir fait de la recherche en biologie puis après avoir été professeur de sciences naturelles, a été repérée par Claudine Escoffier-Lambiotte, responsable de la rubrique médicale du Monde, par ses articles sur la biologie dans Sciences et Avenir. Elle a pigé pour ce quotidien dès 1963 et a été rédactrice titulaire entre 1969 et 1977. Ce cas montre d’ailleurs

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le caractère parfois illusoire de la séparation entre les journalistes scientifiques et médicaux puisque Martine Allain-Régnault est au début des années 90 à la fois membre de l’Association des journalistes scientifiques de la presse d’information (AJSPI) et de l’Association nationale des journalistes d’information médicale (ANJIM). Fabien Gruhier et Michel de Pracontal, les deux journalistes « scientifiques » - ils sont membres de l’AJSPI et de l’Association des journalistes médicaux de la presse grand public (AJMED) - qui traitent de la médecine au

Nouvel Observateur, ont également tous les deux suivi des études de sciences

(respectivement la chimie organique et les mathématiques) et travaillé dans la presse scientifique (Science et Avenir notamment pour le premier et Science et Vie pour le second).

Un journalisme d’expertise

Les années 70 mais surtout 80 marquent un changement dans le recrutement des journalistes chargés des rubriques médicales, alors en plein développement, avec l’augmentation du nombre de journalistes qui ont suivi des études de médecine10. La présence de médecins en charge de rubriques ou de chroniques régulières dans les médias d’information générale nationaux, comme c’est le cas de Pierre Hermann à Europe 1, n’est alors pas complètement nouvelle. La nouveauté réside dans leur poids croissant. La situation antérieure s’explique par le fait que les médecins ou les étudiants en médecine attirés par la presse sont rares. Non seulement les études de médecine sont destinées à former des médecins

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Dans ce domaine comme dans d’autres, on ne peut que rappeler la nécessité pour la