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C HAPITRE 5. V ÉNALITÉ ET CONNIVENCE DU MONDE DE LA PRESSE

Donc, appuyant le gouvernement que le peuple s’est donné, et sachant que la boue est de tous les pays, la presse s’abstiendra, en des temps aussi difficiles que ceux que nous traversons, d’enfoncer son bec de plume dans la plaie.

GUSTAVE BETTEX,1916221.

Si tous les produits culturels sont contaminés par la guerre, l’imprimé représente le principal champ d’action des propagandes belligérantes. En 1914, la transmission des informations n’est pas immédiate. Si les communiqués de presse ou les articles peuvent réagir dans la journée ou les 48 heures à l’actualité, les autres imprimés ont besoin d’un plus long temps de latence pour que leurs effets soient perceptibles. Le « quatrième pouvoir » qu’est devenue la presse au cours du XIXe siècle constitue dès lors l’arme privilégiée par les propagandes de la Grande Guerre. En Suisse, cette guerre de plumes provoque d’impressionnants effets. L’exportation de journaux helvétiques explose et passe de 2,8 millions d’exemplaires en 1914 à 9,1 millions en 1918, soit une augmentation de 325%222.

Ce sont avant tout les grands titres qui tirent leur épingle du jeu. Les censures belligérantes permettent à la presse suisse de gagner des parts de marché à l’étranger. Même si leur impartialité reste très relative, la presse neutre semble offrir des informations moins « formatées » que celles qui circulent dans les Etats en guerre et qui, au début du conflit, s’apparentent avant tout à du « bourrage de crâne ». Le Journal de Genève tire à 10'000 exemplaires environ au début du conflit. Il atteint 45'000 exemplaires en automne 1915, notamment grâce à son extension sur le marché français223. La Neue Zürcher Zeitung annonce un tirage de 25'000 exemplaires en 1914 et 45'000 exemplaires à la fin du conflit224. La demande d’informations provoquée par la guerre compense les difficultés de toutes sortes du temps de la mobilisation (manque de personnel, diminution des annonces, cherté du papier…), particulièrement pour les titres qui bénéficient d’une certaine ampleur. La presse d’information est particulièrement favorisée. La Tribune de Lausanne passe de 8'000 exemplaires en 1913 à 23'000 en 1916, la Tribune de Genève de 32'000 à 64'000 au

221 Gustave Bettex, « Faut-il le dire ? », Travaux présentés à la 17e Assemblée générale de l'Association de la Presse

vaudoise, Aigle : J. Borloz, 1916, pp. 18-19.

222 J. Auer, « Die Papierrationierung der Presse in den Kriegsjahren 1917-1919 », Le livre des éditeurs de journaux

suisses, 1899-1924, Zürich : Verlag des Schweizerischen Zeitungsverlegervereins, 1925, p. 206

223 Lettre d’Albert Bonnard à Philippe Godet, 20 octobre 1915, citée par Alain Clavien (2010), op. cit., p. 76.

224 Annuaire de l’Association de la presse suisse, 1913/1914, Zurich : Orell Füssli, 1915, p. 139 ; idem, 1917/1918, Zurich : Orell Füssli, 1918, p. 427.

cours de la guerre225. La petite et moyenne presse est par contre péjorée par les conditions de guerre. En 1914/1915, quinze journaux doivent réduire leur format, diminuer leurs éditions ou cesser leur activité226. La dépendance de ces titres à l’égard de l’étranger, et notamment des agences de presse qui les fournissent en informations, paraît d’autant plus criante.

Pour les propagandes belligérantes, trois modes opératoires sont possibles pour l’infiltration de leur argent de corruption. La tactique la plus recherchée revient à acquérir une partie du capital d’un journal qui bénéficie déjà d’une certaine réputation. La deuxième option consiste à renforcer une feuille de moindre importance pour lui donner les moyens de ses ambitions. La dernière possibilité repose sur la fondation de nouvelles entreprises de presse. Mais cette façon de faire reste la moins favorable car elle est entourée, dès le début, d’une forte suspicion de la part du lectorat. Ces conclusions sont tirées à la fin du conflit par le professeur berlinois Paul Eltzbacher, actif jusque-là pour le compte d’un bureau privé de propagande227.

1.UNE « AVALANCHE DE PAPIER228 » EN SUISSE ALLEMANDE

Comme le chapitre précédent l’a montré, la propagande de presse de l’Allemagne en Suisse romande et au Tessin ne parvient à rayonner que sur des titres au tirage plutôt confidentiel. Le contexte est bien plus favorable au sein du monde médiatique alémanique, grâce au relations commerciales et personnelles tissées entre voisins germanophones dans l’avant-guerre. Deux modèles sont ainsi utilisés par l’Allemagne pour influencer les quotidiens de Suisse orientale. Elle cherche à corrompre des titres ou alors tire profit de relations de connivence avec les rédactions et les administrations. L’Allemagne dispose de deux journaux dont elle contrôle la fabrication. Ces « armes de combat » peuvent avoir un discours modéré, comme le Züricher Post, ou vindicatif, tels les Neue Zürcher Nachrichten. Il y a ensuite les journaux que l’on peut qualifier de relais « naturels » des idées allemandes, comme la Berner Tagblatt, le Tages-Anzeiger et une grande partie de la petite et moyenne presse alémanique. Des aides ponctuelles et des facilités diverses sont accordées à ces périodiques, alors que leur conseil d’administration ou leur rédaction connaissent une forte proportion d’Allemands ou de Suisses d’origine allemande. L’influence peut encore passer

225 Voir resp. Jean-Pierre Chuard, Une odeur d’encre, les 75 ans de la Société 24 Heures-Imprimeries Réunies S.A.,

1907-1982, Lausanne : 24 Heures, 1982, p. 130 ; Michel Perrin, « 200 ans de journalisme politique bellettrien », Belles-Lettres de Lausanne, 1806-2006, Lausanne : Ed. du Revenandray, 2006, p. 23. Cf. Alain Clavien (2010), op. cit., p. 98.

226 Paul Rochat, « La guerre, la presse et la censure », Annuaire de l’Association de la presse suisse 1914/1915, Zurich : Orell Füssli, 1916, p. 8.

227 Il s’agit de la Verein zur Verbreitung von Kenntnissen über das Ausland und seine Beziehungen zu Deutschland. Voir Paul Eltzbacher, Die Presse als Werkzeug der auswärtigen Politik, Jena, 1918, cité par Stefan Kestler, op. cit., p. 41.

par les agences publicitaires. La firme allemande Rudolf Mosse, qui possède une importante filiale à Zurich, constitue sur ce point la principale courroie de transmission. « La question des annonces est à mon avis aussi importante que celle des nouvelles de propagande229 » relève Romberg en janvier 1915, au moment où l’Auswärtiges Amt entre en contact avec le directeur de la firme Rudolf Mosse. Ce dernier effectue alors un voyage commerciale à Bâle et Zurich. Une seule preuve de versement a été retrouvée dans les archives. En mars 1917, la firme d’annonces perçoit 10'000 francs de la part de la légation230. Agissant pour le compte du gouvernement, l’entreprise a pu négocier ses contrats publicitaires en échange de compromis journalistiques accordés par les rédactions.

LA PRISE DE CONTRÔLE DU ZÜRICHER POST

Débutant en hiver 1914, l’action de presse la plus ambitieuse est menée dans les coulisses du Züricher Post, journal du parti démocrate créé en 1879231. Il s’agit de la première action médiatique à s’inscrire sur le long terme. Avec l’installation du front occidental, des investissements conséquents sont menés auprès des neutres. A la fin du mois de mars 1915, Berlin s’empare de la majorité du capital du journal zurichois. 300'000 francs sont débloqués, dont 175'000 francs en un versement pour s’assurer les commandes de son conseil d’administration. Face à l’ampleur de la somme, l’empire cherche à engager des soutiens privés, car le Züricher Post est aussi un journal commercial d’annonces (« Handelszeitung »). A Essen, le konzern Krupp reçoit la visite d’Hermann von Simson, un ancien fondé de pouvoir de la puissante entreprise métallurgique232. Les sources ne précisent pas le possible engagement de Krupp dans l’entreprise.

Deux arguments sont mobilisés par Hermann von Simson et la légation pour convaincre Berlin233. Il s’agit premièrement de lutter contre la Neue Zürcher Zeitung (NZZ), le journal qui bénéficie du plus fort capital symbolique en Suisse et à l’étranger234. Depuis la fin du

XIXe siècle, la NZZ dispose d’un réseau international de correspondances dans les principales capitales d’Europe235. Elle tire en moyenne à 40'000 exemplaires durant la guerre et compte trois éditions quotidiennes236. Le 16 août 1914, la NZZ lance un appel à ses lecteurs dans lequel elle plaide pour une stricte impartialité éditoriale, placée sous les intérêts impérieux

229 PA, R11417, Gisbert von Romberg au chancelier impérial, Berne, 15 janvier 1915.

230 PA, Bern 1307, Busso von Bismarck à la légation, 7 mars 1917.

231 Les détails des tractations se trouvent dans : PA, R11419, Die schweizerische Presse, secr., 14 Dezember 1914 – 29 Dezember 1919.

232 Manfred Rasch, « Adlige Unternehmer am Ende der Wilhelminischen Epoche », Wirtschaft im Zeitalter der

Extreme, Hartmut Berghoff (hrsg.), München : C.H. Beck, 2010, p. 40.

233 PA, R11419, Rapport d’Hermann von Simson, Zurich, 7 décembre 1914.

234 PA, R11419, Gisbert von Romberg au Chancelier impérial, Berne, 14 décembre 1914.

235 Thomas Maissen, Die Geschichte der Neue Zürcher Zeitung, 1780-2005, Zürich : Neue Zürcher Zeitung, 2005, pp. 75-77.

236 Alfred Cattani, Albert Meyer, Chefredaktor der "Neuen Zürcher Zeitung" von 1915 bis 1930, Bundesrat von 1930

de la patrie237. Cette position de principe n’est pas une originalité dans le champ médiatique, puisque toutes les feuilles, y compris celles contrôlées par les propagandes, cherchent systématiquement à se couvrir d’intérêts strictement patriotiques. Mais l’appel de la NZZ est l’un des rares à être suivi dans les faits238.

L’engagement au sein du Züricher Post est aussi légitimé par la logique de concurrence qui s’installe entre les propagandes belligérantes. Les Allemands ont peur de l’action d’influence exercée par le Royaume-Uni, car le consul général anglais siège au sein de son conseil d’administration239. Or le Züricher Post, porté par la nouvelle demande d’informations générée par la guerre, cherche à s’agrandir. Simson se tient en contact étroit avec des membres du conseil d’administration, à savoir le président Ludwig Rudolf von Salis-Guyer, ancien recteur de l’université de Bâle, le professeur Theodor Vetter, ancien recteur de l’Ecole polytechnique fédérale ainsi qu’Oskar Wettstein, nouveau conseiller d’Etat du canton de Zurich. Ce dernier, l’un des défenseurs de la notion de « neutralité morale », vient de quitter la rédaction en chef du Züricher Post, poste qu’il occupait depuis 1895, suite à sa nomination politique le 15 septembre 1914. D’après la légation, le travail qu’il a mené à la tête de la feuille doit permettre à cette dernière de devenir un grand titre du paysage helvétique.

Ces hommes expérimentés font comprendre à Simson qu’ils préféreraient que le journal soit repris par l’Allemagne plutôt que par l’Angleterre, car celle-ci aurait déjà proposé une offre. Il n’est pas impossible que les administrateurs suisses aient réalisé un « coup » et fait monter les enchères entre les dispositifs de propagande. Un même soupçon entoure d’ailleurs le rachat de la Tribune de Genève par la France en été 1915 (voir infra.), car l’investissement français est aussi légitimé par la peur de voir la feuille passer sous le contrôle de l’adversaire240. Dans les deux cas, les journaux rachetés sont déjà acquis à la cause de leurs nouveaux bailleurs de fonds et un hypothétique engagement de l’adversaire constitue l’élément déclencheur de l’investissement. Dès le début du conflit, le Züricher

Post s’est engagé du côté des Empires centraux, s’en prenant principalement à la

responsabilité de la Russie dans le déclenchement du conflit. L’empire tsariste est le symbole d’une « sous-culture » pour Oskar Wettstein241. Quant à la question belge, si le journal reconnaît son « destin tragique », il estime que « la responsabilité du peuple belge et de son gouvernement242 » ait engagée dans l’invasion d’août 1914. Concernant la Tribune

237 Reproduit dans Thomas Ribi (sld.), Das 20. Jahrhundert im Spiegel der Neue Zürcher Zeitung, Zürich : Neue Zürcher Zeitung, 2001, pp. 34-35.

238 Sur le positionnement de la NZZ durant la guerre, consulter : Gustav Adolf Lang, Kampfplatz der Meinungen : die

Kontroverse um Kriegsursachen und Friedensmöglichkeiten 1914-1919 im Rahmen der "Neue Zürcher Zeitung",

Zürich : Neue Zürcher Zeitung, 1968, 267p.

239 PA, R11419, Rapport d’Hermann von Simson, Zurich, 7 décembre 1914.

240 Pierre Luciri, « L’Italie et l’Allemagne de la rupture des relations diplomatiques à la guerre (24 mai 1915 – 28 août 1916). Un point de vue suisse », La France et l'Italie pendant la Première Guerre mondiale, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, 1976, p. 274.

241 Züricher Post, 2 août 1914.

de Genève, la protestation qu’elle publie contre l’« acte de barbarie243 » commis par l’Allemagne contre la cathédrale de Reims a déjà été mentionné (voir chap. 2).

A Zurich, Ludwig von Salis-Guyer engage son nom et sa réputation au profit de l’Allemagne pour garantir le secret de la manœuvre. Le directeur des chemins de fer de la Jungfrau a marié la fille d’Adolf Guyer, fondateur de cette célèbre ligne ferroviaire ouverte en 1912244. Publiquement, seuls des Suisses peuvent endosser des responsabilités au sein du journal. Pour exercer son contrôle, la légation bernoise donne ses directives à Robert Haas, banquier allemand établi à Zurich, qui contacte ensuite von Salis-Guyer. Grâce à l’Allemagne, le Züricher Post augmente alors son tirage à deux éditions par jour et les ambitions de cette feuille politique sont revues à la hausse. Le Züricher Post bénéficie en outre d’une oreille attentive de la part de la Commission de censure. Privat-docent en journalisme à l’université de Zurich et conseiller aux Etats, Oskar Wettstein fait probablement jouer son réseau d’influence au sein des sphères bernoises. La feuille négocie d’abord un allégement des mesures de censure qui la frappe en Italie en septembre 1915. En août 1918, la rédaction dénonce également le lancement d’une feuille favorable à l’Entente, les Schweizer Republikanische Blätter245. Dans ses colonnes, le Züricher Post n’a de cesse tout au long du conflit de dénoncer les menées de la propagande de l’Entente en Suisse, grâce aux informations de première main que lui souffle la légation.

Cette prise de contrôle allemande sur le Züricher Post n’a pas été dénoncée durant la guerre. Le service français n’a pas eu vent de l’affaire, puisque son agent Karl Hänggi critique seulement les liens d’affinité du rédacteur en chef de la feuille, le Suisse Jakob Horner, avec la Kölnische Zeitung246. La manœuvre allemande constitue un succès sur le plan logistique. Sur celui de l’efficacité, le bilan semble toutefois plus mitigé. En 1917, Romberg estime que le Züricher Post, dont les prises de position partisanes restent relativement modérées, a atteint le statut de « grand journal respecté247. » En deux ans, environ 350'000 francs ont été investis dans l’entreprise. Mais le tirage reste faible comparativement à la NZZ puisqu’il n’atteint que 8 à 10'000 exemplaires. Le journal ne réussit pas à dépasser sa sphère d’influence habituelle, zurichoise, pour atteindre une audience nationale. Surtout, la germanophilie du quotidien provoque une virulente dénonciation de la part du courant helvétiste. Dans sa conférence de juin 1917, Hermann Schoop attaque lui aussi les liens d’Horner avec l’Allemagne dans des termes vifs :

La véritable tristesse de la chose, c’est que les lecteurs démocrates sont servis d’une telle pitance sans protection et doivent avaler les nombreux articles byzantins (la rédaction en chef du Züricher Post réalise quelque chose de magnifique dans la glorification de sa Majesté Guillaume II)248.

243 Tribune de Genève, 29 septembre 1914, p. 3.

244 Ludwig Rudolf von Salis, Professor der Rechte, 1863-1934 : Gedenkschrift, Winterthur : G. v. Salis, 1964, 34p.

245 Voir resp. AFS, E27/13868, Jakob Horner (Züricher Post) au DPF, Zurich, 27 septembre 1915 ; Jakob Horner à Felix Calonder, Zurich, 5 août 1918.

246 Karl Hänggi, op. cit., p. 17.

247 PA, R121000, Gisbert von Romberg au chancelier Bethmann Hollweg, Berne, « La propagande de presse allemande en Suisse », 20 février 1917.

Dans l’immédiat après-guerre, l’helvétiste Ernst Frey attaquera lui aussi les mystérieux bailleurs de fonds de la feuille, sans réussir à nommer l’Allemagne. Il estime que l’agence de publicité allemande Rudolf Mosse et un « riche Zurichois », très probablement von Salis-Guyer, effacent son important déficit249.

L’INACCESSIBLE NEUE ZÜRCHER ZEITUNG

La corruption du Züricher Post démontre l’importance que les autorités allemandes accordent à la Neue Zürcher Zeitung. Le rayonnement international et national de cette dernière justifie toutes les convoitises. Ainsi la propagande allemande s’active tout au long de la guerre pour influer sur la ligne du journal radical de la Falkenstrasse. Les deux premières semaines du conflit, la NZZ manifeste une certaine compréhension à l’encontre de

l’invasion allemande de la Belgique250. Mais la feuille se place rapidement sur une ligne de pacification aussi bien à l’extérieur, entre les puissances, qu’à l’intérieur, entre les cultures nationales. La modération est de mise et les prises de position marquées des rédacteurs sont rares. La plupart des commentaires sont rédigés par le responsable de la rubrique internationale, l’historien Eduard Fueter. Ce Zurichois s’est révélé, dès l’avant-guerre, très critique à l’encontre de la puissance allemande. En 1912, Fueter remplace Jakob Börlin, poussé à la démission suite à des accusations d’accointances trop poussées avec le Reich251. En mai 1914 déjà, le consulat allemand se plaint de la position de la feuille, jugée trop critique à l’égard de l’empire. La NZZ a alors engagé un processus d’autonomisation

puisqu’elle s’est dotée de ses propres correspondants dans les capitales européennes. Dès la fin du mois d’août 1914, les choix éditoriaux de la NZZ sont considérés comme nocifs par l’Allemagne, spécialement dans sa condamnation sans appel du comportement des troupes allemandes en Belgique252. Dès la fin du mois de septembre 1914, le capitaine Simson fait pression sur la rédaction en chef par la menace d’une censure du journal zurichois en Allemagne du Sud253. En avril 1915, une seconde mise en garde intervient contre Eduard Fueter254. La légation conseille à la feuille de modifier sa ligne si elle veut continuer à écouler des numéros outre-Rhin. Pour le rédacteur en chef Walter Bissegger, ce

249 Ernst Frey, op. cit., pp. 26-27.

250 Neue Zürcher Zeitung, 7 août 1914. Voir Thomas Maissen, op. cit., pp. 76-77. Cf. Caoimhe Galagher, op. cit., p. 320.

251 Alfred Cattani, op. cit., p. 45. Cf. Hans Conrad Peyer, Der Historiker Eduard Fueter, 1876-1928 : Leben und

Werk, Zürich : Komm. Beer, 1982, 75p.

252 Voir par exemple la remarque rétrospective de : PA, R122982, Note manuscrite d’Oskar Trautmann (AA), Berlin, 13 septembre 1916. Cf. Alan Kramer, John Horne, op. cit., p. 288.

253 PV de la séance du comité de rédaction du 26 septembre 1914, cité par Conrad Meyer, Das Unternehmen NZZ,

1780-2005, Zürich : Neue Zürcher Zeitung, 2005, p. 106.

254 PA, R122982, Légation impériale à Otto Hammann (AA), Berne, 20 avril 1915. Le fait que Hammann, responsable de la politique de presse de l’AA, soit tenu directement informé démontre à nouveau l’importance accordée à la NZZ.

conseil représente une « menace polie255 » et une plainte est adressée au Conseil fédéral. La résistance de la NZZ est alors favorisée par son décollage commerciale et la création en 1914 de sa propre régie d’annonces. De 1914 à 1918, les entrées financières passent ainsi de 1,5 millions de francs en à 4,5 millions de francs256.

L’Allemagne ne désarme pas et tente continuellement d’influencer des rédacteurs de la

NZZ. Responsables de la partie littéraire, Eduard Korrodi et Hans Trog se montrent notamment favorables à l’action de propagande culturelle engagée par le Reich à partir de la fin de l’année 1916257. Quant au correspondant de guerre Paul Willy Bierbaum, cet Allemand naturalisé suisse publie un ouvrage favorable à la flotte allemande, qui est utilisé par Berlin258. Une tentative avortée de manipulation concerne encore le rédacteur Paul Gygax, un membre du groupe NSH de Zurich. En septembre 1916, le journaliste suisse est invité à se rendre en France pour un reportage de longue durée. Il y rencontre le chef de bureau du Ministère des Affaires étrangères, Albert Billot. Dès novembre, Simson veut absolument voir Gygax réaliser le même type de voyage en Allemagne :

Gygax est selon moi une personnalité colossale à avoir pour l’extérieur. […] Si vous le considérez comme une autorité dans son domaine, si vous lui offrez des interviews intéressantes, de sympathiques voyages en auto, de bons déjeuners, alors l’impression qu’il retirera de l’Allemagne sera excellente259.

Les attentes de Simson pèchent par naïveté car Gygax est alors acquis à la cause de l’Entente. D’ailleurs, les autorités allemandes ne veulent pas d’un homme qu’elles décrivent comme un agent de leur ennemi260. Simson insiste et prend contact avec le nouveau

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